« Beaucoup de flou », un accord « équilibré »: l’opposition sceptique sur la réforme des pensions, la majorité satisfaite
Le gouvernement est tombé d’accord sur une réforme des pensions annoncent le Premier ministre, Alexander De Croo, et la ministre des Pensions, Karine Lalieux. Les personnes qui choisissent de travailler trois années supplémentaires après la date théorique de pension anticipée bénéficieront jusqu’à 22.645 euros de plus.
Le gouvernement s’est accordé lundi à l’aube sur une réforme des pensions, ont annoncé le Premier ministre, Alexander De Croo, et la ministre des Pensions, Karine Lalieux. Un système de bonus progressif sera introduit pour soutenir le maintien à l’emploi des travailleurs âgés.
L’accord atteint au bout d’une nuit de négociation complète celui conclu il y a un an en la matière et vise en particulier à rendre le système plus soutenable financièrement au regard du coût du vieillissement de la population. Les différentes mesures permettront de réduire celui-ci de 0,5% à l’horizon 2070.
En mai, la Commission européenne avait invité la Belgique à faire preuve de prudence budgétaire pour faire face au vieillissement et avait pointé du doigt « un manque de mesures budgétaires compensatoires significatives ».
Bonus pension
Tel que conçu l’été dernier, le bonus pension entraînait un accroissement des dépenses d’ici 2030 selon les calculs du Bureau du Plan. Le bonus ne sera pas versé brut, mais net. Pour la personne qui souhaite prolonger sa carrière s’ajoute la possibilité d’opter pour un versement unique. Ce versement unique augmentera au fur et à mesure pour atteindre jusqu’à 22.645 euros pour celles et ceux qui choisissent de travailler trois années supplémentaires après la date théorique de pension anticipée.
« Le bonus progressif est une mesure forte, totalement inédite, qui veillera à soutenir les travailleurs qui décideront de rester plus longtemps actifs », a souligné Mme Lalieux.
Un effort particulier sera fait pour les personnes qui comptent une carrière longue en leur permettant de dépasser le montant total de 22.645 euros.
L’accord vise également à faire contribuer les pensions les plus élevées via un doublement de la cotisation Wijninckx, c’est-à-dire la cotisation spéciale touchant les primes de pensions complémentaires dans le deuxième pilier. Elle passera de 3% à 6% à partir du 1er janvier 2028, conformément à une demande des partenaires sociaux.
« La solidarité entre les hautes pensions et les faibles pensions est renforcée. C’était essentiel« , a ajouté la ministre.
Le premier accord conclu en juillet 2022 au prix de longues négociations introduisait une condition de travail effectif pour bénéficier d’une pension minimum dont le montant a été revalorisé. De nouvelles périodes assimilées à du travail seront ajoutées afin, entre autres, de mieux protéger les femmes qui comptent généralement une carrière plus courte et plus hachée que les hommes. Sont concernés le congé de naissance, le congé d’adoption, le congé d’écartement préventif du travail, le chômage temporaire et le congé de paternité.
La péréquation de la pension des fonctionnaires, sorte de mécanisme d’adaptation des pensions des fonctionnaires au bien-être en plus de l’indexation, est maintenue mais plafonnée à 0,3% de la masse de pensions des fonctionnaires. La ministre PS dit avoir tenu bon face aux demandes libérales qui voulaient supprimer ce système.
Dans le cadre du contrôle budgétaire de mars, la revalorisation de la pension minimum avait été rabotée de quelques euros par mois. La mesure, qui représente une économie annuelle de 126 millions d’euros, est confirmée.
Equilibre
M. De Croo est revenu en fin de matinée, aux côtés de la ministre des Pensions Karine Lalieux (PS) et du Vice-premier ministre MR, en charge notamment des Classes Moyennes et des Indépendants David Clarinval, sur l’accord intervenu à l’issue d’une séance nocturne de négociations. Tous trois ont insisté sur le caractère équilibré de l’accord. Alexander De Croo s’est par ailleurs montré optimiste quant à l’attitude de la Commission européenne en ce qui concerne le financement du plan de relance conditionné à la soutenabilité financière, à terme, du dispositif en matière de pensions.
