Antony Blinken, chef de la diplomatie américaine, et Benjamin Netanyahu, premier ministre israélien.

5 questions qui peuvent décider de la tournure du conflit Israël-Gaza : «Des discussions ont lieu dans les coulisses diplomatiques»

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Netanyahu, solution à deux Etats, force multinationale, « jour d’après », financement du Hamas : voici cinq points qui pourraient déterminer le futur du conflit entre Israël et Gaza.

Passage en revue des différents enjeux qui opposent Israël et Gaza avec Michel Liégeois, spécialiste en relations internationales, président de l’Institut des sciences politiques Louvain-Europe et membre du Centre d’étude des crises et des conflits internationaux (CECRI).

1. A quel point Netanyahu est-il isolé?

Michel Liégeois: « Il ne représente plus l’avenir politique du gouvernement israélien. Ses semaines, voire ses jours, sont comptés. Certains vont même jusqu’à penser qu’il est dans son intérêt de faire durer les opérations militaires, car tant qu’on est en phase de guerre, il est plus difficile de remettre en question la configuration du gouvernement. Dès que cette phase intensive s’achèvera, on voit mal comment il pourrait rester au pouvoir.

On remarque également une fracturation de la société civile à son égard (les familles des otages s’y opposent farouchement).

Une commission d’enquête va être créée pour faire la lumière sur les défaillances des services de renseignement qui n’ont pas anticipé l’attaque du 7 octobre. Il est probable que cette commission révèle que certains avertissement avaient été transmis et qu’ils n’ont pas été considérés avec suffisamment de sérieux. A cet égard, sa responsabilité sera remise en cause.

Certains pensent qu’il est dans l’intérêt de Netanyahu de faire durer les opérations militaires, car tant qu’on est en phase de guerre intensive, il est plus difficile de remettre en question la configuration du gouvernement.

Michel Liégeois

Autre élément moins évoqué : la réforme judiciaire, que Netanyahu comptait mettre en œuvre, et que certains estimaient comme convenir un peu trop bien à son cas personnel, pour lui permettre d’éviter certains ennuis.

Netanyahu a déjà eu plusieurs vies en politique. On l’avait dit fini, mais il est revenu. Ce n’est peut-être pas la fin définitive de sa carrière, mais il va en tout cas devoir se mettre en retrait durant un certain temps. »

2. La solution à deux Etats est-elle vraiment réaliste?

Michel Liégeois: « Les démarches internationales vont dans le sens d’une solution à deux Etats. Netanyahu ne veut pas de cette option. Il le dit depuis très longtemps : on peut lui reconnaître une certaine continuité de pensée. Si Israël veut continuer à avoir des soutiens internationaux et ne pas s’isoler complètement sur le plan diplomatique, il devra à un moment accepter de rentrer dans une logique de négociations. Cela impliquerait de ne plus camper sur la politique du statu quo, qui ne cherchait pas à établir de lien avec l’autorité palestinienne ni à remettre en question la politique de colonisation, dont on sait que plus elle progresse, plus elle rend ardue la mise en œuvre d’une solution à deux Etats.

On assisterait alors à une guerre civile entre le gouvernement israélien qui aurait accepté une solution à deux Etats, et des colons qui refuseraient les conséquences, c’est-à-dire le démantèlement.

Michel Liégeois

Même si par un coup de baguette magique, un accord politique intervient pour une solution à deux Etats, on n’a encore rien résolu parce qu’elle n’est pas praticable sur le terrain, sans démanteler une part substantielle des colonies en Cisjordanie, ce qui serait pratiquement une cause de guerre civile. Car ces colonies sont pour la plupart occupées par des mouvements religieux qui n’accepteraient pas de quitter le territoire. On assisterait alors à une guerre civile entre le gouvernement israélien qui aurait accepté une solution à deux Etats, et des colons qui refuseraient les conséquences, c’est-à-dire le démantèlement. »

