Brexit, un mois après : plus que de simples « problèmes de démarrage »
Un mois après l’entrée en vigueur de l’accord commercial, les perturbations s’accumulent. Les petits « problèmes de démarrage » décrits par Boris Johnson sont symptomatiques d’un chaos post-Brexit qui pourrait menacer de nombreuses entreprises.
Si le scénario catastrophe auquel tout le monde s’attendait n’a pas eu lieu, du moins à ce stade – pas d’énormes files de camions à Calais ou d’engorgement à Douvres -, des couacs et des perturbations n’ont cependant pas pu être totalement évités depuis la fin de la période de transition post-Brexit.
Les entreprises préviennent que les simples « problèmes de démarrage » décrits par Boris Johnson pourraient être symptomatiques d’un chaos endémique qui obligera de nombreux secteurs économiques à se restructurer et entraînera la disparition pure et simple de certaines entreprises britanniques.
Frontières
La sortie du marché unique et de l’union douanière a marqué le début de nouvelles formalités administratives douanières pour les entreprises qui font du commerce entre la Grande-Bretagne et l’Union européenne. Ces formalités ont notamment grippé la machine, au grand dam des importateurs et exportateurs parfois incapables d’acheminer des marchandises à bon port. Les PME en particulier souffrent de ces nouvelles règles.
Une enquête réalisée auprès de 185 responsables de la chaîne d’approvisionnement au Royaume-Uni et dans l’UE montre que 60% des entreprises qui se sont déclarées prêtes pour le Brexit « subissent désormais des perturbations » et des retards. 45% ont subi des retards de plus de deux jours. 27% disent que la paperasse est la principale cause de retard. 23% disent qu’ils pourraient être en rupture de stock si la situation persiste.
« Il n’y a pas assez de douaniers pour aider les exportateurs à faire leur travail« , explique à la BBC Rod McKenzie, de la Road Haulage Association dédiée au transport routier. « Et à partir du 1er février, les Français disent qu’ils commenceront à appliquer plus strictement les règles douanières et du marché unique.«
Commerce
Ces perturbations aux frontières pourraient bien avoir un impact sur le commerce. Le Brexit se serait ainsi infiltré dans toutes les parties de l’économie, affectant aussi bien les commerçants en ligne, les pêcheurs et les concessionnaires automobiles, que les banquiers et les agriculteurs.
Certains camions de transport ont notamment traversé la frontière sans marchandise pour éviter les files d’attente à la douane, ce qui a fait monter les tarifs de fret pendant six semaines consécutives, tandis que d’autres ont tout simplement évité la Grande-Bretagne. Selon les autorités françaises, « environ 50% » des camions traversant la Manche étaient vides durant le mois de janvier.
Le plus gros coup dur pour les entreprises est la règle d’origine désormais obligatoire, qui aura un impact permanent sur le commerce. Auparavant, les produits du Brexit en provenance de l’UE n’avaient pas besoin d’être certifiés comme fabriqués en Grande-Bretagne ou fabriqués dans l’UE pour être vendus librement au sein du marché unique. Mais depuis janvier, la provenance de toutes les marchandises doit être documentée, mais personne n’a été prévenu à temps quant à la méthode à employer. Résultats : cela entraîne inévitablement des retards de livraison et une augmentation des coûts.
- Retards de livraison : un port va exiger que chaque document soit estampillé individuellement, quand un autre voudra un unique timbre valable pour une série de documents. Et si ce n’est pas le bon timbre ou le bon document, la douane risque de refuser la marchandise…
- Augmentation des coûts : un bien est soumis à un tarif s’il est arrivé de l’étranger sur le territoire britannique et de là, il est envoyé vers l’Union européenne. Par exemple, une marque de vêtements qui importe des vêtements fabriqués en Chine au Royaume-Uni devra payer une taxe si elle les réexporte vers un pays membre du marché unique et de l’union douanière.
Alimentation
Tous ces retards posent surtout problème pour l’acheminement de marchandises périssables. Il y a eu de nombreux problèmes ces dernières semaines, en particulier pour la viande, le poisson ou le fromage, qui nécessitent davantage de contrôles et de paperasse administrative tels que les certificats sanitaire, de douanes ou de capture (pour la pêche).
