Une année après les élections, le débat entre Georges-Louis Bouchez et Paul Magnette sur le plateau de la RTBF a dépassé le simple exercice de communication politique. Invectives, véhémence et interruptions à répétition ont mis en scène un antagonisme structurel entre deux visions du pouvoir, mais aussi deux stratégies de langage diamétralement opposées. En analysant leurs discours, leurs postures et leurs arrangements avec la vérité, se dessine une polarisation dans la culture politique francophone belge.
Ce n’était pas un débat. C’était une opposition frontale, où l’échange d’idées a cédé le pas à la mise en scène d’un affrontement total. Depuis un an, les relations entre le PS et le MR n’ont cessé de se dégrader. Mais jeudi soir, sur la RTBF, ce divorce politique s’est fait spectacle. Entre les micros coupés par le journaliste Thomas Gadisseux et les accusations mutuelles de «mensonges», le clash entre Georges-Louis Bouchez et Paul Magnette a des allures de fin d’une culture du compromis au sommet de la politique belge francophone. Faut-il y voir un symptôme du clivage gauche-droite ou le signe de l’évolution des stratégies de communications des deux leaders de partis?
Pour Philippe Hambye, professeur de linguistique à l’Université catholique de Louvain et spécialiste du discours politique, la réponse est claire: «Ce qui m’a frappé, c’est qu’on n’a pas de dialogue. On ne conteste pas les arguments sur le fond, mais on répond à l’attaque par l’attaque. Ça évite de répondre. C’était un pugilat.»
Le professeur de linguistique relève que certaines interventions de Paul Magnette et de Georges-Louis Bouchez, tiennent davantage de procédés rhétoriques que d’un débat de fond. Mais là où il voit un changement d’habitude chez le socialiste, il y voit une continuité chez le libéral. A plusieurs reprises, notamment sur LN24 ou dans Sudinfo, le président du MR a établi un parallèle entre le PTB et des figures de la gauche bruxelloise qu’il associe à un islam politique ou à des positions jugées communautaristes, évoquant à ce titre des élus comme Fouad Ahidar ou des slogans entendus lors de manifestations pro-palestiniennes.
«En mettant tous ces éléments sur le même plan, il installe une forme d’amalgame. Plutôt que de répondre aux critiques qui le visent, notamment lorsqu’il est accusé par Paul Magnette de glissements droitiers, Bouchez renvoie vers l’opposition en parlant du PTB ou de certains militants de gauche. Il redonne le valet puant, commente Philippe Hambye. «Même logique dans l’échange sur Gaza. Lorsque Magnette dénonce le refus du MR d’utiliser le mot «génocide», Bouchez se réfugie derrière un argument juridique en disant que seule une cour internationale pourrait le qualifier ainsi. Alors que la critique porte sur l’inaction ou le silence politique. Ce type de réponse donne l’apparence de la rigueur, sans aborder le fond du reproche.»
Nicolas Baygert, de son côté, avait déjà averti sur les techniques de discours de Georges-Louis Bouchez, que Paul Magnette semble avoir emprunté ce soir de débat: «Georges-Louis Bouchez a depuis plusieurs années adopté une communication de rupture, fondée sur la saturation de l’espace médiatique. Il parle souvent, vite, et de tout. En stratège, il surfe sur les controverses, manie la simplification, et s’inscrit dans une logique d’outrage stratégique. Paul Magnette opte pour une rhétorique davantage institutionnelle, ancrée dans un ethos professoral, mais de plus en plus traversé par des accents militants, surtout lorsqu’il s’agit de s’opposer à ce qu’il considère comme les « dérives » de la droite libérale.»
Si l’affrontement entre Georges-Louis Bouchez et Paul Magnette s’est surtout joué sur la forme, plusieurs affirmations échangées au cours de l’émission méritent d’être confrontées aux faits. Derrière les invectives, les chiffres ont circulé, les promesses de campagne ont été évoquées, et certaines accusations ont semé le doute. Voici ce qu’il en est, pour quatre affirmations, une fois les paroles recontextualisées et les données vérifiées.
Le budget fédéral est «bidon»
Lors du débat, Paul Magnette a qualifié le budget fédéral de «bidon», estimant qu’il conduirait à un déficit public de 40 milliards d’euros. Georges-Louis Bouchez a rejeté cette lecture, parlant de «restructuration nécessaire» pour redresser les finances publiques.
