Votre banque belge pourrait-elle subir le même crash qu’aux Etats-Unis? Les réponses de deux experts

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Les faillites qui touchent deux banques américaines font craindre un effet de contagion en Europe. Pourquoi un tel choc a-t-il impacté les Etats-Unis ? Et alors que les banques européennes chutent en Bourse, risque-t-on vraiment de subir la même situation en Belgique ? Réponses avec les économistes Philippe Ledent (ING) et Bruno Colmant (ULB).

Une banque en faillite, suivie d’une autre. Les fermetures soudaines de la Silicon Valley Bank (SVB) et de Signature Bank font paniquer les marchés financiers américains… et européens. L’annonce, perçue comme une onde de choc dans le milieu, a fait plonger les banques européennes en Bourse: -6,34% pour BNP Paribas et -7,48% pour Santander ce lundi matin. Que s’est-il réellement passé, et y-a-t-il des raisons de s’inquiéter ?  

Banque: pourquoi ces deux banques américaines sont-elles tombées simultanément en faillite ?

« L’augmentation des taux d’intérêt a été très importante aux Etats-Unis, plus qu’en Europe. Cet élément déstabilise toujours les banques », contextualise l’économiste Bruno Colmant, professeur à l’ULB et membre de l’Académie Royale de Belgique. Face à cette hausse des taux, les dépôts coûtent plus cher aux banques, alors que leurs actifs valent moins. « Cela créer un effet de ciseaux négatif. C’est-à-dire qu’il y a une perte sur l’épargne et les actifs qui doit être rémunérée. La hausse des taux a été extrêmement brutale aux Etats-Unis. Quasiment le double de ce qu’on a vécu en Europe. Les banques qui n’ont pas bien géré les relations entre les actifs et les passifs sont beaucoup plus vulnérables », analyse Bruno Colmant.

Le membre de l’Académie Royale de Belgique y voit plusieurs explications. « Une des banques est spécialisée en technologies, un secteur qui a beaucoup perdu en valeur. Deuxièmement, elle a dû rémunérer ses dépôts à un taux d’intérêt élevé, ce qui lui a coûté cher. Comme des dépôts ont quitté la banque, elle a dû vendre des actifs à perte. De pertes en pertes, cela a conduit à une augmentation de capital, et à ce qu’on appelle un run sur les dépôts, c’est-à-dire une panique bancaire. »

Philippe Ledent (Senior Economist chez ING) abonde. « Quand les taux montent, la valeur des obligations diminue. Les banques qui ont des problèmes aux Etats-Unis aujourd’hui avaient une structure bilantaire assez particulière. Elles n’avaient pas acté la valeur des pertes encourues sur la valeur des obligations par la hausse des taux. »

« Ce n’est pas si étonnant que ça, car on sait qu’une augmentation de taux pose des problèmes à l’économie, ajoute Philippe Ledent. Tout le monde pense plutôt au marché hypothécaire. Mais il y a d’autres canaux via lesquels la hausse de taux peut créer des problèmes financiers. »

Trois éléments principaux peuvent expliquer les problèmes encourus par Silicon Valley Bank (SVB) et Signature Bank, selon l’économiste de chez ING.

Premier élément : « Les problèmes qui se posent sont liés à des structures assez particulières qu’on ne rencontre pas nécessairement dans beaucoup de banques. Car généralement, une banque se couvre contre la hausse de taux et la perte de valeurs d’actifs. Ces faillites sont donc liées à des acteurs qui ont des comportements assez spécifiques. »  

Deuxième élément : « Les faillites ne sont pas réellement liées à un produit financier particulier qui se révèlerait être de mauvaise qualité. C’est plutôt l’inverse : SVB était une banque qui soutenait des entreprises technologiques. Comme ces dernières finançaient un peu moins de projets, SVB avait trop de liquidités, et la banque les a investies dans des actifs à très long terme. Elle a réalisé moins de prêts aux entreprises technologiques, mais a davantage investi dans des actifs à très long terme.  Son erreur a été de ne pas couvrir ces actifs, au cas où leur valeur se replierait très fortement. Donc, la faillite n’est pas directement liée au secteur de la tech, mais davantage à la gestion bilantaire de la banque. C’est plutôt rassurant, dans le sens où le problème n’est pas lié à un produit qui est diffusé de manière très large. Cela reste une exception. »

Troisième élément, plutôt rassurant également : « Les autorités américaines ne font pas les mêmes erreurs qu’à l’époque de la crise financière. Elles mettent en place très rapidement des pare-feux pour éviter que d’autres problèmes similaires ne se rencontrent. Le régulateur permet de reprendre des actifs contre des liquidités à la valeur du marché. »

Malgré ces éléments rassurants, la vigilance est de mise. « Tous les marchés se replient, le secteur bancaire en particulier. Il faut surtout surveiller si un problème de confiance se développe, au-delà de ces problèmes isolés », pointe Philippe Ledent.

