Vincent Van Peteghem avait vu sa réforme fiscale recalée, puis reportée, Alexander De Croo estimant que ce n'était pas le moment. Mais dans les notifications du budget, elle était bien mentionnée. © BELGAIMAGE

La réforme fiscale est-elle la dernière chance de la Vivaldi?

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Elle est prévue pour mars, cette réforme fiscale fédérale plusieurs fois repoussée. Tout le monde dans le gouvernement De Croo est d’accord pour baisser les impôts sur le travail. Mais tout le monde n’est pas d’accord pour que le gouvernement De Croo puisse y parvenir…

C’est, dit-on, la dernière réforme du gouvernement De Croo. La dernière chance, affirment même certains, compte tenu de la faible ampleur des précédentes. Une espèce d’impôt de départ.

On l’annonce en mars, après avoir dû aboutir en décembre, après avoir été envisagée en octobre, après avoir été annoncée en juillet et après avoir été étouffée dans l’accord de gouvernement du 1er octobre 2020.

Mais elle est encore coincée dans trois dilemmes.

C’est la réforme fiscale, que Vincent Van Peteghem, ministre des Finances CD&V, était censé devoir, selon les termes de l’accord de gouvernement, «préparer».

Elle est en fait prête depuis l’été dernier. Elle avait été très vigoureusement rejetée par les libéraux francophones, leur président ayant estimé les notes préparatoires trop à gauche. Le ministre Van Peteghem l’avait revue, ramassée en une note de sept pages, et réintroduite au moment du conclave budgétaire d’octobre. Elle avait été très vigoureusement rejetée par tous les autres partenaires de la coalition, le Premier ministre ayant estimé que ce n’était pas le moment.

Mais dans les notifications du budget, elle était explicitement mentionnée, et spécifiquement son volet d’allègement de la fiscalité sur les revenus du travail.

«Pour accroître le pouvoir d’achat des travailleurs […], le gouvernement demande au ministre des Finances de soumettre, d’ici à décembre 2022, une première phase détaillée et ambitieuse de réforme fiscale qui aura pour fil conducteur la réduction des charges pesant sur le travail, l’objectif étant d’entamer la mise en œuvre de cette réforme dès cette législature», écrivait à l’époque le gouvernement.

A présent que la discussion nucléaire est plus ou moins entérinée, déjà dans la majorité les revendications se répètent, s’affinent ou s’affirment.

La deadline n’a, comme le veut désormais la tradition vivaldienne, pas été respectée.

Le Premier ministre, tout particulièrement, était très occupé à jongler entre les crises, et à ne pas parvenir à respecter l’échéance donnée pour l’accord avec Engie sur la prolongation de deux réacteurs nucléaires, et la deadline fiscale a donc été repoussée à mars prochain, pendant l’ajustement budgétaire sur lequel se disputeront les ministres.

A présent que la discussion nucléaire est plus ou moins entérinée, déjà dans la majorité les revendications se répètent, s’affinent ou s’affirment.

Le 14 janvier, le Premier ministre a exigé, dans une interview au Tijd, que son ministre des Finances affine son projet, car «la réforme fiscale est en ce moment une question de pouvoir d’achat, mais il faut davantage être attentif à la compétitivité de nos entreprises. Si un tax-shift est mis en œuvre, il ne faut pas que les coûts salariaux que paient les entreprises augmentent, ce qui n’était pas suffisamment considéré dans les précédentes propositions. Nous devrons modifier cette orientation, et le gouvernement y travaille.»

Le CD&V et son président Sammy Mahdi ont répété, le lendemain, 15 janvier, devant deux mille militants venus recevoir de bons vœux, que cette réforme était une priorité, «afin que les personnes qui travaillent perçoivent un net plus élevé à la fin du mois», et sommant ceux qui s’y refuseraient d’expliquer «pourquoi ils veulent mettre en péril la prospérité de onze millions de Belges. Ceux qui ne veulent pas réformer sont les fossoyeurs de leur propre pays», et il a également cité la réforme des pensions que propose le Premier ministre De Croo mais dont ne veut pas la ministre socialiste des Pensions, Karine Lalieux.

Et le 16 janvier, les écologistes francophones ont affirmé leur volonté de mettre en œuvre, dès mars, une baisse de la fiscalité sur les plus bas salaires. «C’est notre priorité numéro un», a lancé le coprésident d’Ecolo, Jean-Marc Nollet, en présentant à la presse les bons vœux de son parti et sa proposition de «crédit d’impôt solidaire».

Le modèle prôné par Ecolo ne passe pas par la quotité exemptée, mais par un crédit d’impôt, qualifié de solidaire.
Le modèle prôné par Ecolo ne passe pas par la quotité exemptée, mais par un crédit d’impôt, qualifié de solidaire. © DR

Il coûterait lui aussi six milliards d’euros au budget de l’Etat, mais ne profiterait pas de la même manière à tous les contribuables. Jean-Marc Nollet et Rajae Maouane ont présenté deux simulations, plus ou moins redistributrices (voir illustration page suivante), le 16 janvier. «Nous voulons avoir, non pas 116 euros pour tout le monde, mais un renforcement des salaires les plus bas qui peut monter jusqu’à 300 euros, 200 euros pour les salaires moyens, 300 euros pour les salaires les plus bas», précisait le coprésident des verts.

Linéaire ou solidaire?

Ce faisant, l’écologiste rouvrait un des trois dilemmes de cette réforme de la dernière chance. Un de ces trois dilemmes qui ont empêché les propositions de Vincent Van Peteghem d’être acceptées. Un de ceux qui pourraient ne pas être résolus avant le départ d’Alexander De Croo. Et un de ceux qui pourraient, au fond, accélérer son départ. Voire le rendre inévitable.

Le modèle prôné par Ecolo, moins concerné électoralement par les préoccupations du werkende Vlaming, ne passe pas par la quotité exemptée, mais par un crédit d’impôt, qualifié de solidaire.

Car la proposition d’octobre de Vincent Van Peteghem prévoyait de relever la quotité exemptée d’impôts de 9 270 euros à 13 660 euros. Elle coûtait six milliards au budget de l’Etat, mais c’était un gain, pour chaque assujetti à l’impôt des personnes physiques (IPP), de quelque 1 300 euros net annuels. Mais ce gain est le même pour tous. La hausse de la quotité exemptée – les chiffres devraient de toute façon être revus, elle a été indexée et dépasse depuis le 1er janvier les 10 000 euros – concerne en effet tous les contribuables, petits et gros. C’est pourquoi elle est plutôt revendiquée par le centre-droit, au nom de l’universalisme.

Le MR et l’Open VLD en ont toujours fait un point fort de leurs programmes fédéraux respectifs et, dans les discussions préliminaires de l’automne, les démocrates chrétiens insistaient beaucoup pour que chacun, y compris les plus gros revenus, en profite: l’idée est de ne pas donner l’impression au werkende Vlaming (le «Flamand travailleur») que ce sont toujours les plus défavorisés qui sont gâtés par l’Etat.

Les socialistes francophones sont depuis longtemps favorables à la formule. «Moi, je peux très bien vivre avec cette idée, qui ressemble à certaines de nos anciennes propositions en fiscalité», répond, fort à l’aise, Georges-Louis Bouchez. Mais le président réformateur, dans la foulée, expose un deuxième des trois dilemmes ralentissant l’impôt de départ d’ Alexander De Croo.

Georges-Louis Bouchez insiste: "Oui, nous lions la réforme du marché du travail à celle de la fiscalité. Il faut les deux."
Georges-Louis Bouchez insiste: « Oui, nous lions la réforme du marché du travail à celle de la fiscalité. Il faut les deux. » © BELGA IMAGE

Tax-shift ou tax cut?

Car ce qui avait empêché les premières ébauches de Vincent Van Peteghem d’aboutir, c’est que le démocrate-chrétien avait proposé des pistes de financement de cette baisse de la fiscalité. Il envisageait notamment de supprimer le quotient conjugal, d’augmenter la taxation des comptes-titres et de limiter l’avantage fiscal sur les cartes essence des voitures de société ou sur les plans de stock-options et certaines épargnes-pension. Ces suggestions, dérangeantes pour les entreprises et les dirigeants, avaient déplu aux libéraux, principalement francophones. «Nous, ce que nous voulons, c’est un tax cut, qui baisse le niveau général de la fiscalité, pas un tax-shift, qui fasse payer par certains travailleurs les baisses d’impôts d’autres travailleurs», insiste Georges-Louis Bouchez. «Pour nous, c’est un choc fiscal, pas une réforme fiscale, qu’il faut à la Belgique», appuie même le chef de groupe MR à la Chambre, Benoît Piedboeuf.

Ces possibles économies pourraient être reçues favorablement à droite, mais elles le seront beaucoup moins à gauche.

Or, le Premier ministre, que la Flandre de droite accuse toujours plus d’avoir laissé filer le déficit, et à qui l’Europe reproche d’avoir insuffisamment réduit les coûts des pensions tient, lui, plutôt à ne pas aggraver les perspectives budgétaires nationales.

Des économies sont peut-être possibles dans les différents services de l’Etat pour, éventuellement, compenser ces quelques milliards – les effets retours, toujours fort incertains, étaient estimés par Vincent Van Peteghem à 20% des six milliards.

Ces possibles économies pourraient être reçues favorablement à droite, mais elles le seront beaucoup moins à gauche.

Et alors que la baisse de la fiscalité est vouée à s’appliquer rapidement, les mesures de restrictions sont toujours si éloignées qu’elles ne sont, en général, que rarement atteintes.

C’est là que le président du MR pose le troisième dilemme, qui rapproche Alexander De Croo d’un pot de départ bien terne.

Fiscale ou générale?

Car Georges-Louis Bouchez, et avec lui les partis de droite de la Vivaldi, le CD&V surtout et l’Open VLD un peu, travaillent depuis plusieurs mois à embarrasser leurs partenaires de gauche de la Vivaldi, le PS surtout, les écologistes un peu, Vooruit presque pas, sur des questions plus larges que cette réforme fiscale.

La pression est mise sur les socialistes francophones, Karine Lalieux aux Pensions et Pierre-Yves Dermagne à l’Economie. La première pour qu’elle réforme un système de pensions que les libéraux présentent comme trop généreux avec les personnes moins actives. Le second pour qu’il flexibilise le droit du travail, afin d’atteindre, disent les libéraux, au plus vite le taux d’emploi de 80% en 2030, ce qui permettra à la fois d’augmenter les recettes fiscales et de limiter certaines dépenses sociales.

«Oui, nous lions la réforme du marché du travail à celle de la fiscalité. Il faut les deux», insiste Georges-Louis Bouchez. Ici encore, les effets de ces réformes sociales seront, au mieux, lointains, tandis que ceux de la réforme fiscale se veulent immédiats.

Mais c’est surtout, pour ceux que cette réforme fiscale embête, pour ceux qui n’y voient pas d’intérêt, ou pour ceux qui font semblant d’y être favorables, un dilemme avantageux, qui aidera à rendre le PS responsable d’un éventuel blocage. Une manière de garder haut un impôt de départ. Et de gâcher un pot de départ.

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