Un blocage des prix au supermarché, comme en France? Pourquoi c’est difficilement réalisable en Belgique

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

L’inflation dans les supermarchés atteint un record absolu. Le consommateur en paie le prix fort : plus 89 euros par mois pour une famille moyenne, estime Test-Achats. Pourquoi une telle augmentation en Belgique ? Quel impact sur la classe moyenne ? Le gouvernement doit-il mettre en place un panier « anti-inflation » avec un blocage des prix, tel que décidé en France ? Réponses avec Philippe Defeyt, économiste, et Nicholas Courant, porte-parole de la Fédération de l’industrie alimentaire belge (Fevia).

Pour la première fois, l’inflation en supermarché a dépassé les 20 % : un record absolu, selon Test Achats, qui demande au gouvernement la mise en place d’un « panier anti-inflation », à l’instar de ce qui se fait en France.

Aujourd’hui, une famille moyenne de deux personnes dépense 521 euros par mois pour ses courses alimentaires. C’est 89 euros de plus que l’année passée, selon l’association. Les légumes, en particulier, connaissent l’augmentation la plus marquante (+53% pour la laitue !).

Pourquoi la Belgique est-elle tant impactée et quelles solutions s’offrent au gouvernement pour protéger le consommateur ? Philippe Defeyt, économiste, et Nicholas Courant, porte-parole de la Fédération de l’industrie alimentaire belge (Fevia), décryptent la situation.

Comment expliquer cette inflation record ?

Philippe Defeyt : « Il est incontestable que le secteur alimentaire a dû faire face à des hausses de coûts de production. Les raisons : l’augmentation des prix des matières premières, de l’énergie et des emballages. Cependant, sur certains produits, on observe des différences non négligeables entre les relevés de Test Achats et ceux -officiels- de l’indice des prix de Statbel. Au décompte total, cela ne change rien au diagnostic : on tourne en effet autour des 20%. »

Nicholas Courant : « Toute la chaîne de l’industrie alimentaire a subi une explosion des coûts depuis deux ans, que le consommateur ressent depuis une année en supermarché, car la répercussion se traduit avec un retard. On peut épingler cinq raisons principales qui justifient cette forte inflation : l’augmentation du coût des matières premières (huiles végétales, céréales), le coût énergétique, le coût des emballages (verre, plastique, aluminium, papier et carton), le coût du transport par container (qui a doublé en deux ans) et, enfin, l’indexation automatique des salaires (qui impacte les entreprises). La situation actuelle est unique dans le sens où l’augmentation des coûts est forte à différents niveaux. La chaîne alimentaire, avec ses différents acteurs, n’a pas encore répercuté l’entièreté de ces augmentations. »

La hausse des prix en supermarché est-elle exagérée par rapport à la réalité des coûts de production ?

Philippe Defeyt : « La question est de savoir si ces hausses de coûts de production ne sont pas moins fortes, voire en diminution suite à la baisse du prix de l’énergie. Si j’étais ministre des Affaires économiques, je demanderais à l’observatoire des prix de vérifier si toutes les hausses sont justifiables. Aux Etats-Unis, par exemple, on constate que les hausses des prix finaux pour les consommateurs dépassent très clairement les hausses suivies par les producteurs et distributeurs. »

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Philippe Defeyt

L’inflation va-t-elle impacter le consommateur/et le secteur alimentaire sur le long terme ?

Philippe Defeyt :  « Cette hausse des prix alimentaires en supermarché, tout comme la crise énergétique, est juste une piqûre de rappel qui démontre que l’âge d’or du consumérisme est derrière nous. Bien sûr, on ne va pas connaître 20% d’inflation tous les ans, mais penser que les prix alimentaires vont durablement baisser, c’est une illusion. Ils vont rester élevés durablement, et de plus en plus. En outre, la part des produits alimentaires dans les dépenses ménages est en train de remonter, alors qu’elle a baissé pendant des dizaines d’années. »

Penser que les prix alimentaires vont durablement baisser, c’est une illusion. Ils vont rester élevés durablement, et de plus en plus.

Philippe Defeyt

Nicholas Courant : « Les chiffres montrent que le secteur agroalimentaire en Belgique est très résilient. Et offre encore des opportunités pour investir et créer des emplois. On est le premier secteur industriel du pays. Mais la rentabilité des entreprises est vraiment sous pression, ce qui fait qu’il n’y a pas de marge pour diminuer les prix aujourd’hui. Car derrière le produit fini que voit le consommateur, les prix ont encore davantage augmenté. Les entreprises ont absorbé une grande partie de ces coûts. »

Que reprochez-vous au gouvernement ?

