Le vice-Premier ministre et ministre des Finances Vincent Van Peteghem. © Belga

Décodage de la réforme fiscale : « Un manque de vision » (infographies)

Avec une augmentation de salaire d’au moins 835 euros net et une réforme du taux réduit de TVA, le ministre des Finances souhaite « rééquilibrer le système » qu’il juge ne plus correspondre à la réalité d’aujourd’hui. Le pari est-il réussi ? Réponse avec les économistes Philippe Defeyt et Bruno Colmant.

Après des mois de consultations (et quelques deadlines dépassées), le ministre de Finances Vincent Van Peteghem (CD&V) a dévoilé ce jeudi matin sa réforme fiscale. « Une première phase » d’un plus vaste chantier selon le ministre, qui trace les traits d’un allègement de la fiscalité sur le travail par le transfert de la charge fiscale sur le patrimoine ou les produits alimentaires.

Cette réforme, qui arrive en fin de parcours de la Vivaldi, n’est donc qu’un avant-goût d’un projet plus vaste. Mais l’urgence de la situation économique fait qu’elle a le mérite d’exister, « surtout que ce n’est pas facile de faire une réforme en fin de législature. Et ça répond à un problème immédiat, c’est-à-dire la revalorisation des bas et moyens salaires. C’est très important de le faire maintenant parce qu’on vit une inflation non négligeable », souligne l’économiste et membre de l’Académie royale de Belgique Bruno Colmant.

L’objectif est clair pour le vice-Premier : cette réforme compte prioriser les travailleurs qui subissent l’inflation de plein fouet. C’est d’ailleurs l’un des reproches que pourrait faire Philippe Defeyt, qui considère que le ministre ne s’est pas attardé sur un projet à plus long terme. « Une réforme fiscale a besoin d’une vision. Sans ça, on ne fait que corriger des paramètres ou faire des cadeaux mais sans savoir où on va. Et dans ce cas-ci, il y a au moins deux raisons pour dire qu’il n’y a pas cette vision. »

L’économiste pointe notamment que cette réforme n’est pas le résultat conjoint des deux mécanismes de redistribution sociale des revenus qui sont la fiscalité et la sécurité sociale, mais aussi l’absence de la question du tarif social.

« C’est une réforme pour la classe moyenne. C’est le cœur de cette réforme. (…) Le ministre oublie certaines cibles. »

835 euros en plus, pour tout le monde ?

Si ces éléments pointés par Philippe Defeyt ne sont pas sur la table, d’autres le sont bien et avec une promesse d’ampleur: une hausse de 835 euros net du salaire par an. Comment ? En augmentant la quotité exemptée d’impôts, c’est-à-dire la partie la plus basse du revenu, et une progressivité du taux d’imposition maintenu mais avec une augmentation de la tranche de 45% sur l’impôt des personnes physiques (IPP).

Selon ce système, seuls les euros gagnés au-delà de 60.000 euros seraient alors imposés au taux de 50%. « Nous encourageons de la sorte le travail à temps plein », a déclaré Vincent Van Peteghem. « Rappelons que cela donne un supplément de pouvoir d’achat à tous les revenus, même les plus élevés », répond Philippe Defeyt, qui est d’avis que cela ne va pas être profitable de manière égale. « Il y a un certain nombre de contribuables à petit revenus qui ne vont pas en profiter, ou très peu. Pourquoi ? Parce qu’aujourd’hui, ils épuisent déjà la totalité de leur quotité exonérée d’impôt. »

L’économiste prend comme exemple une mère vivant seule avec deux enfants et qui travaille en 3/5ème. « Elle ne va pas en profiter autant parce qu’il faut additionner ces quotités exonérées d’impôt, y compris pour les enfants. Quand on cumule tout ça, un certain nombre de petits salariés ou indépendants ne vont pas y gagner », estime l’économiste.

Le constat est le même pour l’économiste concernant la suppression plus lente du bonus à l’emploi que prévoit la réforme. Selon lui, la cible est trop restreinte. « C’est une réforme pour la classe moyenne. C’est le cœur de cette réforme. Par exemple, le piège à la promotion, ce n’est pas la classe moyenne qui le subit. Il (le ministre) oublie certaines cibles. »

Un taux réduit de TVA en demi-teinte

Parmi les autres propositions, l’une concerne la réforme du taux réduit de TVA. Finis, les 6% et 12% : le ministre planche sur un taux unique de 9%, avec cependant quelques exceptions à 0% (voir l’infographie).

Une bonne nouvelle selon l’économiste Bruno Colmant, qui comprend la cohérence du projet, notamment dans la simplification de la fiscalité, et qui considère un taux à 9% comme « raisonnable. »

Seulement, si certains produits « de première nécessité » seront moins chers, tout le reste du panier augmentera indéniablement. Les boissons gazeuses, le pain, la viande et bien d’autres produits coûteront plus cher à la caisse. « Ça mérite d’être regardé », indique Philippe Defeyt, qui craint malgré tout un effet pervers à long terme. « La question de la TVA va rééquilibrer le pouvoir d’achat. Mais la question est : est-ce que, à minima, personne ne va perdre de pouvoir d’achat ? Parce que si c’est pour dire à certaines personnes, ‘vous allez gagner 100€ avec la fiscalité et en perdre 200€ avec la TVA’, je ne verrais pas le sens. C’est justement ce que je crains. »

A noter que cette réduction du taux de TVA devrait rapporter 1,777 milliard d’euros. Le ministre entend également pénaliser davantage certains comportements, en imposant une nouvelle augmentation sur le tabac.

La taxe sur les comptes-titres multipliée par deux

Pour cette amorce de réforme fiscale, le ministre des Finances s’est intéressé au patrimoine. Si la question d’une taxation sur les plus-values ou sur celle des loyers perçus n’est pas (encore) sur la table, le vice-Premier a décidé de s’attaquer aux comptes-titres. Vincent Van Peteghem annonce un doublement de la taxe sur les comptes-titres, qui passera de 0,15% à 0,30%.

Une manière également pour l’État de renflouer ses caisses, puisque cette taxe avait rapporté 400 millions d’euros l’année dernière. Mais le ministre l’assure : « Si, à un moment donné, les mesures de financement devaient rapporter plus que prévu, ces recettes supplémentaires devront être utilisées pour augmenter les salaires nets. »

Mais pour Bruno Colmant, cette taxe fait partie des quelques points noirs de la réforme. L’économiste va même plus loin en affirmant que le ministre va devoir faire face à des retours plus que négatifs quand il faudra la défendre. « Quelqu’un qui vit de ses capitaux ou quelqu’un qui investit du capital risque sera pénalisé avec la taxe sur les comptes titres. C’est un peu dommage, je trouve. Ça sera un point de discussion politique très délicat. Il va y avoir un gros barrage. »

En attendant, la réforme semble être globalement validée par les partis de la Vivaldi. Une première victoire donc pour Vincent Van Peteghem. Reste à encore convaincre quelques autres, dont Georges-Louis Bouchez (MR). Ce dernier a déjà affirmé (sans surprise) être en total désaccord avec certains points, dont cette fameuse augmentation des comptes-titres.

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