Israël est déterminé à mener une «opération terrestre d’ampleur» dans la ville de Rafah, malgré le risque de lourdes pertes humaines parmi les civils. © Getty Images

Pourquoi Netanyahou est prêt à défier Biden en attaquant Rafah

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Le Premier ministre israélien est décidé à mener une «offensive terrestre majeure» sur la ville du sud de la bande de Gaza. Une «erreur», selon l’administration américaine.

Une «offensive terrestre majeure» et ses conditions: c’est autour de cette notion qu’Israéliens et Américains doivent discuter à Washington. De l’issue de ce dialogue et de sa réponse sur le terrain devrait dépendre la nature des relations entre les deux alliés au moins jusqu’à la prestation de serment, en janvier 2025, du président américain réélu à l’issue de l’élection du 5 novembre (et si l’actuel locataire de la Maison-Blanche n’y prolonge pas son bail). L’éventuelle offensive majeure concerne la ville de Rafah, dernière étape présumée des opérations de l’armée israélienne dont les objectifs fixés après le massacre du 7 octobre par le Hamas sont l’éradication du groupe islamiste palestinien, la libération de tous les otages détenus et la promesse que le territoire palestinien contigu à la Méditerranée ne constituera plus une menace pour l’Etat hébreu.

Pour le gouvernement de Benjamin Netanyahou, cette offensive militaire est la condition indispensable à la réalisation de ces objectifs. Pour l’administration de la présidence Biden, la mener serait «une erreur» et une autre option pourrait être préférable pour les atteindre. Une opération terrestre majeure à Rafah «conduirait à plus de victimes innocentes, aggraverait la situation humanitaire, déjà grave, renforcerait l’anarchie à Gaza et isolerait encore plus Israël», s’est ainsi inquiété le conseiller américain à la sécurité nationale, Jake Sullivan, le 18 mars. La discussion entre l’administration Biden et l’équipe que Benjamin Netanyahou a accepté de dépêcher à Washington doit aussi porter sur la possibilité d’une «autre approche» visant à frapper le Hamas à Rafah sans passer par une offensive terrestre majeure, a complété, en substance, le conseiller de la Maison-Blanche. Il est probable qu’il ne soit pas entendu.

«Nous avons un désaccord avec les Américains sur la nécessité d’entrer à Rafah.»

“Conclure” la guerre

Auditionné à huis clos par la commission des Affaires étrangères et de la Défense de la Knesset le 19 mars, le Premier ministre israélien a selon toute vraisemblance fermé la porte à une alternative à l’offensive terrestre majeure de Tsahal. D’après la chaîne israélienne i24News, le chef du gouvernement israélien a affirmé que «même si les Américains nous ont demandé de ne pas intervenir à Rafah, nous n’avons pas d’autre choix». «Nous avons un désaccord avec les Américains sur la nécessité d’entrer à Rafah, a poursuivi Benjamin Netanyahou. Nous ne voyons pas de moyen d’éliminer militairement le Hamas sans détruire ces bataillons restants. Nous sommes déterminés à le faire. […] J’ai clairement fait comprendre au président lors de notre conversation (NDLR: le 18 mars par téléphone) que nous sommes déterminés à achever l’élimination de ces bataillons à Rafah. […] Il n’y a pas d’autre moyen d’y parvenir qu’en intervenant au sol.»

Quatre bataillons du groupe islamiste palestinien sont retranchés à Rafah, selon les autorités israéliennes. Outre cet enjeu militaire, la ville en recèle un autre, stratégique. L’axe de Philadelphie est la bande de terre qui longe la frontière de la bande de Gaza avec l’Egypte. Son contrôle est «une nécessité stratégique pour Israël», a assuré Benjamin Netanyahou devant les députés de la commission des Affaires étrangères et de la Défense. Israël veut s’en assurer la maîtrise pour réduire les entrées d’armes depuis l’Egypte. Il projette de moderniser le poste-frontière de Kerem Shalom, à la pointe sud du pays près de l’Egypte et de Gaza, pour faciliter sa surveillance de toute la zone.

Le président Joe Biden a apporté son soutien au Premier ministre Benjamin Netanyahou, le 18 octobre 2023, après la terrible attaque du Hamas sur Israël. Depuis, les relations se sont tendues. © Getty Images

Méfiance croissante

Les atermoiements autour de la nature de l’opération que les dirigeants israéliens sont bien décidés à mener témoignent de la méfiance sous-jacente entre les deux gouvernements. Le 15 mars, le bureau du Premier ministre israélien annonçait que les plans d’action pour l’offensive à Rafah avaient été approuvés par le cabinet de sécurité. Le même jour, le porte-parole du Conseil de sécurité nationale américain, John Kirby, affirmait que Washington «souhaiterait avoir la possibilité de voir le plan» israélien. Le 18 mars, Jake Sullivan assurait encore qu’«Israël ne nous a pas présenté de plan expliquant comment, ou vers où, ils évacueraient ces civils (NDLR: de Rafah), encore moins comment ils les logeraient ou les nourriraient». Le même jour, le ministre israélien des Affaires étrangères, Israël Katz, soutenait que les Etats-Unis étaient «en accord avec Israël sur la gestion de l’incursion israélienne à Rafah»…

