Volodymyr Zelensky © getty

« Les Ukrainiens veulent créer la surprise » : pourquoi la contre-offensive de l’Ukraine ne ressemblera pas à celle que tout le monde attend

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

On l’évoque (un peu trop ?) depuis des mois. Le printemps venu, c’est sûr, l’Ukraine contre-attaquera. Les armes lourdes occidentales, délivrées au compte-gouttes, créent l’impatience. Et si le pays de Volodymyr Zelensky semble bel et bien se préparer à la contre-offensive -le temps est compté-, ni la forme de cette attaque, ni son objectif, ni son timing ne sont clairs. C’est probablement (en partie) voulu. « Les Ukrainiens fonctionnent par la surprise », décode le spécialiste de l’OTAN et de la défense européenne André Dumoulin (ULiège, IRSD).

On évoque, depuis un certain temps, une contre-offensive de l’Ukraine au printemps. Est-ce que cette riposte se prépare ?

On l’annonce à tort et à travers. Mais les Ukrainiens fonctionnent par surprise. Les discours sont toujours à prendre avec des pincettes. Ce qui est important dans le conflit aujourd’hui, pour les forces armées de l’Ukraine, c’est créer la surprise, qu’elle soit tactique ou stratégique. Personne ne peut donc prévoir et imaginer la forme de cette contre-offensive, si ce n’est le renseignement américain. Eux seuls pourraient connaître certains secrets de défense.

Y a-t-il cependant des signaux sur le terrain ?

Les seuls signaux pertinents sur lesquels on peut se baser résident soit dans le renseignement humain sur place, soit dans l’observation des journalistes – qui ont de moins en moins accès aux zones stratégiques pour limiter la divulgation d’informations délicates -, soit dans le renseignement électromagnétique – lié aux avions Awax, aux satellites. Dans ces trois cas, les informations sont difficilement accessibles. J’estime qu’on se focalise trop sur les aspects tactiques dans telle ou telle petite ville. On parle là de combats ‘sous-sous régionaux’, de combats urbains. Ce n’est pas ça, la stratégie globale et la surprise tactique.

Vous êtes donc sceptique quant à l’idée d’une grande contre-offensive ukrainienne, telle qu’annoncée depuis des mois ?

Il faut être prudent. Si on en croit les discours, on peut effectivement imaginer que cette contre-offensive arrivera d’ici la fin du printemps. Mais les Ukrainiens peuvent aussi jouer sur la « déception », un terme militaire qui consiste à orienter son adversaire vers une fausse piste. Autrement dit, cette contre-offensive pourrait se dérouler à un autre moment, et là où on ne l’attend pas.

Ce qui est important dans le conflit aujourd’hui, pour les forces armées de l’Ukraine, c’est créer la surprise, qu’elle soit tactique ou stratégique.

André Dumoulin

Quels seraient ses objectifs précis ? Reconquérir l’ensemble du territoire en une percée semble illusoire…

Reconquérir tout le territoire, ce n’est pas possible. Ce qui est envisageable, c’est emmagasiner suffisamment de gains territoriaux symboliques. De façon à pouvoir négocier une forme de paix. Le cas échéant, ce stand-by s’inscrira de toute façon dans un conflit gelé, qui peut redémarrer à n’importe quel moment.

Quelles zones seraient privilégiées par les Ukrainiens en vue d’une reconquête ?

On parle de la Crimée, du sud de l’Ukraine (où les Russes semblent sur la défensive avec la formation de tranchées et de fortifications, repérées par satellites, NDLR). La destruction ciblée de la flotte russe présente en Ukraine est aussi évoquée. Tout est possible.

Des fortifications, c’est paradoxalement très fragile. Et facilement cassable lors d’une attaque. La meilleure défense, c’est l’attaque. Ces tranchées démontrent juste que les Russes se préparent à tous les scénarios, y compris ceux où ils se feraient enfoncer.

