Réforme fiscale: « Le débat ne portait plus que sur un pot-pourri de mesures microscopiques »

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

L’architecte de la réforme fiscale Mark Delanote (UGent) n’a pas vu son projet être bâti. Le fiscaliste regrette que le débat politique se soit porté sur des questions trop spécifiques, s’éloignant d’une réforme conceptuelle. « Il apparaît très difficile pour les politiques de parler des grands principes », déplore-t-il.

Mark Delanote, vous avez rédigé le projet de réforme fiscale. Que pensiez-vous de la version finale qui restait sur la table de la Vivaldi ?

Il s’agissait d’un amalgame de mesures, mais plus d’un vrai projet. Il tenait encore un peu la route au niveau de l’allègement des charges sur le travail. On voulait en effet abolir la cotisation spéciale de la sécurité sociale, ainsi que prolonger le bonus à l’emploi. Mais au niveau du financement, ce n’était plus qu’un pot-pourri de mesures. Il ne restait qu’un fragment du grand plan qui était sur la table au début. On ne pouvait donc plus parler de vraie réforme fiscale.

Quels éléments importants du projet initial ont disparu au fil des mois ?

C’est surtout la façon d’aborder la matière qui a changé. On avait émis des fondamentaux pour une réforme radicale. Sur cette base, on a déduit des mesures potentielles qui pouvaient être prises. Mais au cours des négociations, plus personne n’a parlé des grands principes. Et tout le monde s’est focalisé sur des mesures microscopiques. Chacun défendait ses propres intérêts. Le problème est que dès qu’on évoque des mesures trop spécifiques, on a toujours des perdants et des gagnants. Le projet de réforme est devenu une discussion purement politique.

Il ne restait qu’un fragment du grand plan qui était sur la table au début. On ne pouvait donc plus parler de vraie réforme fiscale.

Mark Delanote

Vous trouvez que le débat politique n’était pas à la hauteur ?

Au début de cette législature, la promesse était qu’on allait changer de méthodologie, en abolissant l’ancienne culture politique. Pour moi, cela voulait dire qu’on se focaliserait sur les grands principes et les mesures sur le long terme. Dans le but d’améliorer l’efficacité fiscale de notre pays. Le plan initial de Vincent Van Peteghem s’inscrivait totalement dans cette optique. Mais au fil du temps, on a rebasculé vers les anciennes méthodes. Avec des discussions politiques très chargées idéologiquement.

Est-ce que faire aboutir une réforme autant transformée aurait eu un vrai impact sur la classe moyenne ?

Avec les dernières mesures sur la table, l’impact aurait été minime. Ce n’était pas le néant non plus, car on parlait d’un avantage fiscal de 730 euros pour pas mal de ménages. Mais si on compare ça au plan initial, ça n’est qu’un fragment.

Est-ce que vous comprenez que le MR ait bloqué l’accord ? Ou vous trouvez, comme Van Peteghem, que le parti n’a pensé « qu’à quelques électeurs très riches » ?

C’est une question difficile, car tous les partis politiques ont mis leur véto à un certain moment. Et dès qu’on parle de mesures trop spécifiques, chaque formation défend ses propres intérêts. A un moment, socialistes et libéraux étaient sur la même ligne pour la TVA, mais elle a ensuite été retirée des négociations. Il restait sur la table uniquement des mesures pour taxer davantage le capital. A cet égard, il n’est pas illogique que le MR s’y soit opposé. Bien qu’on puisse se demander si on n’aurait pas dû être plus raisonnable sur ce terrain-là…

Vous dites qu’en arriver à parler de TVA sur les œufs et le lait, ça en devenait ridicule…

Oui, à la fin, on ne parlait plus que de détails. Beaucoup de partis ont épinglé des micro-mesures pour en faire une discussion politique. Pour moi, c’était bizarre à suivre, car cela n’avait presque plus rien à voir avec une réforme conceptuelle de notre fiscalité.

Cela ne vous irrite pas d’avoir vu votre projet initial trituré dans tous les sens ?

Quand le projet du ministre Van Peteghem est sorti, on commençait déjà à entendre des remarques qui n’étaient pas très honnêtes et raisonnables. Je ne suis donc pas déçu dans l’immédiat, mais plus du fait qu’il apparaît très difficile pour les politiques de parler des grands principes. L’aspect positif, c’est que la réforme fiscale est vraiment entrée dans le débat public. On peut donc espérer une prise de conscience quant à la nécessité de changer en profondeur la fiscalité belge.

L’idéal serait que l’on reprenne les grandes lignes dans l’accord du prochain gouvernement.

Mark Delanote

Quel est élément prioritaire pour la prochaine législature ?

Le point central réside dans l’augmentation de l’efficacité de la fiscalité. On veut que la fiscalité nuise aussi peu que possible à l’économie. Une des grandes lignes pour y parvenir est de baisser les charges sur le travail.

Réforme fiscale
Le fiscaliste Mark Delanote (UGent) regrette que les débats politiques se soient focalisés sur des détails, oubliant les grandes lignes de la réforme fiscale.

Si on vous demande de refaire un projet pour le prochain gouvernement, vous accepteriez ?

Je suis toujours disponible comme académique pour fournir une contribution. Le travail qui a été fait auparavant est sérieux, il aborde beaucoup d’aspects. Et jusqu’ici, je n’ai pas encore entendu de vraies remarques sur le fond du rapport. L’idéal serait que l’on reprenne les grandes lignes dans l’accord du prochain gouvernement et qu’on se concentre sur l’efficacité globale de notre pays. Pas seulement sur la fiscalité, mais aussi les pensions, le marché du travail, etc.

Vous avez bon espoir qu’un projet digne de ce nom aboutisse un jour ?

(rires). Si on se retrouve avec la même équipe, je ne vois pas comment. Au début de cette législature, on nous avait promis des grandes réformes. Aujourd’hui, on voit que peu de choses ont vraiment abouti. Il faudrait un petit miracle, mais on ne sait jamais. Certains politiques sont de bonne volonté. Surtout, la pression de la société va s’accroître sur le sujet. Sans réforme en profondeur, cela éclatera un jour.

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