« Contradiction », « dissimulation », « pot-pourri » : accablée par les critiques, Hadja Lahbib, au pied du mur, n’a pas convaincu à la Chambre

Sous le feu des critiques, Hadja Lahbib et Alexander De Croo ont tenté de se justifier en commission des Relations extérieures de la Chambre, en réponse aux questions sur l’octroi de visas à une délégation iranienne. En vain. Dans l’opposition, comme dans la majorité, les critiques impitoyables ont fusé.

Les efforts en vue de libérer Olivier Vandecasteele et les autres prisonniers européens en Iran: tel était le contexte dans lequel le dossier des visas accordés à une délégation iranienne doit être compris selon les explications fournies mercredi en commission de la Chambre par le Premier ministre, Alexander De Croo, et la ministre des Affaires étrangères, Hadja Lahbib.

Les justifications de Lahbib

Jusqu’à présent, de source gouvernementale, on se refusait à faire un lien entre les deux dossiers. Jeudi passé, Hadja Lahbib, en séance plénière de la Chambre n’en a soufflé mot, elle avait même eu des mots très durs sur la présence de cette délégation dans la capitale. Mercredi, la libération des otages était au coeur des explications des deux ministres. Ils déplorent toujours l’invitation lancée par le secrétaire d’Etat bruxellois Pascal Smet au maire de Téhéran, contraire à un avis des Affaires étrangères. Mais refuser le visa aurait été vécu comme une « humiliation » par l’Iran alors que la Belgique entend maintenir les canaux de communication qu’elle a ouverts durant les « longues, difficiles et pénibles » négociations pour obtenir la libération du prisonnier belge le 26 mai et de trois autres prisonniers européens le 2 juin.

« Nous restons mobilisés par Djalali et les autres. Cela implique de ne pas rompre les canaux de communication », a souligné Mme Lahbib. Le maire de Téhéran et les membres de sa délégation ont fait l’objet d’un contrôle de sécurité, a-t-elle répété. Ni lui, lui ceux qui l’accompagnaient et qui ont sollicité un visa à l’ambassade belge à Téhéran ne faisaient l’objet d’une interdiction de voyage ou figuraient sur une liste de sanctions internationales.

L’accès au territoire revient entièrement au fédéral (…) Quand on demande un avis aux Affaires étrangères, il est attendu qu’on s’y tienne », s’est expliquée Hadja Lahbib. Les invitations aux villes iraniennes n’étaient pas souhaitables, mais on nous a mis devant le fait accompli. A partir du moment où une invitation est émise, le refus de visa aurait été vécu comme humiliation. Car nous continuons à œuvrer pour la libération de détenus », s’est-elle justifiée.

« Trop de zones d’ombre » et un « grand écart » de Lahbib, pour Ecolo

« Je ne comprends pas pourquoi la vérité d’aujourd’hui n’est plus la même que celle de jeudi dernier », critique Samuel Cogolati (Ecolo). Chaque jour, de nouveaux éléments remettent en question votre version défendue en plénière. Vous ne pourriez pas être plus floue qu’aujourd’hui. En quoi le refus d’un visa serait-il plus humiliant que le refus d’une invitation ? D’un côté, vous avez des mots très violents à l’égard de l’Iran, mais d’un autre, vous évoquez une explication diplomatique envers ce pays », pointe-t-il.

« Le premier mininistre a dit la vérité, mais vous n’avez pas dit la vérité en plénière jeudi, prolonge Samuel Cogolati. C’est ce grand écart qui pose problème. Il y a trop de zones d’ombre. »

« Vous n’humiliez pas l’Iran, mais vous humiliez la Belgique », lance la N-VA

« Vous n’humiliez pas l’Iran, mais vous humiliez la Belgique », a lancé Peter de Roover (N-VA), dans l’opposition, qualifiant le maire de Téhéran de « boucher ».

Le Premier ministre Alexander De Croo est présent aux côtés de la ministre des Affaires étrangères, Hadja Lahbib, mercredi après-midi en commission des Relations extérieures de la Chambre afin de répondre aux questions sur l’octroi de visas à une délégation iranienne.

Il est apparu que le cabinet du chef du gouvernement fédéral avait été consulté le 7 juin sur l’octroi de ces visas et ne s’y était pas opposé dès lors que la Région bruxelloise avait déjà adressé des invitations à des autorités iraniennes en vue du « Brussels Urban Summit » qui s’est tenu du 12 au 15 juin.

Le PS très critique: « Avec ces visas, vous avez fait de la Belgique le terrain de jeu pour les tortionnaires et les assassins »

« Vous avez d’abbord dit que la situation des otages n’est pas pas en jeu. Aujourd’hui, vous expliquez le contraire. Ce changement de narratif n’est pas acceptable et relève de l’omission, et même de la dissimulation. Pourquoi ne pas avoir expliqué jeudi que des contacts ont été pris avec le Premier ministre ? », s’interroge Malik Ben Achour (PS).

« En quoi refuser ces visas serait moins humiliant pour l’iran, que de refuser les invitations elles-mêmes ? Cette explication ne tient pas la route et est parfaitement contradictoire. Vous dites d’abord que c’est pas vous mais Bruxelles, vous dites également que ce n’est pas un enjeu diplomatique, puis finalement un peu quand même. Vous n’avez pas donc pas tout dit au parlement, c’est incontestable, et vous avez même dit tout autre chose qu’aujourd’hui », souligne le député du Parti socialiste.

« Mais le pire, poursuit le Malik Ben Achour, c’est qu’en délivrant ces visas dans l’urgence, vous avez donné carte blanche à des barbouzes, à des agents du régime iranien pour faire leur sale boulot en open bar dans notre pays. Avec ces visas, vous avez fait de la Belgique le terrain de jeu pour les tortionnaires et les assassins, vous avez permis à des agents iraniens de faire un travail de récolte et d’information. C’est grave et problématique. »

« Il y a une conclusion qui s’impose: des gens ici et en Iran sont aujourd’hui plus en danger depuis le 8 juin (quand les visas ont été délivré, ndlr) »

Selon plusieurs témoignages et des images diffusées mardi par la RTBF, des membres de la délégation auraient espionné les opposants iraniens qui manifestaient à Bruxelles, dont la députée Darya Safai (N-VA). Des actes d’intimidation auraient aussi été posés. 

« Faible et complice d’un régime qui va encore profiter de ce chantage à l’avenir », estime DéFi

« Il vous a fallu une semaine pour admettre que ces visas faisaient partie d’un deal pour la libération d’autres otages. Vous avez donc menti. Pourquoi ne pas nous pas l’avoir dit dès le départ? Et jusqu’où êtes-vous prêts à aller dans le chantage sans fin du régime iranien ? », s’insurge la députée Sophie Rohonyi (DéFi).

« A force de reculer par peur de froisser l’Iran, vous faites de la Belgique un pays à la merci des mollahs. En justification, vous nous offrez un pot-pourri qui ne tient absolument pas debout. On reste avec cette très désagréable impression que vous nous cachez des choses et que vous avez menti par omission. »

« Vous avez des belles valeurs, mais vous ne faites rien pour les défendre. Vous n’êtes pas ici par souci de transparence, mais pour tenter de sauver votre peau coûte que coûte« , a lancé la députée.

« Vous êtes faible, complaisant, et complice d’un régime qui va encore profiter de ce chantage à l’avenir. Vous avez compromis la sécurité de nos concitoyens. Nous sommes choqués tant dans l’opposition que dans la majorité, vous devez maintenant tirer les conséquences de cette gravissime faute politique.« 

« Comment la ministre des Affaires étrangères peut-elle encore garder sa place au gouvernement? », questionnent Les Engagés

Dimanche, devant la polémique, Pascal Smet (Vooruit), a préféré démissionner au nom de la responsabilité ministérielle. Son parti a rappelé mercredi à Mme Lahbib quelles étaient ses responsabilités. « Je voudrais que vous reconnaissiez votre faute dans ce dossier », a lancé Vicky Reynaert.

Face à ces critiques, l’opposition estime que la ministre doit s’effacer: « Je ne comprendrais pas comment la ministre des Affaires étrangères garde sa place au gouvernement après les critiques très dures que j’ai entendues des collègues socialistes et écologistes », a fait remarquer Georges Dallemagne (Les Engagés).

Soutenue par Michel De Maegd (MR), Hadja Lahbib se sent « toujours aussi droite dans ses bottes »

Hadja Lahbib, soutenue par son coreligionnaire Michel De Maegd (MR), a contesté la moindre contradiction dans ses explications, ou même d’avoir joué un jeu politique en tentant de déstabiliser le gouvernement bruxellois. « Je me sens toujours aussi droite dans mes bottes », a-t-elle affirmé. Le dossier a montré les difficultés de coopération entre deux gouvernements, en l’occurrence celui de la Région bruxelloise et le fédéral. Le Premier ministre a appelé à faire un travail d' »introspection » intrabelge: « cela aurait dû se passer autrement », a-t-il reconnu.

Le PS n’est pas satisfait des explications de Lahbib, Ecolo veut poursuivre l’analyse

Le PS n’est pas satisfait des explications fournies par les explications de la ministre des Affaires étrangères, Hadja Lahbib.

« Le dossier est accablant et les réponses ne sont que peu satisfaisantes, je suis désolé », a lancé le député Malik Ben Achour après quatre heures de débat.

Sa collègue flamande Vicky Reynaert (Vooruit) a jugé que la « crédibilité de la politique étrangère » de la Belgique était atteinte et a appelé la ministre MR à assumer sa responsabilité.

« Vous avez reproché un manque de responsabilité à Pascal Smet (secrétaire d’Etat bruxellois qui a démissionné dimanche à la suite de cette affaire). Où est votre sens des responsabilités? Vous ne reconnaissez aucune faute. Il ne vous reste plus la moindre crédibilité », a-t-elle ajouté.

L’insatisfaction était aussi prégnante chez les écologistes. Selon eux, il faut continuer le travail d’analyse. « Il faut faire toute la transparence », a demandé Samuel Cogolati. Les Verts ont réclamé une nouvelle séance pour obtenir les réponses qui, selon eux, n’ont pas été fournies.

La N-VA a déposé une motion demandant la démission de la ministre. Peter De Roover, rejoint par d’autres députés, dont M. Ben Achour, a épinglé une contradiction entre les explications fournies jeudi passé en séance plénière et le déroulé des événements.

Hadja Lahbib avait évoqué un avis de l’OCAM, concluant à la faiblesse du risque que représentait cette délégation et datant du 9 juin pour justifier l’octroi de visas. Or ceux-ci ont été octroyés dans la soirée du 8 juin, soit la veille dudit avis. « Vous avez menti formellement à la Chambre jeudi passé », a accusé le chef de groupe nationaliste.

Outre la N-VA, le Vlaams Belang a déposé une motion visant la démission de Mme Lahbib et une autre visant celle du Premier ministre.  Traditionnellement, pour évacuer les motions de l’opposition, la majorité dépose une motion pure et simple. L’Open Vld a pris cette initiative. Le texte n’a jusqu’à présent été cosigné que par le MR…. à la manière de ce qui s’est passé pour l’ex-secrétaire d’Etat Sarah Schlitz. Le débat devrait se poursuivre dès demain en plénière. DéFI a annoncé qu’il déposerait une demande d’interpellation.

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