La Belgique, vraie passoire à taxes? « La fraude fiscale est perçue par certains comme une forme de légitime défense »

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Un trou de 11 milliards d’euros. C’est le montant colossal que la Belgique laisse s’échapper dans la nature, selon un rapport du FMI, qui se concentre sur la TVA due mais non-perçue par notre pays. L’information relance le débat sur la fraude fiscale, une des principales causes de ce manque à gagner. Analyse avec les fiscalistes Thierry Litannie et Roland Rosoux.

Si tous les Belges payaient la TVA due sur ce qu’ils consomment, l’État disposerait chaque année de 11 milliards d’euros de recettes supplémentaires. Et son déficit budgétaire passerait d’emblée sous le seuil de 3% du PIB, selon un rapport réalisé par le FMI à la demande du gouvernement belge, rapporte L’Echo. Chaque année, le fisc est ainsi privé de plus d’un cinquième de la TVA due. La fraude fiscale est-elle trop simple en Belgique?

« Il faut se méfier de ces chiffres », recadre d’emblée l’avocat fiscaliste Thierry Litannie (LawTax). « Comme il s’agit de montants qui correspondent à des procédés frauduleux, il est difficile de les quantifier avec exactitude. Ceci dit, poursuit-il, ils ne me paraissent pas du tout incohérents et sont peut-être même encore plus élevés. »

Trop peu de moyens pour lutter contre la fraude fiscale

Selon le FMI, les biens et services fournis « en noir », les lacunes du traitement administratif, l’optimisation fiscale et la faillite d’entreprises ayant des dettes TVA impayées sont les principales causes qui peuvent expliquer ce décalage entre la TVA due et la TVA effectivement perçue.

Pour Thierry Litannie, la Belgique ne se donne pas suffisamment les moyens de ses ambitions pour lutter efficacement contre la fraude fiscale. « Le nombre de contrôleurs fiscaux a diminué de 30 % en 10 ans, pointe-t-il. En parallèle, la justice pénale se plaint d’un manque de moyens financiers, humains et techniques. Cette absence de rigueur dans les contrôles crée un sentiment d’impunité, qui participe au développement de la fraude. Au final, l’Etat est perdant. »

Par ailleurs, les formations internes pour les fonctionnaires de l’administration fiscale ont été purement et simplement supprimées. « C’est un immense problème », pointe l’avocat fiscaliste, pour qui les agents ne sont plus suffisamment bien formés pour détecter les fraudes.

« Les fraudes à la TVA sont souvent techniques et sophistiquées. Comment les détecter efficacement si la justice pénale n’a pas les moyens de faire son travail et si les fonctionnaires ne sont pas assez bien formés… On en arrive à triste constat : dans un pays qui manque singulièrement d’argent, on pourrait vraisemblablement en récupérer pas mal », déplore-t-il.

Les fraudes à la TVA sont souvent techniques et sophistiquées. Comment les détecter efficacement si la justice pénale n’a pas les moyens de faire son travail et si les fonctionnaires ne sont pas assez bien formés…

Thierry Litannie

« La Belgique est parfois difficile à comprendre dans certains de ses principes, prolonge-t-il. Le gouvernement réalise des coupes sombres budgétaires dans tous les domaines, mais a du mal à boucler son budget, malgré le fait que la coalition ait voté la loi sur la fin de la régularisation fiscale. »

Thierry Litannie pointe une autre incohérence. « Dans un pays où certains disent qu’il faut taxer les riches, on empêche les riches qui veulent être taxés, d’être taxés. C’est plutôt surréaliste ! »

Ce manque de moyens fait-il de la Belgique une ‘passoire’ pour récupérer ses propres taxes ? « La passoire avait des trous encore plus larges jadis. Des efforts ont été réalisés, notamment avec les cellules de détection de carrousels à la TVA, rappelle Thierry Litannie. Mais ils ne sont pas suffisants dans la mesure où beaucoup de personnes passent encore à travers les mailles du filet. »

Déséquilibre entre pouvoir de l’administration et droit du contribuable

Pour l’avocat fiscaliste, le gouvernement donne trop de pouvoir à l’administration fiscale – alors qu’elle manque surtout de moyens – et pas suffisamment au contribuable. « Il y a un déséquilibre évident. On constate un mouvement d’érosion du droit des contribuables. » « C’est l’erreur fondamentale, appuie Roland Rosoux, fiscaliste et ancien directeur de l’Impôt des sociétés en Belgique.

Il prolonge : « Dans les plans de lutte contre la fraude fiscale de Vincent Van Peteghem, on retrouve 52 mesures adoptées en deux plans, qui doivent lutter contre la fraude internationale, estimée à 30 milliards. Mais ce panel de mesures est créé dans l’espoir de récupérer 1 milliard d’ici 2024. Pourquoi on ne peut récupérer qu’un milliard avec 52 mesures ? Cela signifie que le calcul est complètement faux. Cela voudrait dire que les responsables des 29 autres milliards de fraude à l’impôt des personnes physiques et des sociétés, c’est la population. On lance des chiffres qui n’ont aucun sens », fustige-t-il.

« Cela veut aussi dire que les fraudeurs ont mis en place des nouvelles méthodes qui ne sont pas appréhendées par les logiciels de l’administration », complète Thierry Litannie.  

 Dans un pays où certains disent qu’il faut taxer les riches, on empêche les riches, qui veulent être taxés, d’être taxés. C’est plutôt surréaliste comme situation. 

Thierry Litannie

Pour le fiscaliste, la Belgique, récemment élue championne du monde de la pression fiscale, devrait ramener sa taxation à un niveau raisonnable et s’attaquer au problème majeur, à savoir que le contribuable paie trop vite 40% d’impôt. « Il faudrait que le gouvernement se remette en question. Les pays qui sont impitoyables contre la fraude – les Etats-Unis par exemple – ont des taux de taxation qui sont plus raisonnables. En Belgique, si votre revenu imposable se situe entre 15 et 18.000 euros, sur tout euro supplémentaire, on paie 40% d’impôt. C’est une escroquerie intellectuelle absolue », lance Thierry Litannie.

Et de conclure : « Van Peteghem se vante d’augmenter la quotité exemptée d’impôts. Ce n’est pas une mauvaise idée en soi, mais il oublie de dire qu’il ne touche absolument pas aux autres taux, et que dès le moment où vous dépassez la quotité exemptée d’impôts, de facto, vous commencez à payer 40%. C’est complètement absurde. Sans l’excuser, la fraude fiscale est perçue par certains comme une forme de légitime défense, contre un Etat qui ne taxe pas les gens raisonnablement. »

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