Reconstitution intégrale: les messages WhatsApp qui prouvent qu’Alexander De Croo n’a pas dit la vérité

Ewald Pironet
Ewald Pironet Ewald Pironet est rédacteur du Knack.

Les échanges WhatsApp sur lesquels Knack a pu mettre la main prouvent que le cabinet du Premier ministre Alexander De Croo (Open VLD) a effectivement approuvé le budget tel qu’il avait été initialement présenté par la secrétaire d’État au Budget Eva De Bleeker (Open VLD). Ces dernières semaines, le Premier ministre n’a cessé de le nier. La semaine dernière, il a même nié leur existence. Voici une reconstitution basée sur les messages WhatsApp divulgués entre le cabinet De Croo et le cabinet De Bleeker.

C’est le Service Public Fédéral Stratégie et Appui (SPF BOSA) qui est responsable de la rédaction des textes pour les remarques générales sur le budget. Pour obtenir l’approbation des cabinets du Premier ministre et des vice-premiers ministres et avant de leur être soumis, ces textes sont lus lors d’un « comité de lecture« , où les cabinets sont représentés. Au sein de ce comité de lecture, les textes circulent, des commentaires sont faits, des questions sont posées. Il en sera de même pour le budget 2023. La rédaction des textes se fait sous une forte pression temporelle, une conséquence du fait qu’en Belgique, les politiciens entament toujours les discussions budgétaires à la dernière minute.

Une reconstitution de la façon dont cela a concrètement fonctionné cette fois-ci nous apprend ce qui suit :

1. Le mardi 8 novembre, à 21h21, le texte sur lequel portera la discussion est envoyé par mail au comité de lecture, composé des responsables du budget et des chefs de cabinet. Le texte diffusé inclut alors l’impact de la baisse de la TVA sur le gaz et l’électricité, qui fait passer le déficit public de 5,9 à 6,1 % du PIB. Le mail demande que toutes les remarques soient recueillies par chaque cabinet pour le lendemain, le mercredi 9 novembre à 14 heures.

2. Le mercredi 9 novembre, il n’y a pas de réponse du PS, du MR ou de Groen, ni du cabinet du vice-premier ministre Vincent Van Quickenborne. Deux responsables du budget contactent le cabinet du Budget par téléphone pour savoir pourquoi le déficit public atteint 6,1 %. Il s’agit des responsables du budget des vice-premiers ministres Vincent Van Peteghem (CD&V) et Frank Vandenbroucke (Vooruit). Après leur avoir expliqué que c’est parce que l’impact de la réduction de la TVA sur le gaz et l’électricité a été pris en compte, ils ne posent pas d’autres questions et ne demandent pas de révision du budget ou des tableaux.

Ce mercredi-là, trois cabinets transfèrent également leurs commentaires par mail. Parmi eux, le cabinet du Premier ministre. Ce dernier envoie un mail à 13h28 qui regroupe les commentaires de quatre conseillers du Premier ministre. Ils font, comme le Premier ministre l’expliquera ensuite, des commentaires liés à la discussion sur la réduction de la TVA et des droits d’accises. Il s’agit notamment de ce paragraphe, qui faisait partie de l’e-mail envoyé la veille au soir : « L’impact de la réduction permanente de la TVA à 6 % susmentionnée est estimé à 1325 millions d’euros et 1766 millions d’euros pour 2023 (à partir du deuxième trimestre) et 2024 respectivement. Ces montants sont pris en compte pour l’estimation du solde nominal de l’Entité I. Les recettes potentielles provenant de l’éventuelle augmentation progressive des droits d’accises ne sont pas prises en compte. »

Plusieurs membres du cabinet du Premier ministre font remarquer que ce paragraphe ne mentionne qu’une réduction permanente de la TVA. Il y a eu un long débat au sein du gouvernement pour savoir si cette baisse de la TVA serait permanente ou temporaire. Finalement, il a été décidé que la réduction de la TVA serait permanente si les prix de l’énergie baissent suffisamment, ou temporaire si les prix de l’énergie restent élevés, mais avec une chance que la réduction de la TVA soit prolongée. C’est ce qu’indique la note du cabinet du Premier ministre :

« Le responsable du budget du Premier ministre : ce commentaire n’est pas conforme à la décision.

