Antonio Tajani, le ministre italien des Affaires étrangères, sera-t-il le plus à même de porter l’héritage de Silvio Berlusconi? © getty images

Après le décès de Berlusconi, quel avenir pour le parti Forza Italia ?

Silvia Benedetti Correspondance en Italie

Accro au combat politique dont le dernier épisode a été de fédérer toute la droite, le leader décédé n’avait pas préparé sa succession à la tête de Forza Italia.

Il pouvait se vanter d’une qualité rare: il ne laissait personne indifférent. Aimé ou détesté, respecté ou condamné, l’ancien président du Conseil italien et homme d’affaires à succès Silvio Berlusconi laisse aujourd’hui derrière lui un cortège d’amis éplorés, d’alliés se sentant désormais orphelins, mais aussi une multitude d’adversaires farouches. Celui qui s’est éteint le 12 juin à l’hôpital San Raffaele de Milan des suites d’une leucémie chronique aura accompli un dernier exploit: les Italiens s’étaient tellement habitués à l’omniprésence de son sourire joyeux que même ses pires ennemis semblent ressentir les vertiges du vide. Un vide humain autant que politique.

Forza Italia est un parti qui a toujours vécu dans le temps présent, se refusant à imaginer un futur.

Le fondateur de Forza Italia (FI), le parti libéral-conservateur, qui a fait ses premiers pas en 1994, trois fois Premier ministre, de 1994 à 1995, de 2001 à 2006 et de 2008 à 2011, s’est accroché à la vie jusqu’au bout, incapable de lâcher prise et d’imaginer un avenir où il n’aurait plus eu à jouer un rôle de protagoniste. Ainsi, «il Cavaliere», qui aimait organiser son existence de façon minutieuse et résolue, s’est longtemps refusé à préparer une succession, à désigner un dauphin pouvant prendre la relève au sein de son parti pour le relancer vigoureusement.

Un grand parti républicain

Face à l’inexorable avancée de la maladie, il s’était résigné, ces dernières semaines, à amorcer un timide remaniement de sa formation politique mais il s’y est pris trop tard: il n’a, en effet, pas eu le temps de compléter le processus. «Je ne veux plus entendre parler de disputes et de guerres personnelles», avait-il récemment avoué aux siens, alors qu’il préparait un important rendez-vous avec les ministres en fonction issus de Forza Italia pour parler de l’avenir de leur créature politique. Une rencontre qui aurait dû avoir lieu le 9 juin dans la majestueuse villa de Berlusconi, aux portes de Milan, mais qui a été annulée en raison de sa dernière hospitalisation d’urgence.

Le vieux sphinx de la politique italienne travaillait à un double projet. Il voulait que FI obtienne au moins 10% des voix aux prochaines élections européennes de 2024, et, surtout, il aspirait à jeter les bases d’une ambitieuse alliance des droites italiennes, allant du populisme souverainiste de la Ligue à la droite radicale de Fratelli d’Italia. Une grande coalition républicaine, conservatrice et chrétienne qui aurait pu se traduire aussi, à l’échelle de l’Union européenne, par un rapprochement stratégique entre le Parti populaire européen, auquel FI est lié, et le groupe des Conservateurs et réformistes européens, actuellement présidé par Giorgia Meloni, la Première ministre issue de Fratelli d’Italia. Dans ce grand dessein, il se voyait modérer avec succès les ardeurs idéologiques de ses partenaires de la droite radicale en les attirant vers le centre de l’échiquier politique. «Si ce grand parti républicain voyait le jour, il devrait représenter, exactement comme cela arrive aux Etats-Unis, une maison commune pouvant abriter des sensibilités très différentes, avait-il récemment expliqué à la presse. Mais il faudrait que cette formation affiche avec vigueur une âme libérale, modérée, européiste et atlantiste, une âme que seul FI incarne pleinement aujourd’hui.» Ce projet restera-t-il lettre morte? Seul le temps le dira.

Un savoir-faire irremplaçable chez Forza Italia ?

Il est toutefois évident que les alliés historiques de Berlusconi, la présidente du Conseil Giorgia Meloni ainsi que le capitaine de la Ligue et aujourd’hui ministre des Infrastructures, Matteo Salvini, devront composer avec un héritage en péril et une formation politique provisoirement en déroute. «Forza Italia est un parti qui a toujours vécu dans le temps présent, se refusant à imaginer un futur», a reconnu Paolo Barelli, président du groupe FI à la Chambre des députés. La pleine et dangereuse identification du parti avec son fondateur soulève, en effet, des questionnements sur sa gestion à venir. Aucun des cinq enfants du Cavaliere ne semble tenté de marcher dans les pas du vieux patriarche, qui aimait les élans et les aléas de la politique peut-être même davantage que la gestion des nombreuses entreprises qu’il a su bâtir au cours des cinquante dernières années.

Le flambeau pourrait donc être repris par le coordinateur national de FI et ami de longue date de Berlusconi, l’actuel ministre des Affaires étrangères, Antonio Tajani. Ancien président du Parlement européen, ce dernier représente, en effet, le meilleur trait d’union entre le parti et l’exécutif de Giorgia Meloni, auquel, après quelques soubresauts initiaux, le Cavaliere avait prêté fièrement et définitivement allégeance. D’autres observateurs évoquent, toutefois, la possibilité d’un retour sur l’avant-scène politique de Gianni Letta, éminence grise du centre-droit italien, voire d’une intervention active de la dernière et très jeune épouse de Berlusconi, la députée Marta Fascina. Mais sauront-ils remplacer, même temporairement, ce leader ambivalent et ambitieux, capable d’amadouer un autocrate comme Vladimir Poutine, de faire oublier ses excès caractériels et ses nombreuses gaffes grâce à l’éclat d’une blague impromptue, et de tisser des alliances inimaginables avec la force d’un volontarisme hors pair? «D’un point de vue humain, il est indéniable que Berlusconi est un homme extrêmement sympathique», avait avoué, presque en grinçant des dents, son ennemi juré de la gauche, l’ancien président du Conseil, Massimo D’Alema.

Une affabilité qui représentait un atout précieux lorsqu’il fallait rallier les électeurs – comme le vieux dirigeant a su le faire, à nouveau, au cours de la campagne électorale législative de l’été 2022 –, imposer des choix aux partenaires de coalition ou séduire des opposants considérés comme stratégiques pour l’élaboration de grands desseins politiques nationaux. Il est fort probable qu’à l’avenir, personne ne pourra le faire mieux que lui.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire