Après un mois et demi de combats intenses à Gaza, une trêve devrait être instaurée durant quatre jours.

La trêve à Gaza sera-t-elle réellement respectée ? « Il reste encore un point d’interrogation » (interview)

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

Dans la nuit de mardi à mercredi, le gouvernement israélien a approuvé un accord prévoyant la libération d’otages détenus par le Hamas, en échange d’une trêve des combats à Gaza. Ce cessez-le-feu sera-t-il réellement respecté ? Quelle tournure prendra le conflit à l’issue de ces quatre jours de « pause humanitaire » ? Décryptage avec Elena Aoun, professeure en relations internationales à l’UCLouvain.

Premier signe de répit dans le conflit entre Israël et le Hamas. Dès jeudi matin, les combats dans la bande de Gaza devraient connaître une période d’accalmie, après cinq semaines de barbarie. Cette trêve de quatre jours intervient dans le cadre d’un accord conclu mardi soir, permettant la libération d’otages israéliens en échange de celle de prisonniers palestiniens.

Ce compromis, longuement négocié par les diplomaties qatarie, égyptienne et américaine, devrait aboutir à la libération d’un total de 50 otages côté israélien, contre 150 prisonniers palestiniens. La trêve doit également permettre l’entrée de davantage de convois humanitaires à Gaza, confrontée à un siège total imposé par Israël depuis mi-octobre.

Pour Elena Aoun, professeure en relations internationales à l’UCLouvain, cette pause humanitaire constitue une « opportunité », dont la communauté internationale doit se saisir pour jeter les bases d’une solution de paix durable.

Concrètement, comment cette trêve va-t-elle se mettre en œuvre sur le terrain ?

Elena Aoun : Les termes de cette période d’accalmie à Gaza restent flous. On ne sait pas encore si on parle d’un gel total des opérations et des combats. Apparemment, l’armée israélienne cesserait de déployer ses avions dans le sud de la bande de Gaza, mais va-t-elle continuer à opérer dans le nord? On reste dans l’expectative. Le flou règne également sur le respect de ces termes. Entre ce qui est écrit sur le papier et la réalité, il y a parfois un monde. Historiquement, on sait bien que les différentes parties, y compris Israël, cherchent parfois à asseoir leur avantage dans les dernières minutes voire les dernières secondes avant la cessation des combats. Cette tentation pourrait encore être présente.

Une fois enclenché, le cessez-le-feu va-t-il réellement être respecté ?

Vu le temps consacré à aboutir à cet accord, les deux parties ont tout intérêt à s’y tenir. D’un côté, il y a un acteur étatique, Israël. Généralement, il est beaucoup plus facile pour un Etat d’imposer à son armée une cessation totale des hostilités. De l’autre côté, le Hamas est en train de jouer sa crédibilité. Donc il a tout intérêt à respecter cette accalmie, ne serait-ce qu’au regard de la population palestinienne. Après, il reste encore un point d’interrogation: certains soldats israéliens isolés ou certains activistes du Hamas - voire d’autres groupuscules comme le djihad islamique à Gaza – pourraient-ils poursuivre sporadiquement les combats ? Ce n’est pas à exclure. Mais dans l’ensemble, si les termes de l’accord sont clairs dans le chef des deux parties, il y a de fortes chances qu’ils s’y tiennent. En tout cas à Gaza. Se pose alors la question de ce qu’il va se passer en Cisjordanie ou sur le front israélo-libanais, où les combats connaissent ces derniers jours une dynamique ascendante.

Les termes de l’accord, qui prévoient la libération 150 prisonniers palestiniens contre « seulement » 50 otages israéliens, sont-ils disproportionnés ?

Il est inconcevable de raisonner en termes de « proportion ». Il faut recadrer le débat dans le contexte plus large du conflit israélo-palestinien, qui a toujours été asymétrique. Depuis des années, le phénomène d’emprisonnement est un des innombrables outils de l’occupation israélienne pour asseoir son contrôle sur la population palestinienne. Cet emprisonnement est un phénomène quasi permanent : plusieurs milliers de Palestiniens croupissent dans les geôles israéliennes depuis des années, et environ 2.500 personnes supplémentaires ont été privées de liberté depuis le 7 octobre dernier. Les deux parties ne jouent pas du tout dans la même cour. On ne peut pas parler de « proportion » au vu des antécédents du conflit.

Les Etats-Unis, l’Egypte et surtout le Qatar négociaient cet accord depuis cinq semaines, en vain. Pourquoi intervient-il maintenant ?

D’abord, il y a une évolution dans la prise de conscience internationale du coût humain de la campagne israélienne à Gaza. On assiste à un crescendo dans l’intensité des conflits, qui causent un nombre incalculable de victimes, en plus des violations tangibles du droit international. Cela a déjà agi comme un incitant pour certaines diplomaties. Ensuite, je pense que du côté israélien, il y a une pression de plus en plus marquée de la part des familles des otages. On imagine aisément la détresse dans laquelle ces proches sont plongés depuis cinquante jours. Enfin, malgré l’impression d’hermétisme qu’ils peuvent parfois renvoyer, les dirigeants israéliens doivent réaliser qu’il devient difficile d’obtenir gain de cause uniquement par le tout-militaire. Jamais la force n’a permis de libérer un seul otage. Toutes ces circonstances ont abouti à un impératif d’action, dans le chef de toutes les parties, et ont permis d’atteindre une sorte de "momentum".

Et maintenant ? Quelle tournure va prendre le conflit à l’issue de cette trêve ?

Ce qui m’inquiète, c’est que les diplomaties occidentales – américaines, européennes - ne semblent pas tenter de s’engouffrer dans la brèche de cet accord pour aboutir à un cessez-le-feu plus durable. Certes, elles s’en réjouissent, y voient une occasion d’alléger les souffrances du peuple gazaoui, mais dans le même temps, on ne perçoit aucune impulsion pour essayer de transformer cette accalmie en une véritable opportunité de s’attaquer aux bases du problème. Evidemment, on ne solutionnera pas définitivement le conflit dans les semaines à venir, mais je pense qu’il y a quelque chose à faire maintenant. Or, je ne vois pas les diplomaties occidentales se mettre en ordre de marche. Ce faisant, elles ont l’air d’acquiescer au caractère inéluctable d’une reprise des hostilités et à la poursuite des objectifs militaires israéliens. Cette attitude contraste avec celle des diplomaties régionales (Jordanie, Egypte, Turquie, Qatar…), qui expriment instamment leur souhait d’aboutir à un cessez-le-feu plus pérenne et de plancher véritablement sur un début de solution au conflit.

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