Cette fois-ci, la réplique du Hamas à l’intervention israélienne dans la mosquée al-Aqsa est venue du Liban. © getty images

Comment les Palestiniens réactivent le front au Liban

Le Vif

Après l’intervention israélienne dans la mosquée al-Aqsa, au cours de laquelle des fidèles avaient été délogés par l’armée le 6 avril, le Hamas a répliqué. Depuis le Liban et avec l’assentiment du Hezbollah.

Le 6 avril, une pluie de roquettes s’abattait sur Israël, en réponse à la violente irruption des forces israéliennes à l’intérieur de la mosquée al-Aqsa, le cœur palestinien de Jérusalem, en plein mois du ramadan. Un scénario qui en rappelle d’autres – ce fut le cas en 2022 – à une différence près: cette offensive n’est pas partie de la bande de Gaza, sous contrôle du mouvement islamiste palestinien Hamas, mais du Liban.

Quelques heures plus tard, le 7 avril, l’armée israélienne ripostait en menant des frappes dans le sud du pays. Un niveau de tension inédit depuis 2006, lorsqu’une guerre de 33 jours avait opposé l’Etat hébreu aux combattants du groupe chiite libanais Hezbollah, et avait plongé le pays du Cèdre dans le chaos.

Aujourd’hui, tous les fronts sont imbriqués.

« Nous manquons de tout »

«Nous n’avons pas de quoi manger. Nous manquons de tout. Une guerre serait le dernier clou de notre cercueil», tempête Joumana, une Beyrouthine de 32 ans, qui voit dans ces tirs de roquettes en provenance du Liban «un acte irresponsable». Un avis qui semble largement répandu dans le pays, toutes communautés religieuses confondues: «On ne peut pas vivre éternellement sous la menace d’une guerre, qu’elle soit contre Israël ou intralibanaise, ce n’est pas possible», plaide à son tour Ali, 43 ans.

En l’absence de revendication, Israël a attribué ces frappes à des groupes palestiniens installés sur le territoire libanais. Une hypothèse crédible, puisque près de 400 000 réfugiés palestiniens y végètent toujours dans une douzaine de camps miséreux et surarmés.

Le soutien du Hezbollah

Néanmoins, beaucoup de Libanais n’imaginent pas un instant qu’une telle attaque ait pu être menée sans, a minima, l’aval du Hezbollah. Ce qui accroît encore les tensions, comme le souligne le chercheur Karim El Mufti, professeur de géopolitique à Sciences Po Paris: «Le Hezbollah, seule milice armée ayant survécu à la guerre civile et qui en vient à décider à la place des Libanais sur l’état de la guerre et de la paix, cristallise les tensions. La fracture entre les partisans du désarmement de la milice chiite et ceux qui sont favorables à ses actes de résistance ne risque pas de se résorber prochainement.»

Dans la mosquée al-Aqsa, les Israéliens disent avoir délogé des «extrémistes». De simples fidèles, pour les Palestiniens.
Dans la mosquée al-Aqsa, les Israéliens disent avoir délogé des «extrémistes». De simples fidèles, pour les Palestiniens. © reuters

Etat dans l’Etat

Cette réalité s’impose à tous au Liban. Le Hezbollah, véritable Etat dans l’Etat, dispose, grâce à son parrain iranien, d’un arsenal militaire redoutable ainsi que d’un réel savoir-faire opérationnel après sa participation à la guerre en Syrie au côté du régime de Bachar al-Assad.

Si, pour l’heure, le parti de Dieu ne semble pas avoir envie de se lancer dans une confrontation d’ampleur à sa frontière sud, il reste néanmoins un maillon essentiel d’un axe pro-iranien hostile à Israël, et est en capacité de décider unilatéralement de l’ouverture d’un front. «C’est insupportable. Mais le problème, c’est que, malgré tous ses vices et le fait qu’il a contribué à la ruine du pays, seul le Hezbollah peut défendre le pays en cas d’attaque extérieure», regrette Farah A., 28 ans, qui estime que «le pays est prisonnier de ses problèmes de toujours», et que «la moindre étincelle pourrait mener à un embrasement».

Un avis qui tranche avec l’enthousiasme agitant les milieux palestiniens, ainsi que ceux proches du Hezbollah: «Cette attaque est un chemin ouvert pour ceux qui sont capables d’en assumer la responsabilité et de payer le prix d’un engagement dans une grande bataille qui conduirait inévitablement à la confrontation attendue», écrit le quotidien Al-Akhbar, réputé proche du mouvement chiite.

Le Hamas à Beyrouth

Visiblement échaudée par le rapprochement israélo-turc, une partie de l’intelligentsia du Hamas, installée à Istanbul, a pris ces dernières années le chemin de Beyrouth. Le Liban redeviendrait-il une place forte de la résistance armée palestinienne? «Oui, mais pas à la manière des années 1960 et 1970, répond Nicolas Dot-Pouillard, chercheur en sciences politiques dans la capitale libanaise. A cette période, le cœur du mouvement national et des attaques armées était au Liban. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Le centre des résistances palestiniennes sous toutes leurs formes est à Gaza et en Cisjordanie

Néanmoins, les conséquences du réchauffement des relations opéré à partir de 2017 entre le Hamas, le Hezbollah et l’Iran ouvrent des perspectives régionales pour le moins brûlantes. D’autant que le parti palestinien a fini, lui aussi, par se rapprocher du régime syrien en 2022. «Aujourd’hui, tous les fronts sont imbriqués. Cela signifie qu’en cas de problèmes à Jérusalem, la réponse peut venir de Gaza, mais aussi de mouvements palestiniens à partir du Sud-Liban ou du Golan syrien. Et inversement, les Israéliens peuvent frapper en Syrie à la suite d’événements en Cisjordanie, comme ils l’ont déjà fait», souligne Nicolas Dot-Pouillard.

La poussée de fièvre actuelle a d’ailleurs connu une déclinaison syrienne. Après des tirs en provenance de Syrie qui ont touché, la nuit du 8 au 9 avril, la partie du Golan annexée par Israël, Tsahal a répliqué en frappant le sud du pays. L’incident est resté limité.

Un contexte libanais délétère

Wosoul K., une activiste de 28 ans, qui se dit «inconditionnellement aux côtés du peuple palestinien et de sa résistance», ne décolère pas face à ce qu’elle appelle «l’exploitation de la cause palestinienne» au nom d’intérêts politiques ou géopolitiques: «En tant que peuple libanais, nous sommes au bout de l’effondrement. Nous n’avons aucune capacité à nous engager dans des guerres avec l’étranger. Encore moins pour satisfaire les agendas politiques d’organisations.»

D’autant qu’au Liban, aucun problème de fond n’est résolu. Sans président de la République depuis le 31 octobre dernier, le pays, actuellement dirigé par un gouvernement au pouvoir extrêmement limité, ne parvient pas à sortir la tête de l’eau. «Une guerre avec Israël pourrait avoir des conséquences terribles à l’intérieur du pays, tant les points de crispation sont nombreux. La justice est toujours empêchée d’agir pour l’explosion du port de Beyrouth, les forces politiques continuent de nous voler. Je suis inquiet», conclut Ali.

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