Entrée de la Finlande dans l'Otan, le 4 avril 2023 © Getty

Adhésion de la Finlande: « Les zones grises disparaissent, le risque de confrontation avec la Russie augmente »

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Adhésion de la Finlande à l’Otan, annexion sans bruit du Belarus par la Russie, Ukraine coupée en deux… « Entre l’Occident et la Russie, les zones grises disparaissent, ce qui accentue le risque de confrontation », estime le politologue Sven Biscop.

Le siège de l’Alliance atlantique à Bruxelles compte, dans sa cour d’honneur, un nouveau drapeau, celui de la Finlande, devenue, le 4 avril, le 31e membre de l’organisation. Après trois décennies de non-alignement militaire, c’est un tournant stratégique pour le pays, qui partage une frontière de 1 300 kilomètres avec la Russie. Ce revirement spectaculaire a été provoqué par l’invasion russe de l’Ukraine. Pour les mêmes raisons, la Suède frappe également à la porte de l’Otan. Toutefois, le président turc Recep Tayyip Erdoğan n’a pas encore donné son feu vert à la ratification de cette intégration. La Russie a promis des « contre-mesures » à l’élargissent de l’Alliance, qualifié d’« atteinte à sa sécurité ». Vladimir Poutine avait pourtant déclaré, en juin dernier, qu’il ne voyait « pas de problème » à l’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’Otan, Moscou n’ayant « pas de différends territoriaux » avec Stockholm et Helsinki. Pour Sven Biscop, directeur du programme L’Europe dans le monde à l’Institut royal Egmont pour les relations internationales, l’entrée de la Finlande est un pas de plus vers la disparition des « zones grises » entre l’Occident et la Russie.

Quelles sont les conséquences stratégiques de l’entrée de la Finlande dans l’Otan ?

Les pays Baltes étaient très exposés militairement face à la Russie. L’entrée de la Finlande dans l’Otan les place dans une position géostratégique plus confortable. En cas d’attaque russe, l’Alliance pourra plus facilement les défendre. La Finlande peut compter sur des centaines de milliers de réservistes bien entraînés. C’est un pays crédible en matière de défense. Une tradition héritée de son histoire. En particulier de la résistance acharnée des Finlandais pendant la guerre d’Hiver face à l’armée soviétique, de la fin 1939 au début 1940. La puissance militaire finlandaise est un atout pour l’Otan. Le Kremlin a promis des « contre-mesures » face à l’élargissement de l’Alliance, un signe de son mécontentement, mais je vois mal ce que Moscou va pouvoir faire concrètement.

Faut-il s’attendre à une adhésion suédoise à l’Otan d’ici le sommet de l’Alliance atlantique à Vilnius, en juillet, comme l’espèrent la plupart des dirigeants alliés ?

Ankara n’a pas encore donné son feu vert. Le veto turc à l’adhésion de la Suède, pays qui compte de nombreux ressortissants kurdes, dont des militants du PKK, est surtout une question de principe et de politique interne : en vue des élections de la mi-mai en Turquie, Recep Tayyip Erdogan veut mettre en évidence, aux yeux de l’électorat turc, sa détermination à lutter contre le PKK, organisation considérée comme terroriste. Néanmoins, son obstination à bloquer l’entrée de la Suède dans l’Otan lui fait perdre, en Occident, le crédit qu’il a acquis en parrainant l’accord entre Moscou et Kiev sur l’exportation de céréales ukrainiennes.

Dans le contexte de l’invasion de l’Ukraine, la Finlande a renoncé à son statut de neutralité et la Suède y est prête elle aussi. Un changement majeur à l’échelle du continent ?

La Finlande et la Suède ont longtemps cultivé leur neutralité militaire. Pendant la guerre froide, ce statut leur a permis d’entretenir de bonnes relations avec l’Ouest et le bloc soviétique. A présent, le continent européen apparaît de plus en plus clairement coupé en deux. Les « zones grises » qui existaient entre la Russie et l’Union européenne s’estompent, ce qui accentue les risques de confrontation.

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D’autres exemples pour illustrer cette coupure de l’Europe de plus en plus marquée ?

La vassalisation très avancée du Belarus est l’un des aspects les plus frappants de cette division continentale devenue plus dure. Vladimir Poutine a fait savoir que la Russie allait déployer des armes nucléaires tactiques chez son voisin et y construire un dépôt d’armement nucléaire. Minsk a confirmé la décision. Le commandement militaire et politique biélorusse perd toute autonomie. Le Kremlin ordonne, le président Alexandre Loukachenko s’exécute (NDLR : en 2014, il avait refusé de reconnaître formellement l’annexion de la Crimée par la Russie et avait été un médiateur, accueillant dans sa capitale les pourparlers russo-ukrainiens).

La division de l’Ukraine en deux zones, dont une occupée par l’armée russe, est un autre aspect de la fracture continentale dont vous parlez ?

Certainement. D’une certaine manière, l’Ukraine était un Etat tampon entre la Russie et l’Ouest. Depuis l’invasion russe de l’an dernier, le pays est scindé en deux : plusieurs zones de l’est et du sud de l’Ukraine ont été annexées par la Russie et en partie occupées par l’armée russe, tandis que le reste du pays est resté sous le contrôle du gouvernement de Kiev. La suite du conflit nous dira où sera fixée la ligne de partage. Si reconquête ukrainienne il y a, l’Ukraine fera partie de l’architecture de sécurité européenne. Si l’Ukraine tombe dans le giron russe, nul doute que la Moldavie sera la prochaine cible du Kremlin. Du nord au sud de l’Europe, la ligne de fracture entre la Russie et l’Ouest est de plus en plus visible.

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