Outre la réduction du coût du vieillissement à hauteur de 0,5% du PIB, la Belgique observe pour la première fois une évolution démographique « plus positive » et elle rend le travail plus attractif, a-t-il souligné. Le Premier ministre a enfin annoncé une reprise du travail du gouvernement sur l’épineux dossier de la réforme fiscale. « « On n’a jamais dit que l’on laissait tomber la réforme fiscale. Nos équipes ont été chargées de plancher sur certains aspects dimanche. On recommence aujourd’hui à travailler » sur le dossier, a-t-il assuré.
La Vivaldi satisfaite
Dans la majorité, le ton est à la satisfaction, chacun y plaçant ses accents particuliers. Pour le président du MR, Georges-Louis Bouchez, les mesures adoptées « visent à mieux récompenser celles et ceux qui travaillent. Maintenir un système finançable sera une préoccupation constante des prochaines années ». M. Bouchez a pointé, comme autant d’avancées libérales, le travail effectif pour la pension minimum; un début d’harmonisation des régimes de pension et le bonus pension pour celles et ceux qui travaillent plus longtemps. Pour lui, « la réforme fiscale doit s’appuyer sur ces principes afin de baisser l’impôt pour tous ».
Pour la ministre des Pensions, la socialiste Karine Lalieux, l’accord est équilibré car il augmente la pension minimum; il valorise le travail; il contribuera à augmenter le taux d’emploi; et améliore l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes. Son collègue, le Vice-premier ministre Ecolo Georges Gilkinet a quant à lui mis en exergue le bonus pension plus attractif, les nouvelles périodes assimilées pour les femmes et les artistes, « une contribution renforcée des épaules les plus larges en plus de la pension minimale à plus de 1500 euros ».
« Beaucoup de flou », dit l’opposition
L’accord s’est attiré les critiques de l’opposition dès les premières heures de la journée. Le président du PTB, Raoul Hedebouw, a estimé que cet accord n’allait pas assez loin sur le plan social. « Aucune décision pour taxer les super-riches, aucune décision pour les métiers pénibles, tout le monde ira jusque 67 ans. Mais un accord pour économiser trois milliards sur les pensions. Avec ce que ce gouvernement sème, qu’il ne s’étonne pas de récolter la résistance du monde du travail », a-t-il affirmé sur Twitter.
Sur le même canal, la cheffe de groupe Les Engagés à la Chambre, Catherine Fonck, a estimé que l’accord ne permettait « manifestement » pas de « mieux valoriser l’effort et le travail » « Le bonus pension très vendeur (…) risque de ne concerner que très peu de personnes. Mais il y a aussi beaucoup de flou… Une ministre dit que la baisse de la péréquation ne touchera quasi personne et l’autre parle d’une économie de 2,4 milliards. L’une dit que les années effectives de travail intégreront plus de périodes assimilées et l’autre parle de durcissement. Quand il y [a] du flou, il y a un loup… », a-t-elle jugé.
Pour le président de DéFI, François De Smet, les mesures annoncées comportent des éléments positifs mais ne constituent qu' »un correctif, en seconde sess’, de la réforme Vivaldi de juillet 2022, jugée non soutenable, sous pression européenne ». « Qui peut imaginer que l’effort de 0,4% du PIB à l’horizon 2070 sera suffisant, alors que le ‘papy boom’ commence à peine? Il n’est pas certain que la Commission européenne avale cette pilule », a pointé le président des amarantes. Pour lui, les divisions de la majorité la « condamnent à n’aboutir que sur du court-terme, et à laisser les grandes réformes aux suivants ».
