Par sa disponibilité et sa maniabilité, le char Leopard 2 de fabrication allemande est le plus adapté pour appuyer l’effort ukrainien de reconquête. © getty images

Ukraine : les chars Leopard terrasseront-ils l’ours russe ?

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Les chars lourds Leopoard que les Occidentaux commencent à accepter de livrer doivent aider les Ukrainiens à reprendre l’initiative. Mais les Russes prépareraient aussi une offensive. Armer l’Ukraine peut-il les en dissuader?

La vérité d’un jour n’est pas celle du lendemain. En particulier dans le déroulement d’une guerre où les rapports de force, les objectifs, les arrière-pensées évoluent. Il fut un temps où, dans leur soutien à l’Ukraine contre l’invasion russe, les Occidentaux refusaient d’envisager de livrer des armes dites «offensives». La crainte était qu’ Américains et Européens apparaissent comme des belligérants. La même raison fut opposée au président Volodymyr Zelensky quand il demanda l’instauration d’une zone d’exclusion aérienne au- dessus du territoire de son pays pour priver l’armée russe de l’ avantage de son aviation. C’était logique, faire respecter cette zone aurait ouvert la possibilité d’affrontements entre des avions de l’Otan et des appareils russes. Trop risqué.

La montée en gamme de l’aide occidentale à l’Ukraine s’inscrit dans le cadre d’une course contre la montre et d’une épreuve de force.

L’interdit court toujours. En revanche, celui de l’envoi d’armes offensives est désormais levé. Peut-être parce que cette distinction avec d’autres armements «défensifs» n’est pas jugée pertinente par plusieurs experts militaires. Surtout parce que l’évolution de la guerre – elle est désormais inscrite dans le temps long et une grande offensive russe est de plus en plus plausible – impose d’autres réponses aux Occidentaux.

Convaincre les Allemands le livrer des chars Leopard

Le Royaume-Uni a donc brisé un tabou, le 14 janvier, en annonçant l’envoi en Ukraine «dans les prochaines semaines» de quatorze chars lourds Challenger 2. La décision devrait ouvrir la voie à d’autres. La réunion des alliés, prévue le 20 janvier à Ramstein, en Allemagne, pourrait en fournir l’occasion. «Les autorités de défense et de sécurité du pays pensent qu’une fenêtre d’opportunité s’est ouverte alors que la Russie est sur la défensive à cause de problèmes de ravitaillement et un moral en berne. Le Premier ministre encourage les alliés à déployer leur soutien à l’Ukraine le plus vite possible», a commenté le cabinet de Rishi Sunak, au 10 Downing Street.

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L’ Allemagne est aux premières loges des pays concernés par cet appel du pied britannique. Parce qu’elle n’a pas fait montre d’un grand empressement à alimenter l’effort de guerre depuis le début du conflit, parce qu’elle dispose de chars Leopard 2 qui correspondent parfaitement aux besoins ukrainiens et parce que son blanc-seing est requis pour que d’autres Etats qui en possèdent puissent les fournir à Kiev. La Pologne et la Finlande en ont fait la demande à Berlin. En fonction de la décision allemande, un mouvement sera enclenché ou non pour élever le niveau d’équipement de l’armée ukrainienne et remplacer les T-72 soviétiques dépassés dont elle disposait avant la guerre de février 2022 ou dont elle a hérité d’autres pays européens depuis son déclenchement. Mais ses besoins sont énormes: trois cents chars lourds et sept cents véhicules d’infanterie de combat, selon le ministre ukrainien de la Défense.

