Dans leurs programmes, MR et Les Engagés promettaient bien à tous les travailleurs plusieurs centaines d’euros net de plus chaque mois (et 500 euros «en moyenne» chez les Engagés). Pas seulement un différentiel augmenté entre travailleurs et inactifs, donc.
«Fake news!»: il n’y a rien qui énerve plus un vainqueur d’élections, surtout s’il est de droite, que de lui rappeler certaines promesses. En particulier si le rappel est biaisé par l’intérêt politique de son opposant, a fortiori s’il est de gauche. La sentence de l’énervé tombera comme un réflexe: l’énervant, nécessairement frustré par la défaite, aura professé une fake news typique du rageux qu’il est.
La polémique sur les 500 euros net tombe vraiment pile dans ce registre dialectique. Elle voit, depuis l’installation du gouvernement De Wever, l’opposition PS, PTB, Ecolo et DéFI accuser MR et Engagés d’avoir trahi un engagement phare de leur campagne victorieuse, parce qu’ils avaient promis que chaque travailleur recevrait 500 euros net chaque mois, et ces derniers de rétorquer qu’ils n’ont jamais rien promis de pareil, qu’on les a mal compris ou qu’on est de mauvaise foi, et que ce qu’ils voulaient, c’était seulement assurer un différentiel de 500 euros entre les revenus du travail et l’inactivité.
Mais, comme dans une vraie controverse infinie, les deux camps ont un peu raison: il y a une part de fake news dans cette histoire, mais aussi une part de fake fake news.
Parce qu’il est vrai que les programmes 2024 du MR et des Engagés parlent bien d’un différentiel pour commencer, et c’est explicite. Le MR en a fait un sous-titre dans son important chapitre «fiscalité», qui promet «une augmentation du différentiel entre les revenus du travail et les revenus d’allocations sociales (au moins 500 euros net par mois)». Celui des Engagés, lui, annonce «l’octroi d’un « bonus bosseur » de 450 euros net pour récompenser l’effort et créer un vrai différentiel avec le chômage et les allocations, même pour les bas salaires et les temps partiels». Donc l’opposition a tort quand elle dit que les promesses électorales de leurs adversaires n’évoquaient pas ce différentiel.
Mais la majorité a tort également quand elle affirme que ses promesses électorales n’évoquaient pas ces 500 euros net de plus. D’abord parce qu’ils sont tout aussi explicitement mentionnés que le différentiel dans le programme des Engagés. Doublement, même, puisque la phrase «Afin d’encourager tous ceux et celles qui travaillent et participent à l’effort collectif tout en renforçant le différentiel avec le chômage, nous proposons un véritable changement de paradigme fiscal pour que les travailleurs (employés, indépendants ou fonctionnaires) gagnent en moyenne près de 500 euros net en plus par mois» figure à deux endroits différents du programme, aux pages 245 et 255.
Ensuite parce que, dans la réforme fiscale à dix milliards d’euros que promettait le MR, c’est moins explicite, mais ce n’est pas pour autant caché.
Les différents dispositifs proposés par les réformateurs au chapitre «Gagner plus quand on travaille» auraient en effet dû conduire les électeurs à gagner plusieurs centaines d’euros de plus quand ils travaillent. Il y en a principalement quatre.
-Un, la hausse de la quotité exemptée d’impôts à 15.516 euros. Cette part sur laquelle on ne paie pas d’impôt sur le revenu était, pour les revenus 2024, de 10.570 euros. Augmentée à 15.516 euros annuels, elle aurait rapporté 1.146 euros net annuels pour l’exercice 2024, donc 95 euros mensuels, à chaque contribuable qui travaille.
-Deux, un bonus d’activité pour les bas et les moyens salaires, «qui se traduira par un gain d’au moins 200 euros net par mois» et qui «doit profiter à tous les travailleurs, quel que soit leur statut (salarié, indépendant, fonction public (sic), dirigeant d’entreprise, etc.)
-Trois, la suppression de la cotisation spéciale de sécurité sociale, dont «rien ne justifie le maintien». Très faible (un peu plus de cinq euros par mois) pour les plus petits revenus, elle peut monter à un peu plus de 60 euros pour les revenus supérieurs à 6.000 euros brut par mois. Prenons l’exemple d’un contribuable que l’on prénommerait par souci d’anonymisation Nicolas, bon salaire dans le secteur des médias, ancienneté de dix ans, plutôt joli garçon, son généreux employeur, qu’on appellerait, disons, Roublarta, a reversé, selon sa fiche de paie de mai dernier, 58,66 euros à la recette fédérale au titre de cette cotisation spéciale.
-Quatre, la suppression de la tranche supérieure de l’impôt sur les personnes physiques qui, a priori (ce n’est pas précisé dans le programme réformateur), passerait de 50% à 45% des revenus gagnés à partir de 46.440 euros brut annuels. Cette réduction linéaire de 5% aurait davantage d’effets sur les contribuables les mieux rémunérés, évidemment. Reprenons ce Nicolas fictif, son bon salaire, sa mâchoire chevaline et sa belle ancienneté. Avec ses 69.000 euros de salaire brut annuel en 2024, il a dû payer 50% d’IPP sur les 22.560 euros dépassant le seuil de 46.440 euros, soit 11.255 euros. Un taux marginal de 45% réduirait son imposition à 10.152 euros, pour un gain net annuel de 1.103 euros, soit 92 euros mensuels.
Les conséquences des autres dispositions du chapitre (le relèvement de toutes les tranches d’impositions, indexées comme les salaires; l’augmentation des chèques-repas et l’extension du système; une meilleure prise en compte des frais de déplacement des travailleurs), sont plus difficilement estimables.
Mais il est incontestable que le programme du MR promettait des augmentations nettes d’au minimum 300 euros mensuels pour les plus bas salaires (le bonus d’activité, «au moins 200 euros»+ la hausse de la quotité exemptée, 95 euros + la fin de la cotisation spéciale, 5 euros) et d’au moins 250 euros net (quotité exemptée à 95 euros + fin de la cotisation spéciale à 58 euros + suppression de la tranche supérieure à 92 euros) pour le bon salaire de l’anonyme Nicolas sans que son prodigue employeur Roublarta ne doive augmenter son brut, et d’encore davantage pour les encore meilleurs salaires.
La future réforme fiscale du gouvernement De Wever, dont l’accord annonce que, «à partir de 2026, les salaires nets de tous ceux qui travaillent augmenteront, en mettant l’accent sur les salaires inférieurs à la médiane», prévoit des mécanismes comparables: «Cela se fait principalement par l’augmentation de la quotité exemptée pour tous ceux qui travaillent. En outre, nous augmentons le pouvoir d’achat en diminuant la cotisation spéciale de sécurité sociale et le renforcement du bonus à l’emploi», peut-on lire à la page 33 de l’accord de coalition fédérale. Mais cette réforme, qui n’est pas encore précisément chiffrée, sera, on le sait déjà, d’une ampleur beaucoup moins basculante que ce que promettaient les programmes et les tracts électoraux du MR («au moins» 300 euros net de plus par mois) et des Engagés («en moyenne» 500 euros net de plus par mois). Qui tombent donc autant dans la fake news que l’opposition lorsqu’ils l’accusent de propager des fake news sur ce sujet.