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Le héros de Bouli Lanners? «Fantasio, parce qu’on en manque foutrement»

Thierry Fiorilli
Thierry Fiorilli Journaliste

Super-héros, aventurière, salaud, battante, loser, grande âme… Quel est votre personnage de fiction préféré? Chaque semaine pendant l’été, une personnalité se prête au jeu. En révélant beaucoup d’elle-même. Episode 1 : Bouli Lanners, acteur, réalisateur et peintre.  

Il dit que «beaucoup de personnages de fiction [l]’ont inspiré ou ont suscité de l’intérêt ou de l’amour, ou du rire». Mais il a quand même vite tranché: «Je parlerais bien de Fantasio. En particulier celui présent dans les albums de Spirou dessinés par Emile Bravo: L’Espoir malgré tout. Si vous n’avez pas encore lu cette suite – magnifique – de cinq albums, qui commence par un préquel intitulé Le Journal d’un ingénu, je vous envie de la chance que vous avez de les découvrir.»

Fantasio. Un second rôle. Comme les affectionne Bouli Lanners, acteur, réalisateur et peintre, parce que «le premier rôle, que je fais tout le temps maintenant, c’est plus dur: on est davantage sujet à critiques puisque, d’une certaine manière, on porte le film. Et puis, le second rôle permet d’avoir une vraie vie, ce qui n’est pas le cas, dans la fiction ou non, des premiers rôles: un homme politique, il n’a pas de vie privée, ce mec-là ; même dans une supérette ou sur un marché bio, il y a toujours quelqu’un qui viendra le trouver pour lui casser les couilles parce qu’il y a un truc avec lequel il n’est pas d’accord.

Trop de notoriété, c’est vraiment pas un fantasme pour moi. C’est une pénitence.» Paroles d’un artiste toujours plus souvent primé. D’un bougon solaire. D’un type qui aime ce qui n’est pas lisse. Qui préfère, dans la fiction comme dans la vie, l’imparfait au plus-que-parfait.

Pourquoi Fantasio est-il votre personnage fictif préféré?

Au cinéma, j’ai toujours aimé les personnages secondaires – les Jean Carmet, Robert Dalban… –, tous les mecs qu’on voyait derrière. Ceux qui donnent la lumière aux rôles principaux. Et puis, j’associe l’idée du second rôle à ce qu’on appelle «le petit peuple»: pas les héros épiques, plutôt ceux qui les accompagnent et leur permettent d’exister.

L’antihéros?

Pas forcément. Parce que l’antihéros peut être un héros à part entière, tandis que le second rôle restera toujours un second rôle. Par exemple, en BD, il y a des personnages secondaires, comme dans Gaston, qui est, lui, un antihéros: Mademoiselle Jeanne, De Mesmaeker, Prunelle, et Fantasio d’ailleurs au départ. Des seconds rôles, et qui le restent. Pour autant, ce ne sont pas du tout des faire-valoir, je déteste ce terme!

Ce sont des personnages, tout autant que les premiers rôles. J’aimais bien aussi Pirlouit, plus drôle que Johan, comme Fantasio est plus drôle que Spirou. Fantasio est un personnage complexe, plein d’ambiguïtés, qui ne prend pas toujours les bons chemins, se rend compte de ses erreurs, s’engage, reste toujours maladroit, a des coups de gueule. Il me fait parfois penser à Tchantchès (NDLR: figure folklorique et emblématique liégeoise). Il a quelque chose du frondeur qui, en même temps, fait des boulettes et c’est ça que j’aime beaucoup chez lui.

C’est difficile de s’identifier à un héros sans peur et sans reproche, c’est plus facile s’il est plein de contradictions.

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A quand remonte ce flash pour Fantasio?

Au premier recueil relié du Journal de Spirou, que ma grand-mère m’a acheté, dans les années 1970. Spirou et Fantasio, encore dessiné par Jijé, était republié. J’y ai découvert Fantasio achetant un char d’assaut dans un surplus de l’armée américaine. Je trouvais ça tellement improbable, d’autant plus que je baignais dans des récits de guerre, par les histoires de ma famille, qui a très fort vécu le conflit. Toute mon enfance en a été imprégnée.

Mes parents habitaient sur la ligne de front de «l’offensive von Rundstedt», à côté de Bastogne, durant la bataille des Ardennes, l’hiver 1944-1945. Ils se sont réfugiés dans des villages qui ont été entièrement brûlés, avec les massacres, tout ça. Puis ma mère a vécu dans des baraquements après la guerre ; il a fallu des années pour qu’ils retrouvent tous les deux une maison. Une période très dure pour eux.

Je pense que j’ai un héritage, par rapport à pas mal de choses, issu du manque que mes parents ont ressenti à ce moment-là. Bref, chez nous, le char d’assaut était sacralisé et tout à coup, dans le recueil relié, je vois un mec, avec trois crolles en l’air, qui achète un char d’assaut, qui part avec et qui le peint en rouge! Là, je me suis dit: «Mais quel personnage génial!»