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En termes de matériel, est-ce que l’Ukraine est suffisamment armée pour renverser la vapeur ?

L’Ukraine a des effectifs importants. La mobilisation a été énorme. C’est un pays, initialement, pourvu d’ une grosse base militaire. Donc oui, sur papier, ils ont les moyens. Mais ils mobilisent aussi une toute nouvelle génération, suite aux pertes humaines de la première année de guerre.

Au niveau des équipements, il y a un clair différentiel technologique, favorable aux Ukrainiens. Mais on ne gagne pas la guerre uniquement avec la qualité du matériel. Le moral – qu’ils ont toujours, pour l’instant – et la quantité d’armes sont des facteurs importants. C’est tout le débat qui anime l’Union européenne en ce moment : faut-il fournir plus de munitions, plus rapidement ? On assiste à une sorte de course de vitesse à l’armement.

Les Russes, eux, adoptent tantôt des postures défensives, tantôt offensives avec des frappes symboliques visant des sites civil ou énergétique, ou des frappes d’opportunité. C’est ce jeu-là qu’on doit regarder avec recul.

Où en sont les promesses de livraisons occidentales ? Les chars sont-ils opérationnels sur le terrain ?

Pas encore entièrement. Ils sont en train d’arriver. Sauf les Abrams américains, qui prendront plus de temps. Pour les Leopard 2, les Ukrainiens sont à l’entrainement depuis pas mal de temps. Mais il ne s’agit pas simplement d’apprendre à tirer, il faut pouvoir les utiliser dans des groupements tactiques. Ce qui ne s’apprend pas du jour au lendemain.

Certains observateurs disent que ces livraisons de chars, vu leur quantité réduite, ne sont que symboliques et ne permettront pas de réellement retourner le conflit. Votre avis ?

Ces chars peuvent faire une différence tactique sur le terrain car ils sont capables de tirer en mouvement, ont une précision de ciblage, un blindage supérieur, et des technologies qui leur permettent de combattre dans différents environnements, y compris de nuit. Le niveau technologique est largement supérieur par rapport au matériel russe. Cela peut faire la différence, à l’instar de ce qu’on fait les américains lors de la guerre en Irak, où ils ont étrillé des divisions entières sans difficulté. Avec ces chars, vous tirez avant qu’ils vous voient. Les Ukrainiens peuvent donc obtenir des petites victoires tactiques. Et auront la capacité de perturber l’environnement des Russes. Mais une grande victoire stratégique qui permettrait de récupérer tous les territoires perdus, c’est impossible.

Avec les chars occidentaux, vous tirez avant qu’ils vous voient. Les Ukrainiens peuvent donc obtenir des petites victoires tactiques. Et auront la capacité de perturber l’environnement des Russes. Mais une grande victoire stratégique qui permettrait de récupérer tous les territoires perdus, c’est impossible.

André Dumoulin

Des missiles de très longue portée, un temps évoqués, ne seront finalement pas livrés par les Etats-Unis. Ce qui a fortement déçu l’Ukraine. C’est la limite que semble se fixer l’Occident pour éviter une extension du conflit…

En effet. Les missiles ATACMS ne seront pas livrés parce qu’ils peuvent faire du dégât dans la profondeur du territoire russe. Ce sont des armes qui viennent d’ailleurs de l’époque de la guerre froide, où l’idée était de casser les deuxièmes ou troisièmes lignes russes, très loin derrière la zone frontalière. Les Occidentaux n’ont donc pas envie de fournir ces systèmes très puissants et stratégiques, qui pourraient être perçus par les Russes comme une agression directe. S’il doit avoir des dégâts sur le territoire russe, il est préférable qu’ils soient réalisés soit par l’opposition russe, soit par des commandos ukrainiens, mais pas par du matériel de l’OTAN.

Ukraine
Les chars Leopard 2 devraient permettre aux Ukrainiens de remporter des petites victoires tactiques.
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