Pression autour de la réforme fiscale: « On lance la flèche, mais on ne touche pas la pomme »

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

La pression politique s’accentue autour de la réforme fiscale. Au centre des frictions, Vincent Van Peteghem joue les équilibristes. Avec le risque de ne jamais arriver au bout d’un fil très instable. « Il ne s’agit plus d’une réforme à proprement parler », estime l’avocate fiscaliste Sabrina Scarnà (Tetra Law). « Le projet actuel est sans colonne vertébrale et profitera surtout aux fonctionnaires ».

Sabrina Scarnà, que pensez-vous de l’état d’avancement de la réforme fiscale ?

Vincent Van Peteghem a nettement réduit la voilure dans son avant-projet de mars, en comparaison avec ce qui avait été proposé en juillet. Cette épure n’avait pas trouvé de consensus au sein de la Vivaldi alors qu’elle était davantage cohérente. Le projet dont on discute aujourd’hui n’a plus cette logique. Il ne s’agit plus d’une réforme fiscale à proprement parler, mais de modifications comme on en connaît chaque année. Ces dernières sont plus liées à un budget qu’autre chose.

Quels éléments vous rendent sceptique ?

A première vue, on aura une amélioration à l’impôt des personnes physiques, puisqu’on va avoir cette augmentation de la quotité exemptée d’impôts et cette tranche de 45% qui dure un peu plus longtemps. Mais en fin de compte, on paie toujours trop d’impôts sur le salaire. Rien n’a changé à cet égard. Les contre-mesures sont excessivement importantes et vont toucher la consommation. On dit vouloir aider les bas et moyens salaires, mais en augmentant la TVA sur toute une série de services. De la sorte, l’Etat vient puiser directement de la poche des Belges.

Et puis, on retrouve des réformes sur l’impôt des sociétés, mais avec toute une série de contre-mesures également. Donc, le sentiment est très mitigé. Cette « réforme » est une fausse bonne nouvelle.

On paie toujours trop d’impôts sur le salaire. Rien n’a changé à cet égard. Les contre-mesures sont excessivement importantes. Il ne s’agit plus d’une réforme à proprement parler, mais de modifications fiscales.

Sabrina Scarnà

Pourquoi la proposition de juillet dernier vous séduisait-elle davantage ?

La mouture de juillet avait plus fière allure car elle touchait à beaucoup plus d’éléments. On touchait à des choses sensibles, sans tabou, en essayant de trouver un équilibre. Plusieurs questions intéressantes étaient abordées: pourquoi l’impôt n’est-il pas le même dans l’immobilier ou dans la finance ? Pourquoi ne pas taxer les plus-values ?

La Belgique reste un pays fortement taxé. Mais au moins, il y avait une réponse au fait qu’on taxe trop le travail. Ici, on est parti pour le taxer toujours autant. Nonobstant le fait qu’on aura une tranche d’imposition un peu plus élevée. Si on supprime tous les avantages -à part les chèques-repas-, et si on durcit toute la fiscalité sur les rémunérations alternatives, en fin de compte, beaucoup de travailleurs paieront encore plus d’impôts qu’avant. Sans compter la TVA revue à la hausse sur les biens.

Dans l’état actuel des choses, à qui cette réforme profitera-t-elle le plus ?

Aux fonctionnaires. C’est la seule catégorie de contribuable qui y gagne quelque chose. Eux n’ont pas ces rémunérations alternatives, et auront un vrai bonus à la fin de l’année, même s’ils restent des consommateurs assujettis à la TVA.

Les travailleurs, indépendants ou salariés, seront touchés. Et il ne faut pas gagner 6.000 euros par mois pour avoir droit aux avantages alternatifs. Toutes les entreprises font tout ce qu’elles peuvent pour tirer un maximum de profit de ces avantages fiscaux. Ces derniers sont la conséquence d’une fiscalité sur le travail beaucoup trop élevée. En fin compte, personne ne gagne.

La pression politique autour de l’aboutissement de la réforme est grandissante. Le président de l’Open Vld, Egbert Lachaert, appelle à trouver un accord avant l’été. Le projet est-il devenu trop politisé, au détriment de mesures de fond ?

Il faut reconnaître que Vincent Van Peteghem a voulu prendre le temps nécessaire pour réaliser une bonne réforme. Le problème, c’est qu’avec sept partis dans la majorité, peu importe le temps qu’on prend, il est impossible de mettre tout le monde d’accord. Initialement, on avait un projet avec une colonne vertébrale, mais à force de retirer une vertèbre par-ci, une cervicale par-là, il reste quelques os disparates. Ce n’est plus une réforme fiscale. C’est devenu une affaire de crédibilité politique, plus que de finances à proprement parler. Ils se doivent de sortir quelque chose. Le problème, c’est qu’on va ajouter des ‘mesurettes’ qui n’ont aucun lien entre elles, alors que le vœu initial était de retrouver une simplicité. On est en train de tout complexifier. C’est Guillaume Tell qui lance la flèche, mais qui ne touche pas la pomme.

On avait un projet avec une colonne vertébrale, mais à force de retirer une vertèbre par-ci, une cervicale par-là, il reste quelques os disparates. On ajoute des ‘mesurettes’ qui n’ont aucun lien entre elles, alors que le vœu initial était de retrouver une simplicité. On est en train de tout complexifier. C’est Guillaume Tell qui lance la flèche, mais qui ne touche pas la pomme.

Sabrina Scarnà

Vincent Van Quickenborne affirme pour sa part qu’il n’y aura « pas de réforme fiscale en cas de réduction d’impôts pour les chômeurs ». Votre avis sur la question ?

Un consensus existait sur le fait qu’on devait tout faire pour que les gens travaillent. Si on est chômeur et qu’il n’y a aucun intérêt à trouver du boulot, cela signifie qu’il quelque chose de défaillant dans notre système. Il ne faut pas rendre la vie d’un chômeur plus dure, il faut surtout rendre meilleure la vie du travailleur. C’est dans ce sens qu’il faut aborder la question. Cette réforme est troublante dans le sens où ce n’est pas sur ce point qu’on a insisté. Or, il faudrait augmenter les bonus à l’emploi, la quotité exemptée, etc. On est en train de rater la cible. Il faut par exemple penser à des crédits-impôts ou ce genre de systèmes pour rendre la vie du travailleur plus facile.

Une nouvelle proposition pourrait arriver sur la table d’ici deux semaines. Voyez-vous d’autres modifications primordiales ?

On observe une tendance à ne plus tenir compte des situations maritales, de divorces. Or, cela impacte beaucoup de contribuables. On est en train de supprimer la déductibilité des rentes alimentaires. On ne se rend pas suffisamment compte du risque de cette mesure. Quand on se sépare, on double ses charges. Pour les bas et moyens salaires, le système de la déductibilité de la rente rend le divorce possible. Avec un contexte difficile quant à la situation des femmes dans les milieux précaires. L’idée de supprimer la déductibilité des rentes est une mesure qu’on prend trop à la légère et dont on sous-estime l’impact pour les bas et moyens salaires.

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Vincent Van Peteghem

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