Nicholas Courant : « Un manque de volonté d’améliorer la compétitivité du secteur. Dans un contexte international, il faut que nos entreprises restent compétitives. Si on ajoute des couches de coûts et de taxes, le risque est que notre alimentation du futur provienne encore davantage de l’étranger que de Belgique. »

Qui sera le plus impacté par cette forte hausse des prix ?

Philippe Defeyt : « C’est surtout un coup dur pour la classe moyenne inférieure. Lors de la crise énergétique, les ménages précaires ont bénéficié du tarif social. Mais pour cette crise alimentaire, il n’y pas de compensation équivalente. Or, les ménages pauvres consacrent une part plus grande de leur budget à l’alimentation que la classe moyenne. Les petits revenus prennent donc cette hausse des prix en supermarché de plein fouet. Certes, la classe moyenne subit cette augmentation dans l’alimentaire, mais elle a, en contrepartie, l’avantage de voir baisser sa facture énergétique. Tout cela annonce des sérieuses difficultés. Est-ce une catastrophe ? Pour les ménages précaires et la classe moyenne inférieure, oui. Car ils consacrent plus d’argent à l’alimentaire. Et qu’ils ont déjà fourni des efforts. Ils n’ont plus de porte de sortie. »

La classe moyenne peut donc y faire face ?

Philippe Defeyt : « Elle a encore la possibilité de se retourner, oui. Avec son épargne, mais aussi en changeant ses comportements de consommation. Les produits transformés ou pré-emballés ne sont pas indispensables. Achter de la salade prélavée, ce n’est pas nécessaire, or, elle coûte trois fois plus cher que de la salade normale. Le vieux discours qui consiste à dire que se nourrir sainement coûte plus cher n’est pas nécessairement vrai. En résumé, pour une partie importante de la population, la baisse de la facture énergétique compensera en partie la hausse des produits alimentaires. Le pouvoir d’achat, c’est global : on ne l’étudie pas pour chaque produit individuellement, mais on regarde l’ensemble. »

Pour une partie importante de la population, la baisse de la facture énergétique compensera en partie la hausse des produits alimentaires.

Philippe Defeyt

Un panier anti-inflation avec un blocage des prix comme en France est-il envisageable en Belgique ?

Philippe Defeyt : « On peut abandonner cette idée. La Belgique n’est pas armée culturellement, politiquement et légalement pour imposer un contrôle des prix en supermarché, qui a d’ailleurs ses limites. J’émets de sérieux doutes sur cette idée de panier anti-inflation. Car il est clair que les distributeurs et producteurs se rattraperont sur d’autres produits. Et puis, comment décider objectivement ce qu’on y met dedans ? Faudrait-il aussi le faire pour tout le monde ? Sans parler des conséquences en chaîne… »

Nicholas Courant : « Un blocage des prix tel que proposé par Test Achats n’est pas une bonne idée. Pour deux raisons : un, cela augmenterait encore toute la pression sur la chaîne alimentaire. Deux, le pouvoir d’achat du consommateur est déjà aidé par l’indexation automatique des salaires (qui n’existe pas en France). »

Quelles solutions pour le consommateur, dès lors ?

Nicholas Courant : « Ce que la Fevia demande au niveau politique, c’est de se rendre compte de l’importance de la compétitivité. La proposition du ministre des Finances Vincent Van Peteghem -d’augmenter la TVA de 6 à 9% sur certains produits-, d’après nous, n’est pas une bonne idée car cela va nous rendre moins compétitifs. Et par conséquent, cela menera à une nouvelle augmentation des prix. Ce qu’il faut, c’est diminuer la TVA, ou, a minima, la garder à 6%. »

Pourquoi la Belgique semble plus exposée aux augmentation des prix en supermarché que la France, par exemple ?

Nicholas Courant : « En Belgique, on a un ‘millefeuille’ de taxes. Des petites couches qui s’accumulent et qui, à la fin, pèsent lourd. Pour nous, il faut donc arrêter d’amener de nouvelles taxes, ou d’augmenter des taxes déjà existantes. Un exemple très concret est la taxe emballage. En Belgique, on paie chaque année 320 millions d’euros de taxes emballage pour les boissons. Le risque, aussi, est de voir le consommateur aller faire ses courses à l’étranger : la moitié des Belges habitent à moins de 50km d’une frontière. Et on remarque que les achats transfrontaliers avec la France sont déjà revenus au niveau d’avant Covid. »

Philippe Defeyt : « Il ne faut pas confondre niveaux des prix et inflation. Oui, il y a des niveaux de prix élevés en Belgique, car le type de marché est différent qu’en France. Mais y-a-t-il une réelle différence au niveau des hausses de prix ? ».

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Nicholas Courant, porte-parole de Fevia.

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