Malgré la volonté de part et d’autre d’afficher une unité face au Hamas et à ses alliés, certains signaux publics envoyés par Joe Biden confirment le sentiment que l’entente est loin d’être au beau fixe avec le Premier ministre israélien. Il a ainsi qualifié, le 15 mars, de «bon discours» l’allocution du chef de groupe démocrate au Sénat américain, Chuck Schumer, qui appelait la veille à la tenue d’élections législatives en Israël parce que Netanyahou et son gouvernement ne correspondraient pas aux besoins de la réalité israélienne de l’après 7-octobre. «Je pense qu’il a exprimé des préoccupations importantes, qui ne sont pas seulement les siennes mais qui sont partagées par de nombreux Américains», a indiqué un Joe Biden oublieux du feeling diplomatique qui a caractérisé sa carrière. Le 12 février, la chaîne américaine NBC avait relayé des propos privés attribués au locataire de la Maison-Blanche qualifiant Benjamin Netanyahou de «salaud», avec lequel «il est impossible de traiter».

Une vraie «ligne rouge»?

Dans le registre plus concret des mesures de rétorsion, les Etats-Unis n’ont pas hésité à sanctionner, le 1er février et à nouveau le 14 mars, sept colons israéliens pour des violences perpétrées contre des Palestiniens en Cisjordanie, avançant l’argument qu’ils représentaient «une menace grave pour la paix, la sécurité et la stabilité». Et au site Politico, des responsables américains ont laissé entendre que le maintien de l’aide à Israël à un même niveau qu’actuellement serait conditionnée à la stratégie adoptée par le gouvernement israélien à Rafah. A la question de savoir si une invasion terrestre de la localité du sud de la bande de Gaza constituait une «ligne rouge», Joe Biden a répondu de façon ambiguë, le 10 mars, dans une interview à la chaîne américaine MSNBC: «C’est une ligne rouge. Mais je n’abandonnerai jamais Israël». Il a toutefois insisté sur le fait que «nous ne pouvons pas avoir 30.000 morts palestiniens de plus», à Gaza.

Mais, au vu de la détermination affichée par les dirigeants israéliens après le traumatisme du 7 octobre, la tentative des Américains de convaincre leurs alliés de faire preuve de retenue dans la dernière phase supposée de leur guerre à Gaza apparaît définitivement illusoire. «Nous partageons l’objectif de battre le Hamas, mais nous pensons qu’il faut une stratégie cohérente et durable pour y arriver», a pourtant insisté le conseiller à la sécurité nationale, Jake Sullivan, le 18 mars. Et comme pour signifier qu’une autre tactique était possible, il a souligné qu’Israël avait «fait des progrès importants» dans sa lutte contre le Hamas. Et d’en donner pour preuve la confirmation que le numéro 3 du Hamas à Gaza, Marwan Issa, avait été tué quelques jours auparavant par Tsahal dans la bande de Gaza. Une information que n’avait même pas encore officialisée le gouvernement israélien.

La possible disparition d’Abu al-Bara, de son nom de guerre, avait été évoquée le 11 mars après une attaque israélienne sur le camp de Nuseirat, dans le centre de la bande de Gaza. Mais le corps de celui qu’Israël considère comme le concepteur opérationnel de l’attaque du 7 octobre avait été enseveli sous les décombres de l’immeuble dans les tunnels duquel il se trouvait au moment du bombardement israélien qui l’a tué.

«Nous partageons l’objectif de battre le Hamas, mais nous pensons qu’il faut une stratégie cohérente pour y arriver.»

Où sont Sinouar et Deif?

Il est difficile d’affirmer avec certitude que les deux autres «gros poissons» du Hamas qu’Israël entend coûte que coûte neutraliser, Yahia Sinouar, le chef du groupe djihadiste à Gaza, et Mohammed Deif, le commandant de sa branche militaire, les Brigades Ezzedine al-Qassam, sont cachés dans le réduit de Rafah. Israël a mené une nouvelle opération contre l’hôpital al-Shifa de Gaza-ville en début de semaine et y aurait éliminé une cinquantaine de miliciens, ce qui prouve que des combattants du Hamas sont toujours présents dans d’autres zones du territoire palestinien. Mais la probabilité de leur présence à Rafah, sauf exfiltration vers l’étranger comme cela a été évoqué un temps pour Yahia Sinouar, est tout de même élevée. Un élément qui conforte l’impératif du gouvernement israélien d’y intervenir.

Dans ce contexte, la marge de manœuvre de Joe Biden semble limitée. Le président de la plus grande puissance au monde en sera-t-il réduit à mesurer son influence sur son allié à la façon dont celui-ci assurera ou non la protection des civils de Rafah? Au vu de l’intérêt relatif porté par le gouvernement Netanyahou à cette question depuis cinq mois de guerre, Joe Biden peut d’ores et déjà se préparer à un flot de critiques de l’aile gauche de son camp démocrate. Un contexte de mauvaise augure pour l’élection présidentielle du 5 novembre que ne déplorera pas un Benjamin Netanyahou trop content à la perspective de renouer avec son «ami» Donald Trump.

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