Le 11 janvier à Lviv, le président polonais Andrzej Duda a promis à son homologue ukrainien une douzaine de chars lourds Leopard. Si l’Allemagne y consent...
Le 11 janvier à Lviv, le président polonais Andrzej Duda a promis à son homologue ukrainien une douzaine de chars lourds Leopard. Si l’Allemagne y consent… © belga image

Les chars Leopard, les plus disponibles

Pourquoi la position de l’Allemagne est-elle à ce point capitale? Les chars Abrams américains, les Leclerc français, qui pourraient aussi être fournis à l’Ukraine, et même les Challenger britanniques sont sophistiqués. Ils demandent un temps de formation tellement long et des entretiens tellement fréquents que leur utilisation sur le champ de bataille ne pourrait intervenir que dans de nombreux mois et imposerait des contraintes difficilement soutenables. En comparaison, les Léopard 2 allemands sont le compromis idéal entre efficacité et opérationnalité. Ils sont disponibles en nombre, 2 200 dans les stocks européens, selon certaines sources, parce qu’ils ont été largement exportés par l’Allemagne. Et les Polonais sont prêts à en livrer rapidement et ont même les moyens d’assurer leur maintenance, à proximité de l’Ukraine.

La question de la mise à disposition de Leopard 2 est surtout un dilemme interne au gouvernement allemand.

La question de la mise à disposition de Leopard 2 est surtout un dilemme interne au gouvernement allemand. Ses différentes composantes, sociale-démocrate, éco- logiste, libérale, s’accorderont-elles sur un feu vert? C’est le SPD du chancelier Olaf Scholz qui semblait le plus réticent à y souscrire. Mais le remplacement de la ministre de la Défense, la sociale-démocrate Christine Lambrecht, qui a démissionné le 16 janvier après une succession de bourdes, par Boris Pistorius, pourrait faciliter la conversion du parti au «projet Leopard». Le gouvernement allemand souhaitera peut-être aussi recevoir l’aval de ses partenaires de l’Otan pour donner une dimension collective à la décision et ne pas apparaître, aux yeux de Moscou, comme le principal promoteur de la contre-attaque ukrainienne dans un pays où a prospéré, il n’y a pas si longtemps, un tropisme prorusse.

Capacité offensive

Si l’envoi de centaines de chars lourds est accepté par les Occidentaux, cet apport à l’armée ukrainienne pourrait modifier le cours du conflit. «A ce moment-là, l’Ukraine disposera d’une solide capacité offensive, soit pour contrer une attaque russe, soit pour libérer une partie de son territoire en en lançant une elle-même. Si on fournit des chars, il est clair que la situation changera», souligne Kris Quanten, professeur d’histoire militaire à l’Ecole royale militaire (ERM).

La montée en gamme de l’aide occidentale s’inscrit dans le cadre d’une course contre la montre et d’une épreuve de force. Le changement du commandement russe en Ukraine, confié désormais au chef d’état-major de l’armée Valeri Guerassimov (lire en page 21), et, surtout, la nécessité pour Vladimir Poutine d’inverser le cours, défavorable depuis plusieurs mois, du conflit incline à penser que la Russie lancera une nouvelle offensive en Ukraine. Les Russes ont pour eux la loi du nombre. Une première «mobilisation partielle» décrétée en septembre 2022 avait permis de recruter, selon les chiffres russes, 318 000 soldats. Une deuxième pourrait être lancée avec l’objectif d’embrigader 500 000 combattants de plus. L’Ukraine n’a pas le même réservoir humain.

Les Russes prévenus

Mais elle peut compenser cette «lacune» par une formation plus affûtée, de meilleurs équipements et une motivation plus grande des troupes. «Les Ukrainiens pourront bénéficier d’un dispositif anti- aérien très performant avec deux systèmes Patriot. Le premier, livré par les Américains, pourrait être installé près de Kiev. Le second, fourni par les Allemands, pourrait être déployé en fonction de l’origine de l’éventuelle offensive russe. L’ avantage est substantiel en cas d’attaque», précise Kris Quanten.

Le professeur d’histoire militaire attribue aussi une valeur de dissuasion à la livraison de ces équipements. «Les Ukrainiens obtiennent de plus en plus d’armements très performants. En agissant de la sorte, les Occidentaux envoient aussi un message aux Russes pour leur dire: “Faites attention, si vous envisagez de lancer une offensive, les Ukrainiens auront de quoi vous contrer, avec un système antiaérien et des blindés efficaces.”» Le printemps s’annonce crucial pour l’issue de la guerre en Ukraine.

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