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Pouvoir d’achat, emprunts, investissements : les conseils de deux économistes pour 2023

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Le Bureau du Plan prévoit une inflation à 4,5% couplée à un taux d’intérêt à 3% pour 2023. Quels impacts concrets pour le pouvoir d’achat, les emprunts et les investissements ? Réponses avec les économistes Philippe Ledent (ING) et Anh Nguyen (Louvain School of Management), spécialistes en investissement.

L’inflation devrait s’établir à 4,5% de moyenne en 2023. Qu’est-ce que cela signifie concrètement pour le pouvoir d’achat ?

Philippe Ledent : « 4,5%, c’est une inflation qui reste conséquente. En termes de dynamique, on peut s’attendre à de nouvelles augmentations de prix dans les prochains mois. Dans un ou deux mois, les niveaux seront encore un peu plus élevés et impacteront le pouvoir d’achat. Ensuite, cela devrait se calmer petit à petit.

Cette inflation de 4,5 voire 5% sur l’année ne serait plus essentiellement due aux prix de l’énergie. Au contraire. Il faut la voir comme une espèce de deuxième vague qui résulte du fait que toute une série de prix et de services continuent d’augmenter. Car le producteur, le commerçant ou le prestataire de service doit aussi faire face à des factures plus élevées. On a un « effet retard ». C’est un phénomène qui a déjà commencé et qui devrait se poursuivre dans les premiers mois de l’année.

Par la suite, en termes de dynamique des prix, on devrait voir de moins en moins d’augmentations. Ce qui ne veut pas dire que les prix vont baisser. Pour le moment, on subit toujours une inflation très élevée, de l’ordre de 8%. Donc, même si les choses se calment, on obtiendra ce chiffre de 4,5% pour l’ensemble de l’année. »

On ne doit donc pas espérer un redressement rapide du pouvoir d’achat ?

Philippe Ledent : « Une augmentation du pouvoir d’achat peut être engendrée par une inflation négative, et donc une diminution des prix. Ce n’est évidemment pas le cas actuellement. Mais ce n’est pas l’unique option. Car le pouvoir d’achat est la confrontation des prix et du revenu. Les dernières indexations de salaires ont restauré ce pouvoir d’achat en partie. Cela veut dire qu’il ne faut pas nécessairement une diminution des prix pour restaurer cette capacité d’achat. D’autant plus que personne ne s’attend à ce que les prix se mettent à baisser réellement. »

Anh Nguyen : « Le pouvoir d’achat a été abîmé, mais en Belgique, on a la chance d’avoir l’indexation automatique des salaires. Elle compense l’inflation dans une certaine mesure. L’employé est donc relativement protégé. Le revers de la médaille, c’est la situation des entreprises qui voient leurs coûts exploser. La compétitivité des entreprises belges s’en retrouve impactée.

Le Bureau du Plan mise sur une stabilisation des taux d’intérêt autour de 3%. Quel impact pour l’investisseur ?

Philippe Ledent : « L’investisseur, lui, est content. Début 2022, les taux longs en Belgique naviguaient autour de 0%. Aujourd’hui, on approche en effet les 3%. Si l’investisseur veut garder de l’épargne, du style compte à termes, compte d’épargne ou obligations d’Etat, il trouve des taux d’intérêt qu’il ne trouvait pas il y a un an, où l’on avait en plus une inflation conséquente qui « mangeait » le capital des épargnants. Aujourd’hui, l’inflation continue de manger ce capital, mais on récupère une petite compensation avec ces taux plus élevés.

Si on reste dans un monde où le taux d’intérêt se stabilisent aux alentours de 3% jusqu’en 2028, mais que l’inflation revient à des niveaux normaux -aux alentours de 2%, 2,5%-, le consommateur ne perdrait alors plus d’argent. En déduisant l’inflation aux taux d’intérêt, on obtiendrait un gain de capital de 1% ou 0,5%. »

A l’inverse, pour la personne qui veut emprunter, cette augmentation des taux d’intérêt à 3% est plutôt une mauvaise nouvelle…

Philippe Ledent : « Effectivement. Pour tous ceux qui doivent emprunter, ce n’est pas une très bonne nouvelle. On pense évidemment aux ménages avec les prêts hypothécaires. D’ailleurs, on observe déjà un certain ralentissement du marché immobilier. On perd donc du pouvoir d’achat immobilier du fait que les taux ont augmenté.

