Khodaryonok, l’ancien colonel russe qui ose critiquer ouvertement Poutine
La tirade contre la guerre en Ukraine de Mikhail Khodaryonok, un colonel à la retraite, à la télévision russe a fait l’effet d’une bombe. S’il s’est borné à critiquer la stratégie militaire russe, il l’a fait dans le programme d’Olga Skabaïeva, connue pour être l’une des propagandistes les plus enragées du Kremlin. Est-ce là le premier signe ostensible d’un affaiblissement du régime ?
Dans l’émission populaire 60 Minutes, l’analyste militaire et ancien colonel Mikhail Khodaryonok, a critiqué le traitement trop optimiste du conflit par les médias russes qui annoncent que l’armée ukrainienne est au bord de l’effondrement moral. Pour Khodaryonok – et il l’a annoncé sans détour en studio dans l’une des émissions les plus regardées en Russie – la réalité est tout autre. « La vérité est que, même si nous ne voulons pas l’admettre, le monde entier ou presque est contre nous. C’est une situation dont nous devons sortir ». Dans sa lancée, il précise encore que l’aide européenne sera cruciale dans l’issue de ce conflit et qu’il est nécessaire de prendre au sérieux cette menace dans « un futur très proche», car, « en Ukraine, ils ont l’intention de se battre jusqu’au dernier homme. L’Ukraine peut donc compter sur un million de soldats, très motivés et dotés d’armes occidentales modernes ». Il va aussi critiquer au passage les menaces d’armes nucléaires en les qualifiant de « presque risibles ». « La Russie s’engage sur un terrain international dangereux et tôt ou tard, la réalité historique frappera si fort que vous le regretterez », conclut-il.
Autour de la table, les autres intervenants restent cois. Même Olga Skabeyeva, la présentatrice, pourtant connue comme étant l’un des plus fervents soutiens du régime, moufte à peine et se borne à nuancer mollement quelques détails. Et la vraie surprise se situe-là. Que signifie le fait qu’on laisse parler, sur la chaîne d’état, une voix si dissonante du discours général ? Surtout lorsqu’on sait que l’homme n’est pas à sa première sortie critique envers le régime puisque début février, soit trois semaines avant le début de l’invasion, il mettait en garde Moscou contre la sous-estimation « du niveau de haine » des Ukrainiens vis-à-vis de la Russie.
Pour un politologue russe en exil Andrei Piontkovsky, interviewé par à la chaîne de télévision ukrainienne 24 Kanal, il ne s’agit là de rien d’autre que de la « première capitulation au nom des forces armées russes », car « ce n’est là pas seulement l’opinion d’un colonel dissident. C’est l’opinion générale parmi les soldats professionnels russes : nous avons perdu la guerre et nous devons prendre des décisions politiques immédiatement ».
Cette diatribe personnifie surtout les frictions de plus en plus visibles entre l’armée et le Kremlin sur ce conflit qui semble au point mort. Il est possible que Mikhail Khodaryonok soit l’incarnation de nombreux soldats qui pensent avoir été envoyés par des politiciens nationalistes trop enthousiastes, va-t-en-guerre et ignorants des questions militaires. Une piste d’autant plus probable que l’homme aux états de services et à la carrière impressionnante ne peut être traité de traître à la patrie. Parmi ses nombreuses médailles, il a même celle de « Mérite pour la patrie », décernée par Vladimir Poutine en personne en 2020.
Ce qui est certain, par contre, c’est que sa diatribe est en rupture avec le discours triomphaliste de la machine de désinformation russe puisqu’il reconnait les insuffisances logistiques de l’armée que Vladimir Poutine a lancée contre l’Ukraine. Il prend également place dans un contexte où la grogne se fait chaque jour un peu plus perceptible. La première salve est venue suite au naufrage du croiseur Moskva, qui a été coulé par des missiles ukrainiens le mois dernier. Une deuxième vague de protestation, encore plus forte, s’est fait entendre la semaine dernière, lorsque les troupes russes ne sont pas parvenues à traverser le Seversky Donets, un fleuve dans le Donbass. Avec la perte de dizaines de chars, un pont explosé et jusqu’à 500 soldats russes tués, l’opération ne pouvait pas être qualifiée autrement que de bévue.
Jusqu’à présent les critiques- qui, précisons-le, restent encore fort parcellaires-, ne concernent que les tâtonnements du commandement militaire et non pas la personne de Poutine ou sa décision d’envahir l’Ukraine. Mais, un certain mécontentement se faisant chaque jour plus perceptible, combien de temps Poutine pourra-t-il encore rejeter la faute sur les exécutants, soit le commandement militaire en Ukraine? Là est la vraie question.
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