Manque de concertation sociale
Les syndicats de la fonction publique n’apprécient guère avoir été oubliés dans le dossier des pensions. « C’est incompréhensible et inacceptable », ont réagi quelques heures plus tard les trois principaux syndicats.
Une des mesures annoncées par la ministre des Pensions Karine Lalieux et le Premier ministre Alexander De Croo passe particulièrement mal auprès des représentants du personnel de la fonction publique: le plafonnement de la péréquation de la pension des fonctionnaires, un mécanisme qui permet aux pensions des fonctionnaires retraités de suivre l’évolution des salaires des agents en activité. Le Syndicat libre de la fonction publique (VSOA/SLFP) n’y voit pas tant une réforme des pensions. Il estime qu’il s’agit en réalité de nouvelles économies réalisées sur le dos des fonctionnaires.
Ilse Heylen, représentante de l’ACV/CSC Services publics, estime que le niveau de vie des fonctionnaires retraités risque d’en pâtir. S’il était encore tôt pour se prononcer dans les détails sur le fond de l’accord, la forme ne ravit pas les trois syndicats. Une réunion était encore prévue jeudi, explique la représentante de l’ACOD/CGSP. « Nous étions ouverts à l’élaboration d’un autre système de calcul, mais nous n’avons même pas eu l’occasion (d’en discuter) », explique Chris Reniers. « La manière dont le gouvernement se passe de la concertation sociale est inacceptable », selon le VSOA/SLFP.
Faire des économies, l’objectif principal de la réforme des pensions, réagit la FGTB
Les économies budgétaires dictent une fois de plus l’avenir des pensionnés et ont été l’objectif principal de la réforme des pensions, déplore la FGTB en réaction à l’accord en la matière obtenue au sein du gouvernement. Pour le syndicat socialiste, ce sont les agents de la fonction publique qui en paient le prix fort.
« Il est toujours surprenant que, pour certains, le succès d’une réforme se mesure à l’aune des économies qu’elle permet. En période de vieillissement, l’augmentation des dépenses en termes de pensions serait pourtant logique », commente la FGTB.
Pointant les 2 milliards d’euros d’économies par an réalisées sur la péréquation des pensions publiques (un système qui permet d’adapter les pensions des fonctionnaires au bien-être, en plus de l’indexation, en les liant aux augmentations de salaire des fonctionnaires actifs, NDLR), le syndicat redoute que les fonctionnaires pensionnés depuis un certain temps vont accuser une réelle perte de pouvoir d’achat. « Et ce, sans aucune concertation sociale préalable », fustige-t-il.
« Une fois encore, on améliore le sort des uns au détriment du sort des autres. » L’organisation syndicale relève par contre des éléments positifs quant à l’accès à la pension minimum. Au cours de l’été dernier, le gouvernement fédéral avait décidé de conditionner la pension minimum à une condition supplémentaire de 5.000 jours de travail effectif (3.120 jours pour les travailleurs et travailleuses à temps partiel), rappelle-t-elle.
La FGTB se réjouit que les périodes de congés thématiques et de chômage temporaire soient désormais comptabilisées comme du travail effectif. Elle craint cependant que de nombreuses femmes, à faibles revenus, ne soient encore exclues de la pension minimum, par exemple les travailleurs et travailleuses à temps partiel. Encore une fois, la pénibilité du travail est la grande absente de cette réforme alors qu’elle est pourtant au cœur des préoccupations sur le terrain, qu’elle écarte toute possibilité de prolonger la carrière et donc de profiter d’un quelconque bonus pension (tel que celui décidé dans l’accord de lundi, NDLR), pointe encore le syndicat socialiste.
« Pénibilité sur le dos de laquelle il ne serait pas question de faire des économies budgétaires mais bien de dessiner un cadre adapté pour les fins de carrière. Pénibilité dont il faudra bien parler tôt ou tard, si le gouvernement veut mener une politique connectée au monde du travail. »