Les sondages placent l'iconoclaste concurrent en tête pour l'investiture démocrate dans l'Iowa et le New Hampshire, premiers Etats à voter, début février prochain. Les choses pourraient se compliquer en Caroline du Sud, étape suivante des primaires. © E. thayer/reuters

Pete Buttigieg, l’outsider qui monte

Le Vif

Jeune, polyglotte, vétéran de l’Afghanistan, gay et chrétien pratiquant, le maire démocrate de South Bend (Indiana) brigue la Maison-Blanche. Un pari osé. Mais pas fou.

Et si c’était lui ? Un pays – les Etats-Unis – qui a choisi comme président un Noir, Barack Obama, puis un animateur de télé-réalité milliardaire, Donald Trump, pour lui succéder est parfaitement capable d’accueillir à la Maison-Blanche le premier leader ouvertement gay de son histoire ! En attendant la présidentielle du 3 novembre 2020, Pete Buttigieg (prononcez :  » boutédèdge « ) est, en tout cas, bien parti pour créer l’événement. En fait, c’est déjà le cas : à la surprise générale, depuis la mi-novembre dernier, les sondages le placent en tête de la course des primaires pour l’investiture démocrate dans l’Iowa (centre du pays, trois millions d’habitants) et le New Hampshire (côte Est, 1,3 million d’âmes), les premiers Etats à se prononcer pour le choix du candidat du parti à la présidentielle, les 3 et 11 février prochains.

ses talents de réthoricien ne sont pas si loin de ceux de barack obama.

Dans ces deux Etats, l’outsider de 37 ans, qui est le maire de South Bend (Indiana), une commune de 100 000 habitants, obtient respectivement 24 % et 20 % d’intentions de vote et devance nettement ses concurrents septuagénaires : Bernie Sanders, Elizabeth Warren, Joe Biden – dans cet ordre-là. L’entrée tardive dans la course des primaires, fin novembre, de l’ancien maire de New York Michael Bloomberg pourrait toutefois modifier la donne.

Certes, l’Iowa et le New Hampshire ne représentent que deux Etats sur 50, mais l’histoire montre que terminer en tête des premiers scrutins peut déterminer la suite des primaires.  » S’il remporte l’Iowa et le New Hampshire, il se met en position de gagner les primaires démocrates, confirme Geoffrey Layman, professeur de sciences politiques à l’université Notre Dame à South Bend.

En 1976, Jimmy Carter, obscur gouverneur de Géorgie, avait réussi cette performance… qui l’avait propulsé vers l’investiture démocrate puis la présidence. Sans avoir gagné dans le New Hampshire, Barack Obama a, lui aussi, amorcé une dynamique gagnante avec sa victoire dans l’Iowa en 2008.

Avec son pedigree, Pete Buttigieg possède déjà tous les ingrédients pour un bon storytelling. Et de quoi devenir un personnage médiatique. Maire démocrate dans un Etat pro-Trump, ce fils d’un professeur de littérature est à la fois un diplômé de Harvard, un vétéran de l’US Navy (il a passé huit mois en Afghanistan), un fervent fidèle de l’Eglise épiscopale et un homosexuel assumé. Depuis 2018, il est marié à Chasten Glezman, 30 ans, un professeur de lycée qu’il a connu via une application de rencontre.

Enfin, ce candidat  » ovni  » est polyglotte : il parle plus ou moins couramment le français, le dari (parlé en Afghanistan), le norvégien, le maltais, l’arabe, l’espagnol, l’italien.  » Par-dessus le marché, c’est un excellent débatteur avec une pensée très structurée, comme l’ont montré ses différentes prestations lors des premiers débats télévisés entre précandidats démocrates, constate J. Miles Coleman, éditeur associé de la newsletter Sabato’s Crystal Ball, publiée par le Center for Politics de l’université de Virginie. Ses talents de rhétoricien ne sont pas tout à fait du niveau de ceux de Barack Obama, mais il n’est pas loin.  »

Le candidat (à dr.) et son mari, Chasten, en couverture de Time.
Le candidat (à dr.) et son mari, Chasten, en couverture de Time.

Ancré dans la culture du Midwest, où les valeurs chrétiennes dominent, Pete Buttigieg concilie son homosexualité et sa foi pour mettre en avant son humanisme.  » Dans ses discours, il évoque souvent la religion, reprend le politologue de South Bend Geoffrey Layman. Parmi les candidats démocrates, qui en parlent peu, il est clairement à part.  »

 » Mayor Pete  » – son surnom – affiche en outre un bon bilan en tant que maire de South Bend, une ville industrielle en déclin depuis les années 1960.  » Avant son élection en 2011, South Bend était considérée comme la troisième commune la plus malheureuse des Etats-Unis, poursuit Layman. Depuis, il a revitalisé le centre-ville, attiré de nouveaux business et insufflé un état d’esprit positif.  »

Journaliste au South Bend Tribune depuis un demi-siècle et mémoire vivante de la ville, Jack Colwell ajoute :  » Buttigieg a été un maire très populaire. Il a remporté son premier mandat haut la main et a été réélu avec un score en hausse. S’il avait décidé de se présenter une troisième fois, il aurait fait encore mieux.  »

Son principal problème est l’électorat noir. Auprès de celui-ci, sa popularité tourne actuellement autour de… 0 %.  » Il est possible que cette impopularité s’explique par son homosexualité, car sur les questions sociétales, les démocrates afro-américains, ainsi que les latinos, sont habituellement plus conservateurs que les Blancs « , reprend J. Miles Coleman, de l’université de Virginie. De plus, Buttigieg traîne comme un boulet sa première grande décision en tant que maire : il avait congédié le premier chef de la police afro-américain qu’ait connu South Bend.

 » En réalité, explique le journaliste vétéran Jack Colwell, le police chief avait placé sur écoute certains officiers blancs de son commissariat ; son licenciement n’avait donc rien à voir avec sa couleur de peau, mais cette image est restée.  » Certains reprochent aussi au maire de n’avoir pas assez embauché de policiers noirs.  » Mais la vérité, poursuit Colwell, c’est que la municipalité peine à recruter des policiers tout court. Trop de gens dénigrent la police et ne lui font pas confiance. Personne ne veut rejoindre ses rangs.  »

La question du vote noir n’a rien d’anecdotique. Si elle pèsera peu lors des primaires de l’Iowa et du New Hampshire, début février, elle sera déterminante en Caroline du Sud, le 29 du même mois. Dans cet Etat du Sud où vivent cinq millions d’habitants, un électeur sur trois est un Afro-Américain. Or, seulement 1 % des Noirs seraient prêts à choisir Buttigieg. Pour convaincre cet électorat, le candidat s’aventure en terrain glissant. Lors d’un récent débat télévisé, il a expliqué que le fait d’être gay lui permettait de mieux comprendre la lutte des Noirs contre les discriminations.

Il y a sans doute du vrai dans cette affirmation. Mais certains Afro-Américains ont immédiatement critiqué cette prise de position. Pour Oliver Davis, conseiller municipal noir de South Bend,  » les Afro-Américains n’ont pas, comme les gays, la possibilité de faire leur coming out au moment où ils le décident « , orientant ainsi la discussion vers la  » concurrence des mémoires « . Candidate démocrate et rare élue de couleur au Sénat, Kamala Harris en a profité pour tacler son rival des primaires en le qualifiant de  » naïf « . Mais rien n’est perdu pour Pete Buttigieg. Il lui reste deux mois et demi pour déployer son habileté rhétorique. Et convaincre les Noirs américains qu’un homme comme lui peut succéder à Donald Trump.

Axel Gyldén et Corentin Pennarguear

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