Marco Chiesa a remis l’Union démocratique du centre sur la voie du succès électoral en Suisse. © getty images

En Suisse, la droite dure progresse: « La moralisation de la société incarnée par Les Vert.e.s a passablement agacé et divisé »

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

L’Union démocratique du centre frôle son meilleur score aux élections législatives. Mais l’exécutif pourrait être moins à droite.

Marco Chiesa a réussi son pari. Un peu plus de trois ans après son accession à la direction de la formation populiste suisse, il a remis l’Union démocratique du centre (UDC) sur la voie du succès à la faveur de son premier véritable test, les élections fédérales du 22 octobre. Forte de ses 62 élus au Conseil national, la chambre basse de l’Assemblée fédérale, et de la plus importante progression sur l’échiquier politique (+ 3 points dans les suffrages, + 9 députés), l’UDC s’impose comme le leader incontestable de la scène politique.

Le Covid et les guerres

Plusieurs facteurs ont permis cette victoire. Sous la houlette de l’ancien député du Tessin, le parti bâti par Christoph Blocher est revenu à ses fondamentaux d’extrême droite. En axant sa campagne sur «l’immigration de masse» et sur «la rupture entre le peuple et les élites», Marco Chiesa a réussi à remobiliser ses troupes et à attirer à lui un vote protestataire. Le contexte international a semblé apporter une validation de ce choix «programmatique» à travers la guerre en Ukraine et la résurgence, quinze jours avant le scrutin, du conflit israélo-palestinien. Pour le rédacteur en chef adjoint du quotidien Le Temps, Vincent Bourquin, le premier parti de Suisse «a [aussi] bénéficié de l’effet Covid, qui a fortement durci le climat politique».

La moralisation de la société incarnée notamment par les Vert.e.s a passablement agacé et divisé.

Sur ce contexte, intérieur et extérieur, propice à un bon résultat, s’est encore greffée la personnalité du nouveau chef de l’UDC. Ses «coups de gueule» ont tranché avec les méthodes plus conventionnelles de son prédécesseur, Albert Rösti (2016-2020), figure plus modérée, sur le fond aussi, du parti. A cette aune, on estime généralement que Marco Chiesa renoue avec les personnalités de Ueli Maurer (1996-2008) et de Toni Brunner (2008-2016), les dirigeants qui avaient propulsé l’UDC au faîte de sa gloire à l’occasion des élections législatives de 2015.

Le Centre central

Pour le journaliste Vincent Bourquin, contrairement à ce qui s’était passé il y a huit ans, «le succès de l’UDC ne s’accompagne pas d’une droitisation générale du Parlement». La bonne tenue du Parti socialiste (18% des voix, 41 députés, soit deux de plus qu’en 2019) accrédite ce constat. La troisième position de la formation Le Centre (14,6%, 29 élus, + 1 par rapport à 2019) aussi, bien que le succès de celle-ci soit à relativiser. Le parti centriste résulte en effet de la fusion, opérée en janvier 2021, du Parti démocrate-chrétien et du Parti bourgeois-démocrate. Or, les résultats additionnés de l’un et l’autre lors des élections fédérales de 2019 (13,82% des suffrages et 28 conseillers nationaux) révèlent, somme toute, une progression relativement réduite du camp centriste en 2023. Il n’empêche, les résultats, le 22 octobre, de l’alliance Le Centre étant malgré tout supérieurs à l’addition de ceux de ses composantes anciennement autonomes, la fusion peut être considérée comme un succès. Il est mis à l’actif du président du Centre et jusqu’en 2021, du Parti démocrate-chrétien, Gerhard Pfister.

L’abandon de la référence chrétienne dans l’appellation du nouveau parti, à l’instar de la transformation dès 2002 en Belgique du Parti social-chrétien en Centre démocrate humaniste devenu vingt ans plus tard Les Engagés, n’a en tout cas pas dérouté ses électeurs. Le Centre s’adjuge ainsi un rôle pivot dans la politique de la Confédération.

Les écologistes en difficulté en Suisse

Si l’Union démocratique du centre, le Parti socialiste et Le Centre ont progressé, c’est aux dépens des forces écologistes. La Suisse a la particularité d’en présenter deux, de sensibilités différentes sur le spectre politique. La plus puissante, Les Vert.e.s, positionnée à gauche, a perdu cinq sièges, passant de 28, en 2019, à 23 élus au Conseil national. Le contexte de la guerre en Ukraine ne l’a pas servi, à l’inverse de l’effet qu’il a eu pour l’UDC. On l’a vu aussi dans la campagne électorale au Grand-Duché de Luxembourg: l’inquiétude sur l’approvisionnement énergétique ne favorise pas l’adhésion aux programmes de restrictions motivés par la lutte contre le dérèglement climatique. Dans les colonnes du Temps, Vincent Bourquin ajoute une explication supplémentaire à ce recul: «La moralisation de la société incarnée notamment par Les Vert.e.s a aussi passablement agacé et divisé.»

L’autre formation de cette «famille» politique, Les Vert’libéraux, située au centre, a subi un revers plus important encore, perdant six sièges et n’en conservant que dix. La formation adhère, au plan européen, à l’Alliance des libéraux et des démocrates pour l’Europe, où l’on retrouve l’Open VLD, le MR et le parti Renew Europe d’Emmanuel Macron. Une analyse plus fine du résultat du scrutin du 22 octobre devrait déterminer si la désaffection des électeurs des Vert’libéraux a pu profiter à l’UDC.

Le recul des Vert.e.s exclut que le premier parti écologiste puisse briguer un poste au sein du Conseil fédéral, le gouvernement suisse. En revanche, la «formule magique» qui préside à sa composition pourrait être chamboulée par l’accession à la troisième place de l’échiquier de la formation Le Centre, aux dépens du Parti libéral-radical (27 conseillers nationaux contre 29 lors de la législature précédente, 14,4% des voix contre 14,6% pour Le Centre), relégué à la quatrième position. Le leader centriste Gerhard Pfister pourrait légitimement revendiquer un poste supplémentaire de conseiller fédéral et faire modifier la répartition qui attribue aujourd’hui deux «ministres» à l’UDC, au PS, au PLR et un au Centre. Dans cette hypothèse, la victoire de l’UDC en serait écornée puisque l’extrême droite serait confrontée à une majorité de conseillers fédéraux de gauche et du centre. Mais l’élection de ceux-ci par le Conseil national, prévue en décembre prochain, peut donner lieu à de petits arrangements et des surprises, propres au système suisse…

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