Les entreprises font également grise mine parce qu’elles se finançaient à des taux particulièrement bas, et ces taux ont maintenant grimpé.

C’est également une mauvaise nouvelle pour l’Etat, qui doit recouvrir 500 milliards de dettes. Pendant des années, l’Etat belge a pu s’endetter à un taux de quasi zéro. Mais à partir de maintenant, lorsque l’Etat va devoir émettre de 40 à 50 milliards de dette, ces sommes seront financées à un taux bien plus élevé. Cela se chiffre en millions d’euros de charges d’intérêt en plus.

La hausse des taux arrange donc ceux qui ont du capital, beaucoup moins les emprunteurs. »

La hausse des taux arrange ceux qui ont du capital, beaucoup moins les emprunteurs.

Philippe Ledent

Anh Nguyen : « Pour les ménages, il y a effectivement un impact clair pour les crédits hypothécaires ou de consommation, comme l’achat d’une voiture. Pas de panique, cependant. Les taux vont encore légèrement monter, puis se stabiliser. La marge de progression s’est donc réduite. Sur le long terme, les taux pourraient baisser, ce qui deviendrait alors intéressant pour l’investisseur immobilier, par exemple. Notons aussi que si l’inflation monte à 5%, le taux d’intérêt augmentera à un peu plus de 3%. Les 3% de taux d’intérêt dépendent beaucoup de la maîtrise ou non de l’inflation. »

Celui qui veut emprunter doit-il se dépêcher ?

Philippe Ledent : « On n’est jamais à l’abri d’une surprise, mais on voit que depuis plusieurs mois, les taux se sont stabilisés. Ils jouent au yo-yo entre 2,7% et 3%, donc on peut toujours essayer de ‘bien viser’. Actuellement, on est plutôt à 3,2%. On navigue donc toujours autour de ces 3%. La conviction des marchés financiers est qu’il s’agit aussi du niveau maximum. Emprunter aujourd’hui ou dans un mois, ça ne devrait pas faire une énorme différence. Ce serait une vraie surprise que les taux soient bien plus élevés dans 6 mois, par exemple.

Par contre, il faut faire attention au marché hypothécaire, qui n’a pas encore entièrement intégré cette hausse. On pourrait voir un phénomène de rattrapage qui pourrait faire encore un peu monter les taux. Mais il ne faut pas non plus penser qu’on sera à 4% dans un an. Il n’est donc pas spécialement nécessaire de se dépêcher pour emprunter, car on se dirige plutôt vers une stabilisation des taux. »

Il n’y a pas vraiment d’intérêt à se précipiter pour un emprunt. Si vous pouvez vous permettre d’attendre, attendez.

Anh Nguyen

Anh Nguyen : « A court terme, c’est une mauvaise nouvelle pour l’emprunteur. Mais si on voit le verre à moitié plein, la marge d’augmentation du taux n’est plus très élevée. Comme on est plus très loin du taux maximum, il n’y a pas vraiment d’intérêt à se précipiter pour un emprunt. Si vous pouvez vous permettre d’attendre, attendez. »

Les obligations ou les actions peuvent-elles également être impactées négativement par ces taux à 3% ?

Anh Nguyen : « Oui, il y a clairement un impact négatif. Lorsqu’on a des hausses de taux, on observe des baisses de marchés obligataires et des marchés boursiers. C’est ce qu’on a vu l’année dernière. Avec des performances très mauvaises sur les obligations. Tout le stock d’obligations actuelles voit sa valeur baisser avec la hausse des taux. On peut donc s’attendre à une baisse du marché obligataire, mais pas du même ordre de grandeur que l’année dernière. De même que pour les actions : on peut s’attendre à une légère baisse. Car quand les taux montent, ce n’est pas bon pour les entreprises. »

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