Pierre Havaux

Vent du Nord de Pierre Havaux : à Ypres, la présence embarrassante de Dries Van Langenhove, sulfureux orateur de l’extrême droite

Pierre Havaux Journaliste au Vif

Le dernier week-end d’août s’annonce sous tension à Ypres. L’IJzerwake, variante extrémiste du pèlerinage flamingant de l’Yser, a programmé comme orateur Dries Van Langenhove, ex-député Vlaams Belang au CV plutôt chargé : une ancienne présidence du mouvement « Schield & Vrienden », une prochaine comparution au tribunal pour infractions à la loi contre le racisme et le négationnisme. Après avoir déjà mis son veto à la tenue d’une « soirée de camaraderie », les autorités communales ont échafaudé une parade juridique pour contraindre les organisateurs à le faire taire. Le Conseil d’Etat pourrait être amené à trancher le bras de fer.

Ypres, sa sonnerie aux morts, chaque soir, sous la porte de Menin, son musée In Flanders Fields, sa campagne environnante muée en une vaste nécropole. Tout, depuis un siècle, y respire le souvenir, rappelle le passé de ville martyre de la Grande Guerre. Mais Ypres, c’est aussi depuis vingt ans la terre d’accueil de l’IJzerwake, variante extrémiste d’un pèlerinage flamingant de l’Yser en perte d’affluence et d’influence. La fine fleur de l’ultranationalisme flamand, Vlaams Belang en tête, y converge chaque dernier week-end d’août pour y ruminer ses aspirations à une Flandre libérée de ses chaînes et promise à s’épanouir sous un régime foncièrement droitier.

Dont acte. Rien qui puisse juridiquement justifier de décréter cet hôte indésirable, à défaut de le trouver d’agréable compagnie. Mais l’accommodement raisonnable n’est plus de mise depuis que les organisateurs se sont mis en tête, histoire de rajeunir l’assistance, de pimenter l’événement d’une facette musicale. 2022 devait être l’an I d’une Frontnacht où se produirait un échantillon pas mal représentatif de la scène musicale «identitaire» de Flandre et d’ailleurs. Les autorités communales avaient dressé l’oreille et s’étaient braquées en prenant connaissance du CV de certains groupes et du répertoire de chansons à texte aux accents militaristes voire néonazillons. La scène était restée muette pour cause de permis refusé. L’IJzerwake perdait une bataille, pas forcément la guerre. Et de remettre le couvert cette année. La Frontnacht est morte? Vive une «soirée de camaraderie», moment festif où, promis juré, ne seront entonnées que de traditionnelles chansons estudiantines pas bien méchantes. Mais le pouvoir communal a renouvelé son veto par crainte de troubles à l’ordre public.

Qu’à cela ne tienne, l’IJzerwake a ouvert un second front, autrement plus délicat à briser. Kolossale finesse, il a sélectionné comme orateur vedette l’une des plus fines lames de la rhétorique extrémiste sous toutes ses coutures. Dries Van Langenhove, ex-président du sulfureux Schild & Vrienden, ex-député élu sous les couleurs du Vlaams Belang, épinglé pour propos antisémites ou racistes, qui vient encore de se distinguer en taxant le drapeau arc-en-ciel d’étendard de la pédophilie, et qui répondra, en septembre, devant la justice d’infractions à la loi contre le racisme et le négationnisme.

Comment faire taire ce trublion avant même qu’il ne parle, quand la liberté d’expression est chose sacrée? Ypres a concocté une parade: une «charte de la paix» à signer sans conditions ni réserves par tout organisateur d’un événement sur son territoire, en guise d’engagement à répudier toute manifestation ou appel à la discrimination, à la haine, au racisme et à la violence. «Pour accord», a souscrit le président de l’IJzerwake, Wim De Witte, non sans accompagner sa signature d’une lettre d’avocat réaffirmant les libertés fondamentales de réunion et d’expression. «On avait dit pas de conditions», rétorque la commune. «Ce n’en est pas une», riposte le président. Blocage, bras de fer et appel éventuel au Conseil d’Etat pour trancher un sacré cas d’école. Sale guerre de tranchées dans la ville de la paix.

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