Grève au Delhaize © Belga

Actions syndicales chez Delhaize: pourquoi un tel écart entre la Flandre et la Wallonie?

Celine Bouckaert
Celine Bouckaert Journaliste au Vif

Depuis le 7 mars dernier, jour où la direction de Delhaize a annoncé vouloir franchiser tous ses magasins intégrés, les actions syndicales se succèdent. Même si les centres de distribution situés en Flandre ont été touchés par l’action sociale, ce sont surtout les magasins en Wallonie et à Bruxelles qui sont impactés par le mouvement. D’où vient cet écart? Le point avec François Pichault, professeur de gestion des ressources humaines à l’Ecole de gestion de l’Université de Liège.

Il y a près d’un mois, la direction de Delhaize a annoncé vouloir franchiser l’ensemble de ses 128 magasins en gestion propre, ce qui a suscité une série d’actions syndicales et l’incompréhension chez les travailleurs. Pour le Setca, le Syndicat des Employés, Techniciens et Cadres de Belgique, l’annonce de l’enseigne au lion s’apparente à une déclaration de guerre. Myriam Delmée, présidente du Setca, craint que les collaborateurs voient « leurs conditions de travail se dégrader de 20 à 25% ».

Face au conflit social, le ministre du Travail, Pierre-Yves Dermagne (PS), a demandé à un conciliateur social de prendre en charge le dossier et de réunir toutes les parties concernées. Les syndicats réagissent positivement, mais doutent des intentions de la direction d’ouvrir une réelle négociation. Ils dénoncent un manque d’ouverture et de dialogue de la part de la chaîne de supermarchés. « En termes de mépris, on atteint des sommets », déplore Myriam Delmée. Depuis l’annonce, nombre de ces supermarchés intégrés sont restés portes closes, en particulier à Bruxelles et en Wallonie. Mardi, 44 des 128 magasins intégrés étaient toujours fermés.

Un management à la hollandaise

François Pichault souligne le manque de négociations de la part de la direction Delhaize, qui marque selon lui « une rupture avec la façon dont le dialogue social se fait dans notre pays. Nous sommes dans un management à la hollandaise qui n’a absolument rien à voir avec notre tradition de dialogue social ». Historiquement, Delhaize était une entreprise francophone marquée par un modèle de dialogue social, mais en 2016, le Néerlandais Ahold a pris le contrôle du groupe belgo-américain. Si l’acquisition était présentée comme une fusion entre parties égales, il s’agissait bien d’une prise du contrôle, et même de « l’affaire du siècle pour les Néerlandais », souligne notre consœur de Trends Camille Delannois.

Au nord du pays, les politiques de gestion des ressources humaines se rapprochent davantage du modèle néerlandais. « Les formes individualisées de gestion des ressources humaines sont nettement plus avancées en Flandre qu’en Wallonie où l’on préfère garder des grilles de salaire uniformes, des conventions collectives, et des aspects plus homogènes », explique François Pichault.

« Cette différence a inévitablement une incidence sur le dialogue social puisque plus la politique de gestion des ressources humaines est individualisée, plus les employés vont se focaliser sur la façon dont ils mènent leur carrière. Ils vont moins se reposer sur un support collectif de type syndicat. Plus vous individualisez la gestion des ressources humaines, moins d’une certaine manière, il y a une probabilité d’action sociale collective, et à l’inverse, plus vous gardez un modèle de gestion des ressources humaines plus uniformisateur, plus il y a des chances qu’il y ait une forte contestation sociale », ajoute-t-il.

Outre, les différences de culture d’entreprise, il y a également l’écart idéologique qui joue un rôle dans les actions syndicales, même si selon François Pichault celui-ci n’est pas déterminant. « Ce n’est un secret pour personne que le PTB est très influent au sein de la FGTB, mais il a aussi des racines en Flandre. On peut sans doute imaginer une connotation politique, mais je pense qu’elle est plus culturelle que politique, culturelle au sens la culture c’est-à-dire plus entrepreneuriale, et donc plus proche du modèle des Pays-Bas qui est un modèle hyper flexible de dérégulation du marché de travail. Il peut être renforcé par les aspects politiques, mais ça ne semble pas la principale raison. »

Faibles possibilités de reclassement

En revanche, le contexte économique joue un rôle décisif. « Là, où il y a plusieurs candidats repreneurs, cela signifie qu’il s’agit d’un établissement bien situé qui fait de la marge. Là où il y a un seul voire zéro repreneur, c’est dans les zones plus défavorisées où les possibilités de reclassement sont faibles. Et il est clair que ces zones défavorisées , on les trouve plus dans le Borinage, à Liège, donc plus au sud du pays que dans le nord », conclut le professeur en gestion de ressources humaines.

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