Ce qu’il en est: Plusieurs institutions indépendantes ont récemment exprimé des réserves sur la soutenabilité budgétaire. En mai, la Cour des comptes a relevé des incertitudes importantes sur les recettes prévues dans le budget 2025, ainsi qu’une sous-estimation de certaines dépenses. Fin mai, la Banque nationale de Belgique (BNB) a confirmé cette tendance: selon ses prévisions, le déficit pourrait atteindre 5,6% du PIB en 2027, malgré les réformes engagées. La BNB a par ailleurs exprimé des doutes quant aux «effets retours» escomptés par le gouvernement, c’est-à-dire les bénéfices économiques attendus de certaines mesures à moyen terme.
Elle souligne que certaines décisions budgétaires, notamment en matière de Défense, pourraient neutraliser les effets positifs d’autres réformes, et que la croissance attendue reste modérée (1% par an en moyenne). Dans ce contexte, les projections d’un déficit structurel persistant restent plausibles.
A retenir: Le chiffre de 40 milliards évoqué par Paul Magnette correspond à une estimation haute, plausible dans un scénario pessimiste. Il ne s’agit pas d’une invention, mais d’un usage politique d’un chiffre non consolidé. Le MR, de son côté, s’appuie sur les effets différés de ses mesures, que ni la BNB ni la Cour des comptes ne jugent invalides, mais difficiles à chiffrer à ce stade.
«Engie et les banques ne cotisent pas»
Le PS a accusé le MR de ne rien exiger des grandes entreprises. Bouchez rétorque qu’elles paient déjà des impôts et des cotisations.
Ce qu’il en est: Les grandes entreprises comme Engie ou BNP Paribas paient l’ISOC, des taxes sectorielles, et des contributions sociales. Mais leur fiscalité reste allégée par les déductions pour revenus d’innovation ou pour réserves immunisées. Le prélèvement effectif peut être très en-dessous du taux théorique de 25%. C’est ce que dénonce le PS.
A retenir: Les deux camps ont raison partiellement. Le MR minore les effets d’optimisation fiscale. Le PS exagère l’idée de «zéro contribution.»
«La réforme du chômage affaiblit l’Etat»
Le président du PS affirmait que la réforme du chômage fragiliserait l’Etat fédéral en transférant une charge financière importante vers les communes. Georges-Louis Bouchez défend au contraire un signal donné en faveur de la reprise du travail.
Ce qu’il en est: La réforme prévoit qu’à partir du 1er janvier 2026, la durée des allocations de chômage sera plafonnée à deux ans pour les demandeurs d’emploi de longue durée. Au-delà de cette période, ceux qui ne retrouvent pas de travail devront, en dernier recours, solliciter une aide sociale auprès du CPAS de leur commune, notamment sous la forme du revenu d’intégration sociale (RIS). Contrairement aux allocations de chômage, financées par la sécurité sociale fédérale, le RIS est partiellement à la charge des autorités locales.
Le gouvernement a promis des compensations pour les communes, mais celles-ci ne sont pas automatiques. Elles sont conditionnées à des mécanismes budgétaires encore flous et n’ont pas encore fait l’objet de textes détaillés. Cette incertitude suscite des inquiétudes chez les acteurs locaux, ainsi que chez plusieurs chercheurs en sécurité sociale. Selon eux, cette réforme pourrait s’apparenter à une régionalisation de fait de certaines compétences, sans révision formelle de l’organisation institutionnelle.
A retenir: En l’état, la réforme accroît la pression sur les CPAS sans garantie formelle de compensation intégrale. Elle soulève des questions sur l’évolution implicite de la répartition des compétences au sein de l’Etat fédéral.
«Où sont les 500 euros promis aux travailleurs?»
Le président du PS a accusé le MR d’avoir menti aux électeurs en promettant «500 euros net de plus pour chaque travailleur». «C’est faux», a rétorqué Bouchez, parlant d’une manipulation de la gauche.
Ce qu’il en est: Dans son programme, le MR promettait un tas de mesures sociales qui cumulées, apporteraient un différentiel net de plus ou moins 500 euros entre les revenus du travail et ceux de l’inactivité, tout en annonçant des mesures fiscales censées améliorer les salaires net (hausse de la quotité exemptée, bonus à l’emploi, suppression de certaines cotisations). Ces dispositifs combinés pouvaient entraîner plusieurs centaines d’euros net en plus, mais sans garantir une augmentation de 500 euros pour tous.
Depuis l’entrée en fonction du gouvernement De Wever, la réforme fiscale reste en préparation, et les montants exacts ne sont pas confirmés.
A retenir: En misant sur un chiffre fort sans en expliciter les modalités, le MR a alimenté une confusion que l’opposition, le PS en l’occurrence, exploite aujourd’hui.