Le secrétaire général adjoint du cabinet du Premier ministre en réponse au commentaire du responsable du budget: la décision du gouvernement a été en fait la suivante :

– La réduction de la TVA est prolongée jusqu’au Q1/2023

– Au début de l’année prochaine, nous examinerons l’évolution des prix de l’énergie et il y aura alors deux possibilités.

– Soit, les prix de l’énergie resteront élevés. Dans ce cas, nous prolongerons probablement la réduction de la TVA d’un trimestre (c’est-à-dire jusqu’au Q2/2023). Comme les prix de l’énergie restent élevés, nous ne compenserons pas par une augmentation des droits d’accises.

– Soit, les prix de l’énergie auront suffisamment baissé. Dans ce cas, nous rendrons la réduction de la TVA permanente et nous la compenserons par une augmentation des droits d’accises.

– Mais donc le gouvernement n’a pas décidé d’une réduction permanente de la TVA sans augmentation des droits d’accises (ce qui est décrit ici) »

Notez que dans ces remarques, on n’indique seulement qu’une prolongation de la réduction temporaire de la TVA en cas de prix élevés est également une possibilité. Il n’y a pas de commentaire ou de question de la part du cabinet du Premier ministre pour adapter les tableaux avec les chiffres.

Afin de répondre à tous les commentaires, l’administration du SPF BOSA sera invitée à adapter les textes par un e-mail à 13h40. Le paragraphe auquel se réfèrent les commentaires des services du Premier ministre sera aussi adapté : il sera précisé qu’il y a également la possibilité d’une nouvelle réduction temporaire de la TVA.

Ce mercredi-là, à 16h56, l’administration remet encore les textes mis à jour au cabinet du secrétaire d’État au budget par mail, en demandant qu’ils soient finalisés rapidement afin que tout puisse aller à l’imprimeur et au roi pour signature.

À 17h02, un mail avec le texte adapté est envoyé au Cabinet Budget au responsable du Budget du Premier ministre. Le cabinet du vice-premier ministre Georges Gilkinet (Ecolo) reçoit également ce courrier, ayant demandé d’autres adaptations.

Le texte modifié se lit comme suit (l’ajout est en gras) :

« L’impact de la réduction permanente de la TVA susmentionnée, ou d’un maintien de la réduction temporaire de la TVA en cas de prix élevés, à 6% est estimé à 1325 millions d’euros et 1766 millions d’euros pour 2023 (à partir du deuxième trimestre) et 2024 respectivement. Ces montants sont pris en compte pour estimer le solde nominal de l’Entité I. Les recettes potentielles de l’éventuelle augmentation progressive des accises ne sont pas encore prises en compte ».

Après l’envoi du texte révisé par mail, la conversation avec le responsable du budget du Premier ministre se poursuit par WhatsApp. Les membres du Cabinet confirment que cela n’est pas inhabituel lors des dernières étapes de la finalisation des textes, lorsque les choses doivent aller vite. Nous fournissons ci-dessous l’intégralité de l’échange WhatsApp entre Kris Van Cauter du Cabinet budgétaire et le responsable du budget du cabinet du Premier ministre, que Knack a pu obtenir. Le nom de l’expéditeur du bureau du Premier ministre est connu des rédacteurs. Les messages ne portent pas seulement sur la TVA et les droits d’accises, mais aussi sur d’autres questions du texte envoyé par e-mail. Les messages sur la TVA et les droits d’accises sont en gras.

Le responsable du budget au bureau du Premier ministre envoie deux messages à 17h12 :

17.12 Je constate que rien n’a été ajusté pour les mesures reprises sous effort fixe telles que la pharmacie et l’efficacité de la sécurité sociale. Je pense que l’on devrait mentionner ceci

17.12 commentaire idem sur la TVA et les droits d’accises ; rien n’a été adapté ici

Le responsable du budget au Cabinet Budget, Kris Van Cauter, répond immédiatement :

17.12 On m’a dit qu’ils l’ont mentionné dans le texte.

Le texte part chez l’imprimeur ce soir, le roi signe demain après-midi.

(Le « Ils » fait référence à l’administration du SPF Stratégie & Appui , qui doit adapter les textes et avec qui le Cabinet budgétaire est en contact téléphonique).

La responsable budget du Premier ministre répond ensuite à deux reprises à ses propres messages WhatsApp de 17h12. Dans la première réponse, elle corrige ses propres mots, qui concernent la TVA. Dans la deuxième réponse, elle pose une autre question, qui concerne l’industrie pharmaceutique.

17.13 « idem commentaires sur la TVA… » Désolé, trop rapide, est modifié pour un peu cependant, je vérifie si c’est ok.

17.13 « Je constate que rien n’a été adapté pour les mesures à effort fixe telles que la pharmacie et l’efficacité de la sécurité sociale. Je pense que cela devrait être signalé  » il ne s’agit pas de ça, non? Je vérifie à nouveau, j’ai peut-être aussi regardé trop vite (smiley)

En réponse, Van Cauter envoie trois messages WhatsApp pour signaler les passages modifiés dans le texte qui n’avaient rien à voir avec les mesures relatives à la TVA ou aux accises :

17.14 Pour le secteur pharmaceutique, il m’a dit dit qu’il allait ajouter quelque chose (dans) le texte, pour le tableau c’était plus difficile.

17.14 Lors du conclave, le gouvernement a également concrétisé les mesures envisagées dans le cadre de l’effort fixe concernant les lignes « pharma » et « sécurité sociale efficace ». Les rendements à atteindre avaient déjà été inclus dans le comité de suivi.

17.15 C’est évidemment un peu flou en termes de mesures prises

La réponse de la responsable du budget du Premier ministre:

17.15 ah oui, maintenant je le vois

17.16 c’est effectivement flou, pour pharma cela me semble bon puisqu’il s’agit de baisses de prix

17.16 Pour l’efficacité de la sécurité sociale, je vérifie avec Jan.

17.23 c’est donc bon pour nous

17.23 merci pour les adaptations!

Van Cauter envoie un dernier WhatsApp de la journée au responsable du budget du Premier ministre:

17.23 No problem, pouce

A 17h24 le mercredi 9 novembre, un e-mail part du Cabinet Budget vers l’administration du SPF BOSA, disant que le cabinet du Premier ministre est d’accord avec les textes tels qu’ils lui sont alors soumis. L’administration envoie les textes à l’imprimeur. Les textes seront signés par le roi Philippe, la secrétaire d’État Eva De Bleeker, le ministre Vincent Van Quickenborne (auquel Eva De Bleeker est rattachée en tant que secrétaire d’État) et le ministre des Finances Vincent Van Peteghem. Tout est soumis le jeudi 10 novembre et les 260 pages sont distribuées le même jour. Pendant tout ce temps, personne ne demande d’adapter les tableaux. Jusqu’à ce qu’il y ait une discussion au sein de la commission des finances de la Chambre, le lundi 14 novembre.

Alexander De Croo agacé par les allégations de mensonge

Le Premier ministre Alexander De Croo s’est dit agacé par l’accusation de mensonge proférée à son encontre au sujet du budget et sur la manière dont la réduction de la TVA sur le gaz et l’électricité a été comptabilisée dans ce contexte. « Je ne tolère pas cela », a-t-il dit au cours du journal télévisé de la VRT. Selon lui, on assiste à de l' »intox » dans ce dossier.

« Les soi-disant révélations sont des choses qui ont déjà été partagées avec la presse il y a quinze jours. C’est de l’histoire ancienne », a réagi le Premier ministre. Selon M. De Croo, les messages sont « sortis de leur contexte » et son ‘fiat’ dans un échange WhatsApp portait sur un volet de la sécurité sociale.

Les commentaires sur la réduction de la TVA ont été faits d’une manière différente, selon le Premier ministre. « Nous avons fait savoir très clairement par d’autres canaux – car un budget ne s’approuve pas par messages – que la présentation faite par le cabinet de la secrétaire d’État ne correspond pas aux décisions prises en conclave gouvernemental », a-t-il ajouté.

Alexander De Croo a souligné que la Commission européenne et la Cour des comptes avaient déclaré, depuis, que les ajustements étaient corrects. « J’ai l’impression qu’on leur a prouvé qu’ils avaient tort sur le fond (…) et qu’ils essaient maintenant de faire de l’intox sur quelque chose qui n’a absolument rien à voir avec cela », a-t-il dit.

Plus tôt dans la journée, la N-VA a exigé une explication immédiate de la part du Premier ministre, à la Chambre, mais ce dernier ne s’y est pas présenté. Alexander De Croo a rencontré les partenaires sociaux, le premier ministre du Vietnam et les parents d’Olivier Vandecasteele mardi après-midi. « Je pense que ce sont des questions importantes. Demain, j’irai au Parlement et je répondrai à toutes les questions », a enfin dit le Premier ministre. (Belga)

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