3. Quelles étapes une fois les opérations militaires terminées?

Michel Liégeois: « Sur le terrain, la mise en œuvre d’un Etat palestinien sur un territoire qui conviendrait à l’unanimité est complexe. Car cet Etat serait basé au minimum sur une grosse partie de la Cisjordanie, Gaza, avec, en plus, le problème de Jérusalem-Est qui se pose. Une fois les opérations militaires terminées à Gaza, les étapes pragmatiques seront de voir comment on peut organiser la situation, puisqu’Israël semble ne pas vouloir réoccuper Gaza comme il l’occupait auparavant, mais ne souhaite pas non plus en faire un terre libre d’autorité, où, de facto, le Hamas pourrait reconstituer sa structure, y compris ses moyens militaires. Inévitablement, cela se produirait puisque le Hamas bénéficie de soutiens internationaux. La question est de savoir comment on peut prévenir ce risque. »

4. L’idée d’une force multinationale pour encadrer le conflit Israël – Gaza, l’option la plus plausible?

Michel Liégeois: « Cette force multinationale pourrait être endossée par l’ONU ou une coalition de pays arabes. Mais il faut qu’elle soit acceptée des deux côtés. C’est une idée intéressante car elle permettrait de créer les conditions pour encadrer le retour de services de base à Gaza. Une priorité, au vu de la situation humanitaire dramatique.

Il faut préparer « le jour d’après », c’est-à-dire où Israël va évacuer une bonne partie de ses forces et considérera que ses objectifs de démantèlement de structures militaires du Hamas sont atteints.

Michel Liégeois

Mais si on exclut Israël et le Hamas, qui peut reprendre les rênes à Gaza ? Il faut pouvoir répondre à cette question assez urgemment. Une forme de supervision internationale pourrait donc être une solution. Ce sont les discussions qui ont lieu dans les coulisses diplomatiques. Car il faut préparer « le jour d’après », c’est-à-dire où Israël va évacuer une bonne partie de ses forces et considérera que ses objectifs de démantèlement de structures militaires du Hamas sont atteints. »

5. Israël a-t-il créé et financé le Hamas pour affaiblir Gaza?

Michel Liégeois: « Josep Borrell, chef de la diplomatie européenne, a accusé Israël d’avoir financé le Hamas. Ces propos interviennent dans le cadre d’une conférence donnée à titre personnel : ce n’est donc pas une déclaration officielle. Ils ont un fond de vérité historique dans la mesure où après la guerre des Six Jours (en 1967, NDLR.), lorsqu’Israël a occupé militairement Gaza, la seule organisation présente était celle des Frères musulmans. On se situe 20 ans avant la création du Hamas. Il est vrai qu’à l’époque, une bonne collaboration entre les autorités israéliennes occupantes et les Frères musulmans a été constatée pour administrer le territoire. Et en échange, Israël a financé une série d’infrastructures, notamment des mosquées. Précision importante : le Hamas n’est pas la transformation des Frères musulmans, c’est une émanation. En d’autres termes, tous les Frères musulmans ne se sont pas affiliés au Hamas.

Le Hamas aurait existé sous la forme que l’on connaît aujourd’hui indépendamment de l’aide qu’Israël aurait pu lui fournir.

Michel Liégeois

La tactique qui consiste à renforcer l’ennemi d’un ennemi pour l’affaiblir est vieille comme le monde. La supposition qu’Israël ait mené certaines actions visant à accroître le poids du Hamas par rapport au Fatah (l’organisation toute puissante au sein de l’Organisation de libération de la Palestine (OLB), NDLR.), ce n’est pas impossible. Cependant, si tel avait été le cas, cela n’aurait pas été décisif : le Hamas aurait existé sous la forme que l’on connaît aujourd’hui indépendamment de l’aide qu’Israël aurait pu lui fournir. Les financements du Hamas ne sont pas des petits donateurs (Iran, Qatar…) et la part qu’Israël aurait pu peser est minime.

Ce que dit Borrel n’est donc pas complètement faux, mais il manque sans doute de nuance et pourrait être mal compris. De fait, certains pourraient en déduire que si Israël n’avait pas contribué, le Hamas n’aurait pas existé. C’est difficilement défendable. »

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