Olivier Mouton

Quand la politique descend bien bas, Sans chichis

Olivier Mouton Journaliste

La vive polémique née autour de la participation du Premier ministre Elio Di Rupo à l’émission en prime time sur la RTBF illustre à quel point la com’ domine désormais la politique. Pour le meilleur et, surtout, pour le pire…

Quelle naïveté ! A moins qu’il ne s’agisse vraiment d’une manipulation délibérée ? En offrant sur un plateau une émission en prime time au Premier ministre Elio Di Rupo, la semaine dernière, la RTBF a provoqué un séisme de réactions outrées dans le monde politique. L’administrateur délégué de la RTBF, Jean-Paul Philippot, étiqueté PS, devra répondre de ce choix devant le Conseil supérieur de l’audiovisuel. Une polémique révélatrice de plusieurs dérives de la politique, au sens large, en Belgique.
La RTBF à tout le moins imprudente. Pendant soixante-neuf minutes, devant quelque 205.000 téléspectateurs, le Premier ministre a pu dérouler tranquillement son discours sur l’ascenseur social, lui qui vient d’un milieu défavorisé, et répondre gentiment à des questions dont l’intérêt, laisse pantois : oui, il sait encore conduire, il aime les tartines au choco et porter des baskets. Franchement… Il est vrai qu’en Flandre, de telles émissions « people » existent de longue date, ce sont même elles qui ont contribué à faire de Bart De Wever une star. Pourquoi cela ne pourrait-il pas se faire en Belgique francophone ? Le problème, c’est que cette participation inhabituelle chez nous a lieu alors que la campagne électorale démarre à toute vapeur, à quelques encablures de la période de prudence (à partir du 25 février) sur une chaîne publique qui se sait attendue au tournant. Et sans la moindre contradiction. Faut-il que l’administrateur délégué de la RTBF ait été distrait pour ne pas se rendre compte que cela poserait problème. Il en essuie les plâtres.

La com’ domine tout. S’il est un domaine dans lequel le Premier ministre excelle, au-delà du fait de faire naître lentement le compromis entre des positions inconciliables, c’est bien la communication. Depuis des mois, il ne cesse de vendre sa « recette belge » mêlant économies, préservation du pouvoir d’achat et relance de l’économie. Depuis des semaines, il parcourt le Hainaut dans tous les sens, sa province « adorée » où il tirera la liste du PS pour la Chambre. Ses conseillers en communication scrutent tout signe qui pourrait écorner son image, dans les médias, sur les réseaux sociaux, mais en 2013, le Premier n’a jamais participé aux émissions les plus politiques et les plus contradictoires : « Matin-Première » (RTBF), « L’invité de Vrébos » sur Bel-RTL et L’Indiscret sur la RTBF. De son point de vue, la participation à ce « Sans chichis » était certes cohérente pour un Elio Di Rupo toujours maître de son sujet. La manière dont il maîtrise tout cela illustre néanmoins à quel point, désormais, la politique est avant tout un exercice de communication très professionnel. Et les médias en sont complices.

Les petites phrases et le positionnement camouflent les vraies questions. Puisse le niveau de la campagne électorale voler un peu plus haut que cela… Charles Michel, président du MR, se déclarant « sidéré » par l’émission, y a consacré une partie de ses voeux pour 2014. « Quelle sera la prochaine étape ? , s’est-il interrogé. Un dîner presque parfait, peut-être Star Academy voire L’amour est dans le pré ? Non, je préférerais Koh-Lanta pour dire  »Elio, l’aventure du tout au PS s’arrête maintenant ». » Bon… Le vice-Premier MR Didier Reynders, lui, n’a pas hésité à ressortir la vieille comparaison entre la Wallonie et la Corée du Nord. Depuis le début de l’année, alors que les élections sont dans cinq mois, on ne cesse d’avoir droit aux formules du type « Il faut choisir entre le modèle de la N-VA et celui du PS » quand il ne s’agit pas de comparer le soutien patronal à la N-VA à celui du patronat allemand au national-socialisme avant la guerre (Moureaux). Les petites phrases étaient déjà omniprésentes dans le débat public, elles deviennent à l’heure d’internet et du zapping permanent une défiance de chaque instant à l’esprit critique. Cela renforce les polarisations, gomme les nuances et ce à l’heure où la politique est plus complexe que jamais, formatée par des contraintes quasiment inaliénables (comme la règle d’or budgétaire européenne).

La campagne sera rude. Vraiment ? Par-delà ces outrances et ces positionnements, il y a des stratégies plus ou moins bien maîtrisées. Le PS ne restera fort qu’en hurlant au loup face à la droite et en présentant Elio comme le sauveur du pays. Le MR ne « déplacera le centre de gravité (dixit Reynders à l’époque) qu’en tirant à boulets rouges sur les 25 ans de pouvoir socialiste. La N-VA ne séduira la Flandre qu’en appelant à faire front contre un Di Rupo 2. Les électeurs sont-ils vraiment dupes ? Le coeur nucléaire de la politique ne se situe-t-il pas plutôt dans les débats de fond sur les (gros enjeux) de l’heure : la réforme fiscale, l’avenir de la Wallonie et de Bruxelles, la qualité de notre enseignement… ? Tout cela est certes plus fastidieux. Et encore, réjouissons-nous : en France, le pays en crise tourne autour d’un débat médiatique sur les galipettes du président…

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