Dans certains cas, les denrées alimentaires ne quittent tout simplement pas leurs lieux de production situés au Royaume-Uni, ou bien elles pourrissent aux postes-frontière pendant plusieurs jours.
Même le secteur de la pêche, qui était pourtant un véritable symbole britannique de leur souveraineté retrouvée, est une des nombreuses victimes de ce deal post-Brexit. Si l’accord commercial a permis aux pêcheurs anglais de récupérer des droits sur une partie des eaux britanniques, les concessions faites par Boris Johnson leur laissent un goût amer. Certains pêcheurs se retrouveront avec des quotas moins élevés de poissons les plus appréciés chez eux, comme la morue et l’églefin.
Shopping en ligne
En dehors des entreprises, il y a également eu un choc pour les consommateurs. Les citoyens britanniques qui souhaitent acheter des produits en ligne dans l’UE sont désormais confrontés à des droits d’importation et donc à des frais supplémentaires.
Avant le Brexit, les consommateurs auraient payé la TVA au taux facturé par le pays d’origine de l’article, une TVA alors appliquée au moment de l’achat. En tant que client, le prix que l’on voyait était donc le prix à payer. De nombreuses petites entreprises ou particuliers étaient alors trop « petits » pour facturer la TVA.
Depuis le Brexit, la TVA britannique s’applique à tous les achats en provenance de l’UE, même chez les petits vendeurs, qui se voient désormais facturer automatiquement la TVA britannique par les marchés en ligne qu’ils utilisent. Les consommateurs ont dès lors constaté une hausse des prix de 20% lorsqu’ils sélectionnaient le Royaume-Uni comme adresse de livraison.
De plus, au-delà de 135 livres, des droits de douane allant jusqu’à 25% peuvent également être facturés au consommateur, si tout ou une partie du produit a été fabriqué en dehors de l’UE. Certains commerces en ligne ont donc décidé d’arrêter de vendre leurs produits aux clients britanniques, afin d’éviter de payer des frais supplémentaires pour couvrir les formalités administratives douanières.
Le cas de l’Irlande du nord
Depuis la fin de la période de transition post-Brexit le 1er janvier et la sortie du Royaume-Uni de l’union douanière et du marché unique européens, des dispositions spéciales alignent la province britannique d’Irlande du Nordsur l’UE, afin d’éviter la réapparition d’une frontière dure avec sa voisine, la République d’Irlande.
Cela nécessite des contrôles sur les marchandises arrivant en Irlande du Nord depuis la Grande-Bretagne, les vérifications pour entrer dans l’UE se faisant dorénavant dès la province britannique.
La Road Haulage Association a averti que ces nouvelles formalités ont causé des problèmes importants au début d’année : la chaîne d’approvisionnement en Irlande du Nord a non seulement été « au bord de l’effondrement », confrontée à des retards de livraison, mais les supermarchés ont également rencontré « des difficultés considérables » pour remplir leurs rayons.
Autre trouble : la livraison des vaccins. Confrontée à des retards de livraisons du vaccin du laboratoire AstraZeneca, l’UE a mis sur pied un mécanisme pour contrôler les acheminements hors de l’UE des vaccins contre le Covid qui y sont produits et interdire les exportations non « légitimes ».
Un texte adopté par les Européens prévoyait de considérer l’Irlande du Nord comme un territoire d’exportation pour ce qui concerne les vaccins. Or, cette décision allait à l’encontre du protocole nord-irlandais conclu dans le cadre du Brexit, destiné à éviter le retour d’une frontière et de contrôles douaniers entre l’Irlande, membre de l’UE, et cette province britannique.
Mais l’UE a invoqué un article qui lui permet de suspendre ce protocole si son application « entraîne de graves difficultés économiques, sociétales ou environnementales ». Une décision qui a soulevé l’inquiétude et l’indignation auprès des principaux concernés. L’UE a finalement renoncé à inclure l’Irlande du Nord dans le mécanisme de contrôle des exportations de vaccins.
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(AFP)
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