Il est resté depuis tout ce temps votre favori?

Personne, ni dans la fiction ni dans la réalité, ne m’a accompagné toute ma vie au quotidien. Mon choix est dû aux cinq tomes du Spirou d’Emile Bravo. Un vrai chef-d’œuvre: il a réussi à retrouver l’âme de Spirou et Fantasio, avec une dimension politique et poétique absolument bouleversante et un contexte historique – l’occupation de la Belgique durant la Seconde Guerre mondiale – formidablement bien transcrit.

Fantasio y prend toute sa splendeur. La femme dont il est amoureux sera fusillée, il l’apprend et entre dans la Résistance. Après avoir été journaliste au Soir et avoir déclenché le conflit, sur un accès de colère.

Y aller au coup de gueule, au coup de cœur, à l’instinct et au coup d’émoi, comme Fantasio, c’est beau.

Est-ce un personnage dont vous vous êtes parfois inspiré dans votre vie?

Non, mais si je devais prendre quelque chose de Fantasio, j’aimerais avoir son insouciance, être parfois plus comme lui. Evidemment, il fait beaucoup de bêtises, et c’est ce qui me fait rire. Mais ses coups de sang le rendent invincible parce qu’il ne se rend pas compte du danger.

Ne pas se rendre compte du danger, y aller au coup de gueule, au coup de cœur, à l’instinct et au coup d’émoi, c’est beau. Dans un monde trop calculé, puritain, où on n’ose plus trop parler, ça manque quand même foutrement de Fantasio! Quelqu’un de très ouvert au demeurant: il est zazou, écoute du jazz, est ouvert à toutes les cultures. Ethiquement, il est très très bien. Avec, en plus, une forme d’innocence absolue.

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Auriez-vous voulu être lui, dans la vraie vie?

J’aurais préféré être le capitaine Haddock. Il navigue, il a des coups de sang aussi et il boit du whisky, comme moi. Et il habite à Moulinsart, hein, quand même! Il a hérité, il peut partir en voyage, faire des trucs avec son ami Tintin, qui a toujours une bonne idée, suffit de le suivre. Et quand il rentre chez lui, il rentre dans un château. C’est cool, sa vie.

Encore un irascible, Haddock…

Oui. Ça me plaît parce que c’est très humain. Tintin, il ne s’énerve jamais, il ne tient pas l’alcool… Ça doit être chiant d’être Tintin, Spirou ou Johan. Si on veut exister, si on veut vivre un maximum de choses, c’est mieux d’être Pirlouit, Haddock ou Fantasio. Et puis, c’est difficile de s’identifier à un héros sans peur et sans reproche, c’est plus facile avec un personnage plein de contradictions, qui fait des erreurs, ment, se rachète. C’est lui qui fait l’approche affective avec la bande dessinée, la série ou le film.

Si Haddock ne dérape pas, si Fantasio ne merde pas, si Pirlouit n’a pas une très grosse mauvaise idée qu’il fait alors qu’on lui a dit ne pas la faire et qu’il avait promis de ne pas la faire, si Tchantchès, au théâtre de marionnettes, ne met pas un coup de boule à des mecs lors d’une bataille, on est triste. On n’attend que ça, en fait!

C’est ce type de personnages qui amène le sel de l’histoire. Du point de vue narratif, s’il n’y a pas ces seconds rôles, il n’y a pas d’histoire. Comme, à mes yeux, il n’y a en vérité pas de hiérarchie entre les rôles. La hiérarchie est vraiment un truc qui vient de la société civile d’aujourd’hui, comme la compétition. J’abhorre la compétition, parce que, petit, j’en ai fait et ça m’a profondément meurtri. Moi, je ne fais pas des films pour gagner, je ne joue pas pour être premier rôle, ni second rôle, je joue parce que j’ai envie de jouer. C’est le côté artistique de la chose qui m’intéresse, pas le classement.

Bio express Bouli Lanners

Naissance, le 20 mai 1965, à Moresnet-Chapelle (province de Liège). Comédien, scénariste, metteur en scène, peintre et enseignant. Déteste les récompenses mais les collectionne, tant comme acteur que comme réalisateur: rien que cette année, un César et un Magritte pour son rôle dans La Nuit du 12. Entier, souriant et tempétueux, amateur de whisky et de grands espaces, il est très engagé dans la lutte pour le climat et prône la décroissance.

Bio express Fantasio

Naissance, le 8 juin 1939, à Marcinelle (Hainaut). Journaliste, il a travaillé au Moustique (rubrique potins), puis au Soir (aux archives), puis au Journal de Spirou où il est en charge de la rubrique jeux avant de devenir secrétaire de rédaction. Il ne se consacre ensuite qu’à l’aventure, avec Spirou, Spip, Seccotine, le Marsupilami, le comte de Champignac, le très méchant cousin Zantafio et Zorglub, le savant fou. Passionné d’inventions, maladroit, râleur, colérique, dandy, vite amoureux.

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