Banque: quelles conséquences ?

Pour Bruno Colmant, les autorités monétaires seront très attentives, à l’avenir, avant d’augmenter les taux d’intérêt trop fortement. « Mais ça ne va pas créer de choc systémique », précise-t-il. « Il s’agit plutôt d’un sentiment de marché. D’ailleurs, il n’y a a priori pas d’autres banques américaines touchées par un effet de contagion. »  L’économiste rassure : « Les autorités américaines ont annoncé rembourser tous les dépôts. C’est un signe très important et réconfortant pour les marchés. Si on faisait face à un risque systémique, l’Etat n’aurait pas remboursé, car le montant aurait été trop conséquent. C’est donc un problème circonscrit, qui touchera quelques petites banques. Et non un problème massif. »

Lors d’une crise bancaire, le plus grand danger n’est pas nécessairement la qualité des actifs ou le mode de financement. « Le grand danger, c’est le manque de confiance. C’est-à-dire lorsque tout le monde commence à avoir peur pour de mauvaises raisons », avance également Philippe Ledent.

Peut-on faire un parallèle avec la crise de 2008 ?

La réponse est non, pour Bruno Colmant. « Car en 2008, on retrouvait des produits toxiques qui étaient présents dans toutes les banques. C’était une bombe à fragmentation, et toutes ces bombes ont explosé en même temps. Ce qui n’est pas le cas ici, car le problème est très circonscrit. »

« Sur l’origine du problème, il n’y aucun parallèle à faire », confirme Philippe Ledent. « Car l’origine se trouvait dans un produit financier qui était largement diffusé dans toutes les banques, qu’elles soient américaines ou européennes. » Par contre, pour l’économiste d’ING, un parallèle peut être établi autour de ce problème de confiance. « L’origine du problème est beaucoup plus restreinte que lors de la crise financière. Est-ce que ça exclut tout risque sur la confiance ? Pas nécessairement », avertit-il.

Un effet de contagion en Europe ?

Pour lui, le fait que les banques européennes plongent en Bourse est aussi lié à ce problème de confiance. « Les investisseurs se disent que si une banque a dû vendre rapidement des actifs en faisant des pertes, cela pourrait arriver à n’importe quelle autre banque. Ce qui est fondamentalement exagéré. Parce qu’en principe, les banques sont beaucoup mieux couvertes et régulées en gestion de liquidités. Mais les investisseurs prennent peur et ne comprennent pas nécessairement toute la mécanique. De manière presque intuitive – certains appellent ça animal spirits – ils vendent. Le risque de contagion est davantage lié à un vent de panique qu’au fait que toutes les banques seraient sujettes au même problème. Il faut garder la tête froide et opérer cette distinction. »

« En Europe, les taux d’intérêt sont moindres qu’aux Etats-Unis », rappelle Bruno Colmant. « Il n’y a pas cette violence d’augmentation du taux des dépôts. Les banque sont beaucoup moins déstabilisées, il n’y a donc a priori pas ce risque de contagion chez nous », explique-t-il. « Mais cela rappelle au marché qu’une augmentation des taux d’intérêt trop forte n’est pas bonne pour les banques. »

Et puis, en Europe, la BCE joue son rôle de régulateur. Et impose des ratios de liquidité. « Ils font en sorte que si une banque a des besoins de liquidités, elle doit être capable de vendre rapidement des actifs sans encourir de pertes. Toute la stratégie de gestion de bilans d’une banque est fondée sur ces ratios. En ce sens, il faudrait vraiment avoir une structure particulière et avoir pris de gros risques -qui devraient être repérés par le régulateur- pour se retrouver dans la situation que connaît les deux banques américaines. On ne peut pas extrapoler la situation de SVB à n’importe quelle banque », précise Ledent.

Au début de la crise Covid, on a échappé de peu à une vraie crise financière. « C’est passé en-dessous des radars, parce que tout le monde était rivé sur le Covid », se rappelle l’économiste. « Mais il y a eu un début de crise de liquidités dans les marchés financiers américains, qui aurait pu générer une crise de confiance et une crise financière. Avec une source du problème plus importante que celle que l’on observe aujourd’hui. Mais les autorités ont très vite mis en place qu’il fallait. Et ce problème de liquidités n’a pas généré de problème de confiance. Ici, comme SVB était spécialisée dans le financement d’entreprises technologiques, tout le monde pense que le problème est dû fait qu’ils aient octroyés des crédits à des entreprises qui vont mal et qui ne savent pas rembourser. Ce n’est pas du tout ça : le problème se situe dans la gestion bilantaire. Avoir une banque qui a des actifs avec une longue duration, et qui serait obligée de soudainement devoir les vendre, c’est fondamentalement rare », conclut Ledent.

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