L’ emploi des drones d’attaque est, pour la Russie, une mesure d’économie. © getty images

Ukraine : quelle parade face aux drones et missiles russes?

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Les nouvelles frappes contre les installations électriques ukrainiennes s’ajoutent aux attaques répétées lancées sur Kiev et d’autres grandes villes avec des drones kamikazes. Quelle peut être la parade contre ces engins low cost et les missiles russes?

Sirènes d’alerte aérienne, cris de panique, tirs en l’air… Des drones tueurs chargés d’explosifs ont secoué une nouvelle fois Kiev et d’autres villes d’Ukraine cette semaine, semant la terreur parmi les civils, incendiant des bâtiments et faisant plusieurs victimes. Les frappes russes continuent aussi à endommager les installations électriques du pays. Plus de 30% des infrastructures d’énergie auraient été touchées, ce qui semble indiquer que Vladimir Poutine cherche à briser la capacité de résistance ukrainienne par le froid, attendu d’ici deux ou trois semaines.

Livrés à l’armée russe fin août, les drones iraniens longue portée Shahed 136 (voir infographie), rebaptisés Geran-2 (Géranium-2) par les Russes, ont la forme d’une aile delta, pèsent environ deux cents kilos et ont une pointe de vitesse d’ à peine 185 km/h. Tirés en salves à partir du Bélarus ou de la Crimée, ils sont bruyants comme une tondeuse à gazon et leur cible est préprogrammée par GPS. L’ emploi de ces drones d’attaque est, pour la Russie, une mesure d’économie: le prix de vente d’un exemplaire est d’environ 20 000 dollars, alors que la valeur d’un missile russe Kalibr atteint 6,5 millions de dollars et celle d’un missile de croisière russe Kh-101 frôle les 13 millions de dollars. Moscou a aussi obtenu de Téhéran la fourniture de drones Mohajer-6, commande qui constitue pour la Russie un autre aveu d’échec industriel. Ce drone d’observation et d’attaque est la réponse russe au redoutable drone tactique Bayraktar TB2, de fabrication turque, utilisé par l’Ukraine. Décryptage de cette nouvelle phase du conflit avec Samuel Longuet, chargé de recherche au Grip, le Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité.

Drone iranien Shahed 136
Drone iranien Shahed 136 © National

L’ armée russe conserve la capacité de frapper l’Ukraine n’importe où, n’importe quand, avec ses missiles ou ses drones de fabrication iranienne. A-t-on sous-estimé ce pouvoir de nuisance?

Les Ukrainiens et leurs alliés occidentaux ont toujours été conscients que l’armée russe avait cette capacité. Ces deux dernières semaines, des drones iraniens ont été utilisés en Ukraine. Mais, selon les renseignements américains, l’Iran livrera aussi à la Russie des missiles balistiques sol-sol.

Cette menace permanente par les airs change-t-elle la donne sur le plan stratégique?

Les attaques russes contre des infrastructures civiles ont peu d’incidence sur le front à court terme. C’est à moyen ou long terme que la question se pose. Les destructions d’infrastructures énergétiques peuvent considérablement compliquer l’hiver pour la population ukrainienne.

La Russie dispose-t-elle encore de beaucoup de missiles de haute précision?

Le ministre ukrainien de la Défense assure que la Russie a épuisé les deux tiers de son stock de missiles de croisière. Le 12 octobre, il ne lui en restait plus, selon le ministre, que 609 sur les 1 844 qu’elle avait lors de l’invasion de l’Ukraine. Cette information est à prendre avec des pincettes, puisqu’elle vient d’un des belligérants. Il faut garder à l’esprit que l’armée russe n’utilisera pas tout son stock de missiles en Ukraine. Elle doit garder une réserve en cas de confrontation directe avec une grande puissance. Il faut aussi prendre en compte les éventuelles livraisons iraniennes.

Plusieurs pays occidentaux ont promis de fournir à l’Ukraine des systèmes de défense antiaérienne. Quelle sera leur efficacité?

La défense ukrainienne dit avoir intercepté plus de la moitié des missiles envoyés par les Russes lors des bombardements du 10 octobre. A nouveau, les chiffres ont été fournis par l’un des belligérants et sont donc difficiles à vérifier. Mais l’information confirme que l’Ukraine a déjà des capacités antimissiles. Les Occidentaux les renforceront. Les Etats-Unis ont promis huit systèmes Nasams, batterie de missiles sol-air norvégienne destinée à la lutte antiaérienne à moyenne et longue portée. La livraison de cette arme sera accélérée à la suite des dernières attaques. L’Ukraine a reçu de l’ Allemagne un premier système de défense aérienne Iris-T. D’autres seront livrés l’an prochain. Ce sont des systèmes à moyenne portée, de 25 à 50 kilomètres. La France promet de fournir à l’Ukraine trois ou quatre systèmes de défense aérienne de courte portée Crotale, qui sont plutôt des systèmes antiair qu ’antimissile. Le président Macron a insisté sur le rôle que ces Crotale pourraient avoir pour abattre les drones utilisés par les Russes.

Samuel Longuet
Samuel Longuet © DR

Tous ces systèmes, très divers, constitueront-ils, à terme, le bouclier antimissiles réclamé par le président Zelensky?

Il sera quasi impossible de former une bulle de défense imperméable aux attaques d’avions, de drones et de missiles. La défense antimissile parfaite n’existe pas. Les systèmes Patriot déployés par l’ Arabie saoudite ont échoué à intercepter plusieurs des missiles tirés par les rebelles houthis depuis le Yémen. Israël affirme que son système de défense aérienne mobile Iron Dome, le Dôme de fer, est capable d’arrêter plus de 90% des roquettes palestiniennes tirées depuis la bande de Gaza, mais il s’agit dans ce cas-ci de protéger un petit territoire contre des roquettes artisanales non guidées. Le défi est d’une tout autre dimension pour l’Ukraine.

L’ armée ukrainienne continue à grappiller du terrain près de Kherson, dans le sud, et des combats acharnés se poursuivent aussi à l’est, où les Russes ont tenté une percée vers Bakhmout. Comment pourraient évoluer les lignes de front?

Les forces russes progressent vers Bakhmout depuis un mois, mais lentement. Leurs dernières attaques contre la ville ont été repoussées par les Ukrainiens. A Kherson, les «évacuations» de civils sont à lier à la pratique de transferts forcés de la population ukrainienne vers la Russie. C’est constitutif d’un crime de guerre, comme l’a documenté l’ONG Human Rights Watch.

Suivez notre live sur la guerre en Ukraine, toutes les dernières informations en direct

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire