Gilles Vanden Burre
Réseaux sociaux : il faut encadrer l’argent dépensé en publicités politiques (carte blanche)
Gilles Vanden Burre (député fédéral et chef de groupe Ecolo-Groen à la Chambre) et Valentin Dantinne (juriste en droit des technologies de l’information) proposent de limiter les dépenses des politiques sur les réseaux sociaux, ainsi que de reconsidérer la notion de « période électorale » qui, sur Facebook et compagnie, est permanente.
Faisons un simple exercice. En 2021, comment les opinions politiques vous parviennent-elles ? Programmes télévisés, presse écrite, presse en ligne et… réseaux sociaux (Facebook, Twitter, YouTube, Instagram, TikTok). Dans ces quatre types de médias, trois font l’objet de règles et de limitations quant à la propagande politique en Belgique (et en Europe). Parce que nous vivons dans une démocratie. Le quatrième semble vivre dans une « démocratie » alternative où le plus gros porte-feuille est le roi de la parole. On vous laisse deviner lequel.
La question de la limitation des dépenses en publicités politiques sur les réseaux sociaux relève somme toute d’une question assez simple à se poser : souhaitons-nous une information en ligne organique, équitable et diverse ou voulons-nous être abreuvés de publications des politiques ayant injecté le plus d’euros pour biaiser l’algorithme ? Si l’on est prêt à un vrai combat d’idées politiques, aucun parti ne devrait avoir peur de plafonner les dépenses en publicités politiques sur les réseaux sociaux. S’opposer à un tel assainissement de l’information politique sur les réseaux reviendrait d’ailleurs à remettre en cause d’autres fondements démocratiques comme la régulation de la propagande électorale dans la presse ou à la télévision.
Lire aussi: Comment éviter les posts sponsorisés des partis politiques sur Facebook
Un environnement numérique biaisé dès le départ
Avant même de s’attarder sur les questions de démocratie ou de valeurs, le contexte des plateformes numériques rend la nécessité d’une régulation encore plus pressante. Nul ne l’ignore aujourd’hui puisque que cela fait partie de leur modèle économique : les plateformes telles que Facebook sont conçues dans leurs algorithmes pour pousser davantage certaines publications que d’autres sur les fils d’actualité des utilisateurs. La manière dont une information est amenée à l’utilisateur est donc déjà loin d’être équitable par nature : les publications les plus clivantes, poussant au clash, qui critiquent, dénoncent ou qui poussent à réagir ont bien plus de chance d’être poussées sur votre fil d’actualité qu’une publication qui fait montre de nuances et de développements.
Imaginez alors le rayonnement d’une publication – qu’importe qu’elle soit véridique ou non, argumentée ou non d’ailleurs – qui, par définition, dénonce ou clashe si elle est de manière supplémentaire favorisée par un sponsoring financé par un parti ou une personnalité politique. Elle bénéficiera d’une portée décuplée par rapport à une publication nuancée n’étant pas financée par l’argent d’une formation politique.
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Il est judicieux à ce propos de relire la ratio legis (raison d’être de la loi) de la loi de 1989 qui encadre précisément les dépenses électorales, notamment dans la presse, en radio ou à la télévision, pour l’instant durant les 4 mois avant une élection. Les développements de la proposition de loi qui a mené à la loi de 1989 énoncent :
« Est-il juste que des candidats du même parti ou de partis différents puissent disposer de moyens financiers totalement différents ?
Il conviendrait de mettre un terme à ce type de discrimination dans l’intérêt de notre système électoral démocratique. Les personnes disposant d’un capital important ne devraient pas pouvoir tirer parti de cette situation pour acquérir, grâce à une campagne démesurée, une notoriété à laquelle les qualités personnelles ou le contenu du programme sont somme toute étrangers. »[1]
Cet argumentaire, rédigé en 1989 par les députés signataires de la proposition, issus des partis chrétiens, libéraux et socialistes (comprenant entre autres Frank Vandenbroucke ou Louis Michel) lors des gouvernements Martens, n’a en réalité pas vieilli d’un iota sur le fond.
Si l’on actualise les propos à l’ère actuelle des réseaux sociaux, une « campagne démesurée » peut tout à fait renvoyer à une campagne menée sur les réseaux sociaux, les partis et personnalités politiques ayant massivement investi l’espace public numérique pour communiquer leurs opinions et leurs programmes.
Les parlementaires ont à l’époque souhaité, en d’autres termes, créer des conditions de concurrence équitable entre les candidats et les partis, et encadrer le rôle que joue l’argent dans une démocratie. L’idée était de limiter le rôle de l’argent au détriment du contenu et des idées de fond. Ce n’était pas la richesse financière d’un parti ou de ses candidats qui devait déterminer l’issue des élections, mais le contenu de son programme.
L’avènement d’une société numérique amène aussi à reconsidérer la notion de « période électorale ». Les partis politiques dépensent d’importantes sommes d’argent en propagande et en publicité, même en dehors des campagnes électorales. Il serait de mauvaise foi de prétendre que ces publicités n’influencent pas l’opinion des citoyens et citoyennes sur les partis, leurs mandats et leurs candidats. La distinction entre la période de campagne et la période hors campagne devient quelque peu artificielle à cet égard : si vous voulez garantir des conditions de concurrence équitables entre les partis et les candidats, vous devez également examiner les dépenses en dehors de la période de campagne. La publicité et la propagande auxquelles les citoyens sont confrontés quotidiennement sur les réseaux sociaux façonnent également les opinions de la population, qui ne se forment en aucun cas uniquement dans les quatre mois précédant les élections.
La fondement même de la démocratie suppose l’existence d’une pluralité d’options et de propositions, généralement incarnées dans des partis et des personnalités ayant la liberté de s’opposer et de critiquer le gouvernement ou les autres acteurs du système politique. Dès lors, une démocratie existe donc qu’en autant qu’on y trouve « une organisation constitutionnelle de la concurrence pacifique pour l’exercice du pouvoir » (Raymond Aron[2]).
Une liberté d’expression revitalisée
Quant à l’argument de la liberté d’expression qu’on pourrait opposer à une limitation des dépenses en ligne, aucune liberté d’expression n’est de facto brimée avec un tel processus.
Faire le choix d’interdire tout sponsoring de publicités politiques serait aller un cran trop loin dans la régulation et constituerait une immiscion trop prononcée dans la liberté de communication des partis. En revanche, poser des limites communes aurait la valeur ajoutée de créer un espace de débat fair-play et beaucoup moins biaisé par l’argent, dans lequel chaque parti aurait encore l’occasion de promouvoir ses idées dans un cadre raisonné. Chaque parti dispose du droit d’élaborer sa stratégie librement, mais sans toutefois mener des « campagnes démesurées » comme celles que le législateur a cherché à éviter dans les développements de la loi de 1989 évoqués plus haut. Une limitation des dépenses ne serait en fait qu’une actualisation de la raison d’être de la loi de 1989 adaptée à l’époque numérique dans laquelle le débat public évolue aujourd’hui.
A vrai dire, l’installation d’un plafond médian permettrait une meilleure liberté d’expression, mieux répartie entre toutes les formations politiques. Limiter la course aux publications les plus virales entre les partis favoriserait également l’apparition de davantage d’arguments de fond dans les publications, l’intention des publications étant susceptibles d’être revues en cas de concurrence équitable. Un tel système nous paraît être la meilleure définition d’une démocratie saine sur les réseaux sociaux.
[1] https://www.dekamer.be/digidoc/DPS/K2048/K20480165/K20480165.pdf
[2] Philosophe, sociologue, politologue, journaliste et historien français.
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