Votre ticket de caisse explose au supermarché, et pourtant: « On n’a jamais aussi peu dépensé en alimentation depuis 1850 »

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Des prix au supermarché qui ne diminuent pas assez vite ? C’est l’avis de Test-Achats, qui dénonce une augmentation de nombreux produits, et ce alors que les prix des matières premières et de l’énergie sont en baisse. Des critiques justifiées ? Voici ce qu’en disent deux experts en retail.

En moyenne, une famille de deux personnes a dépensé 531 euros au supermarché en juillet. « C’est 71 euros de plus qu’il y a un an », rappelle Test-Achats. Les légumes connaissent l’augmentation la plus importante:  ils sont 33 % plus chers que l’année passée.

Dès lors, comment expliquer ces prix toujours élevés alors que l’inflation globale, elle, a tendance à ralentir ? Le point en 7 questions avec Gino Van Ossel (Vlerick School), spécialiste en retail, et Pierre-Alexandre Billiet, économiste et CEO de Gondola.

1. Comment expliquer que les prix au supermarché restent élevés?

Gino Van Ossel: En réalité, les prix en supermarchés se sont stabilisés. Les produits dont les prix ont le plus augmenté concernent surtout les produits frais, comme les fruits et légumes. Ces derniers sont constamment sujets aux variations. Pour certaines denrées, les supermarchés utilisent des contrats à prix fixes. On peut donc payer un peu trop par rapport au juste prix, mais parfois moins. Si les prix augmentent, une baisse est ensuite très rare, sauf pour les produits dont les prix sont très variables.

Pierre-Alexandre Billiet: Une minorité de grands fournisseurs ont exagéré leurs prix, mais ce n’est pas l’explication principale. Les Belges ont l’impression que la nourriture est toujours trop chère. Or, on n’a jamais aussi peu dépensé en alimentation depuis 1850 par rapport au revenu disponible (elle représente +-16% du budget d’un ménage). Cet aspect paradoxal est expliqué par le fait que l’alimentation est devenue un paramètre d’ajustement principal. C’est-à-dire une dépense avec laquelle on peut encore jongler au quotidien.

2. L’indexation automatique des salaires impacte-t-elle le prix final au supermarché?

Gino Van Ossel: Oui, car les dirigeants d’entreprise doivent toujours garder la maîtrise des coûts. Les salaires connaîtront d’ailleurs une nouvelle hausse en janvier 2024. C’est un aspect propre à la Belgique. Parfois, les patrons doivent anticiper en augmentant les coûts.

3. D’autres aspects impactent-ils cette tendance à la hausse?

Gino Van Ossel: Il faut réaliser des distinctions d’une société à l’autre, au-delà des catégories de produits. Les PME belges ont des marges assez réduites dans le secteur de l’alimentaire. Au point de ne plus être rentables, pour certaines. Par ailleurs, les marques de distributeur sont en train de prendre des parts de marché importantes. Pour rivaliser, des grandes marques essayent de vendre à des prix très élevés. Et certains supermarchés décident de mettre l’accent sur ces marques très fortes, qui ne souffriront pas, quoi qu’il arrive. Résultat, les prix globaux augmentent.

4. Le consommateur belge au supermarché est-il le dindon de la farce?

Gino Van Ossel: On dit que les prix sont trop élevés au supermarché en Belgique, mais il faut aussi comparer les coûts. Chez nous, les salaires ont beaucoup plus augmenté qu’ailleurs, avec un pouvoir d’achat boosté. On a tendance à le nier. Cependant, il est vrai que pour certaines marques/producteurs, pour qui la concurrence ne joue pas, l’augmentation de certains prix est interpellante.

5. Est-il normal que la baisse du coût des matières premières et de l’énergie n’engendre pas une diminution des prix?

Pierre-Alexandre Billiet: Les prix de l’alimentation ne baissent pas ne manière unilatérale par rapport aux prix de l’énergie et des matières premières. Une inertie et un effet de retard -entre 3 à 6 mois- sont à prendre en compte pour le prix du produit fini.

Gino Van Ossel : Pour pas mal de produits, les matières premières et l’énergie ne représentent qu’une petite partie des coûts globaux. Mais il est vrai que globalement, un flou artistique règne au niveau des prix en Belgique.

6. Peut-on noter des spécificités propres au marché belge?

Gino Van Ossel: En France, le gouvernement a participé de manière très active à la baisse du niveau des prix. Au point que l’inflation est restée très maîtrisée par rapport à la moyenne de l’UE. Par exemple, en France, les consignes sur les bouteilles de bières en verre n’existent pas encore. Ce sont des avantages que nous avons en Belgique. Ce phénomène n’est pas neuf et n’est pas en lien avec l’inflation.

Pierre-Alexandre Billiet : En Belgique, les salaires sont prépondérants dans la grande distribution car il y a trop peu de flexibilité, et beaucoup de main d’œuvre. L’emballage est plus onéreux, des taxes et accises s’appliquent sur les bouteilles en plastique. Le système est mieux qu’en France – qui est dépassée à ce niveau-là- mais coûte plus cher.

7. A quoi s’attendre dans un futur proche ?

Gino Van Ossel : On peut s’attendre à une stabilisation des prix, au mieux à une légère baisse. Mais en même temps, les coûts vont continuer d’augmenter, surtout pour les services.

Pierre-Alexandre Billiet : Veut-on vraiment que les prix à la consommation baissent ? Ce n’est pas populaire de le dire. Mais seul 0,2% des Belges n’arrivent pas à se payer une alimentation saine. C’est paradoxal dans le sens où 20% de de la population se trouve proche du seuil de pauvreté. Tant que les prix seront bas, on restera dans la surconsommation. Je plaide donc pour des prix plus élevés, afin de mieux rémunérer l’agriculteur local, favoriser l’emploi ou financer la transition écologique. Il faut donc faire augmenter le prix pour la majorité qui sait payer une meilleure alimentation et ainsi mieux rémunérer la chaîne alimentaire -à certaines conditions. Enfin, il est aussi nécessaire de mieux encadrer les minorités à faible pouvoir d’achat.

supermarché

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire