Avant que Conner Rousseau dise ne plus se sentir en Belgique à Molenbeek, Paul Magnette et lui allaient, ensemble, de congrès en congrès et de réception en réception. Georges-Louis Bouchez et Egbert Lachaert se sont rapprochés à l’occasion des 175 ans du parti libéral. Mais ils s’éloignent un peu quand le premier se fait qualifier en Flandre de «dernier libéral». © belga image/getty images

PS vs Vooruit, MR contre Open VLD… Les histoires de famille des partis politiques belges (analyse)

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

La Belgique est le seul pays fédéral au monde dont les partis ne sont pas nationaux. Depuis la scission des trois partis traditionnels – social-chrétien, libéral et socialiste –, les familles politiques belges ont traversé les époques. Pas toujours dans la plus grande harmonie.

Les querelles de famille sont souvent générationelles. Ainsi, les propos de Conner Rousseau sur Molenbeek, empruntés au registre de l’extrême droite, ont révolté, et embarrassé, les socialistes francophones. Et l’omniprésence médiatique, renforçant le propos de la N-VA, de Georges-Louis Bouchez sur la Vivaldi révolte parfois, et embarrasse souvent, les libéraux flamands.

Les deux jeunes présidents et les polémiques qu’ils engendrent démontrent combien, dans ce qu’il reste des familles politiques belges, c’est à la Région de Bruxelles-Capitale et à l’échelon fédéral – les deux dernières scènes où les partis frères sont spécifiquement appelés à se croiser – que se font entendre les plus franches engueulades. Elles sont l’occasion d’un rapide tour des familles.

Le PS et le frère énervant

Les socialistes sont les derniers, parmi les trois familles traditionnelles, à avoir rompu, en 1978. C’était après l’échec de la grande négociation institutionnelle dite du Pacte d’Egmont, qui devait établir un fait régional réclamé par les Wallons – les Flamands ayant fait triompher, avec la première réforme de l’Etat de 1970, le fait communautaire. André Cools et Karel Van Miert, coprésidents du PSB-BSP unitaire, allaient devenir les premiers présidents du PS et du SP autonomes. Très tôt (Karel Van Miert allait d’ailleurs devenir un très zélé commissaire européen à la Concurrence et Frank Vandenbroucke un théoricien très appliqué de l’Etat social actif), les socialistes flamands se montreraient tentés par une orientation plus libérale. Sur les sujets de sécurité et de migration, le SP de Louis Tobback, ministre de l’Intérieur dans les années 1990, allait donner une inflexion très droitière aux positions socialistes flamandes. Conner Rousseau, fana de Macron, défenseur des « pushbacks » de migrants en Méditerranée, et négateur de la belgitude de Molenbeek, en est un conséquent héritier. Les socialistes francophones, eux, resteraient un peu plus ancrés à gauche: par rapport à leurs camarades flamands, néerlandais, français, britanniques et allemands, ils feraient même presque figure de fougueux révolutionnaires.

PS et Vooruit sont aujourd’hui physiquement plus proches que ces quarante dernières années.

Les deux partis ont ainsi suivi une voie programmatique différente. Le déclin électoral fut plus brutal en Flandre, où deux changements de nom (d’abord vers le SP.A, puis vers Vooruit en 2021) ont effacé la référence au socialisme, qu’en pays francophone. Entre 2008 et 2010, sous Verhofstadt puis Leterme et Van Rompuy, le SP.A était dans l’opposition fédérale, tandis que le PS était de la majorité. Cela n’a pas aidé à la convergence.

Mais les deux partis sont aujourd’hui physiquement plus proches qu’ils ne l’étaient ces quarante dernières années: à l’automne dernier, Conner Rousseau a signé un bail de neuf ans chez Paul Magnette. Littéralement: les premier et deuxième étages du siège du PS, boulevard de l’Empereur, sont désormais occupés par Vooruit, le PS, propriétaire des lieux, s’étant replié aux troisième et quatrième. Les deux partis partagent ainsi un rez, une réception et une salle de réunion, employée en alternance un lundi sur deux. Ils sont aussi tenus par les réunions qu’organisent ponctuellement, sur les matières fédérales, les organisations nationales auxquelles ils sont encore liés au sein de l’Action commune, les mutualités (Solidaris) et le syndicat (la FGTB). Les positions, entre sudistes et nordistes, n’y sont pas toujours des plus convergentes non plus: on y parle rarement de Molenbeek, les différences entre les vice-Premiers Frank Vandenbroucke et Pierre-Yves Dermagne y sont visibles à l’œil nu. Quand bien même, sur l’estrade de leurs congrès, Paul et Conner se sourient amoureusement.

Le MR et le frère énervé

La plus vieille famille du pays, née en 1846, et qui a fêté unie, le 18 juin 2021, ses 175 ans, a définitivement éclaté en 1970, lorsqu’il fallut voter les limites de l’agglomération bruxelloise. Singularité libérale, les bleus du PLP-PVV ne se divisèrent alors pas en deux, entre francophones et néerlandophones, mais au moins en trois, entre Wallons, Flamands et Bruxellois, eux-mêmes divisés, pendant les années 1970, en trois ou quatre petites formations capitales. La réunification du libéralisme francophone, sous l’égide d’un Jean Gol venu des fédéralistes du Rassemblement wallon, s’accompagna d’un réchauffement des rapports avec le frère flamand. Guy Verhofstadt jeune et Jean Gol mature, plutôt à la droite du libéralisme dans les années 1980, cultivèrent une fructueuse amitié sous les gouvernements Martens-Gol. Et Verhofstadt moins jeune et Louis Michel plus social amplifièrent, dans les années 1990, une fraternité libérale qui à l’époque recentra, idéologiquement et politiquement, VLD et PRL, puis MR.

La famille libérale est presque assurée à vie d’une bonne place à la table des gouvernements fédéraux, quelle que soit la composition de la coalition.

Avec l’émergence à gauche (Groen et Ecolo, puis PTB) et à droite (Vlaams Belang, puis N-VA) de nouveaux acteurs, et avec le déclin rapide des sociaux-chrétiens, la famille libérale est aujourd’hui presque assurée à vie d’une bonne place à la table des gouvernements fédéraux, quelle que soit la composition de la coalition: MR et Open VLD sont de tous les exécutifs fédéraux depuis 1999, sans interruption, avec, sauf entre 2008 et 2014, un libéral comme Premier ministre. A l’été 2020, alors que Bart De Wever et Paul Magnette s’étaient accordés pour composer une coalition dont serait exclu un des deux partis libéraux (et de préférence le MR), Egbert Lachaert et Georges-Louis Bouchez s’étaient tenus à une incassable alliance, qui mena la Vivaldi à l’installation, et Alexander De Croo au 16.

A Bruxelles, alors que le VLD local s’était affranchi des consignes de la présidence nationale pour siéger, en 2014 et 2019, au gouvernement régional sans que le MR n’y soit convié, les deux partis promettent d’affronter unis l’après 2024. Mais à l’échelon national, l’alliance est un peu rouillée depuis que le président francophone, au grand désespoir de ses camarades flamands, s’est habilement installé dans le paysage politique flamand comme le « laatste liberaal », comme titraient nos confrères de l’hebdomadaire économique Trends. Il y a de quoi énerver, au 16 et rue Melsens, tout près de la place Sainte-Catherine, au siège de l’Open VLD: si le dernier libéral de Belgique est wallon, c’est donc qu’il n’en reste plus ailleurs

Les Engagés et le frère absent

Déjà organisé en deux ailes relativement autonomes du « bloc catholique » (le Parti catholique social et le Katholieke Vlaams Volkspartij) avant la Seconde Guerre mondiale, le catholicisme politique aura été le premier, en Belgique, à se briser en deux. C’est l’affaire de Louvain, en 1968, qui mena à la scission définitive du PSC et du CVP. Les deux partis iront ensuite sur des chemins déclinants, électoralement parlant, mais aussi de plus en plus divergents: quelques mois avant qu’en 2002, le CDH de Joëlle Milquet abandonne la référence chrétienne dans son sigle, le CD&V de Stefaan De Clerck l’avait conservée. Le manifeste des Engagés de Maxime Prévot a même cessé de référer au personnalisme chrétien d’Emmanuel Mounier, le grand idéologue de la démocratie chrétienne, tandis que le CD&V de Joachim Coens le revendique plus que jamais.

Ces dernières années, le CD&V ne s’est pas préoccupé de la présence ou pas du CDH, son frère francophone de plus en plus lointain.

Entre un CD&V toujours plus régionaliste – il s’est, dès 2001, déclaré confédéraliste – et un CDH toujours plus réticent envers des réformes de l’Etat, les négociations fédérales sont toujours moins conjointes: ni sous Charles Michel ni sous Alexander De Croo, le CD&V ne s’est vraiment préoccupé de la présence ou pas de son frère de plus en plus lointain. Et c’est chacune de leur côté que les organisations du vieux pilier chrétien, même nationales (les mutualités et la CSC), rencontrent, en bilatérales, leur ancien référent politique.

Alors que Joachim Coens se revendique toujours du personnalisme chrétien, Maxime Prévot ne s'y réfère plus du tout.
Alors que Joachim Coens se revendique toujours du personnalisme chrétien, Maxime Prévot ne s’y réfère plus du tout. © belga image/getty images

Ecolo et le frère concurrent

A l’inverse de leurs camarades des autres familles, les écologistes sont nés chacun dans leur coin avant de se rencontrer. En conséquence de quoi leur trajectoire est plutôt celle d’une convergence que d’un éloignement. Ils sont même aujourd’hui copropriétaires d’un siège commun, appelé Greenhouse, rue van Orley, à Bruxelles. Les Wallons d’Ecolo (constitué en 1980) et les Flamands d’Agalev (1981), devenu Groen en 2003, se verront au Parlement, où ils siègent à partir de 1981. Peu engagés dans les discussions institutionnelles, même si Ecolo s’est parfois, jadis, animé d’une aile régionaliste wallonne assez avancée, les verts ont peu d’occasion de se disputer, si bien qu’ils composent, au Parlement fédéral, un groupe parlementaire commun. Et que, comme les socialistes, ils présentent une liste commune aux élections législatives à Bruxelles: c’est ainsi que la Flamande Tinne Van der Straeten a été, en mai 2019, élue sur la liste Ecolo.

A l’inverse de leurs camarades des autres familles, les écologistes sont nés chacun dans leur coin avant de se rencontrer.

Mais cette heureuse entente, à peine parfois ternie à la Chambre où Ecolo tire un peu plus à gauche que Groen, pourrait connaître quelques aigres tourments sur la scène bruxelloise. Ecolo souhaite accéder à la première place dans le collège électoral francophone aux élections régionales bruxelloises de 2024 et ainsi accéder à la ministre-présidence, tandis que Groen veut confirmer sa précellence dans le collège électoral néerlandophone. Or, les succès de Groen se sont en partie reposés à Bruxelles sur un électorat francophone, dont Ecolo aura grand besoin: en 2019, la primauté s’était jouée, dans le collège francophone, entre Ecolo, PS et MR à quelques milliers de voix.

En septembre 2021, les patrons d’Ecolo et de Groen inauguraient le siège commun des deux partis, dans le centre de Bruxelles. C’est à Bruxelles, aux régionales, qu’ils seront concurrents en 2024.
En septembre 2021, les patrons d’Ecolo et de Groen inauguraient le siège commun des deux partis, dans le centre de Bruxelles. C’est à Bruxelles, aux régionales, qu’ils seront concurrents en 2024. © belga image/getty images

Le PTB et le fils unique

Le PTB est né en Flandre, autour de l’agitation étudiante de 1968. Mais il a rapidement envoyé des militants dans la Wallonie industrielle où, à partir de sa réorientation stratégique de 2008, le parti a rencontré ses premiers succès électoraux. Certains de ses élus, dans les circonscriptions wallonnes, sont d’ailleurs des Flamands expatriés. Il reste le seul parti unitaire du système belge. Et fait même campagne sur l’unité de la Belgique, quitte à indisposer certains syndicalistes wallons, de tradition régionaliste: ne leur en déplaise, la « Belgique de papa » qu’ils dénoncent conserve une certaine popularité.

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