L'abstention électorale, une tendance en augmentation depuis plusieurs décennies.
Il existe beaucoup de bonnes raisons d'aller voter, mais l'abstention électorale peut aussi se comprendre. © Getty Images/Westend61

Abstention électorale: pourquoi ce n’est pas non plus un crime de ne pas aller voter

Benjamin Hermann
Benjamin Hermann Journaliste au Vif

S’il est préférable de participer aux élections, d’aucuns peuvent aussi trouver quelques bonnes raisons de s’y soustraire et de renforcer les chiffres de l’abstention électorale. L’absentéisme, en particulier, n’est pas permis en Belgique, mais est-ce vraiment grave?

Soyons clair, il ne s’agit pas d’inciter quiconque à l’absentéisme électoral, punissable en Belgique. Sans verser dans le «tous pourris» ou user d’arguments bassement populistes, il existe toutefois quelques raisons acceptables pour motiver son absence, voire, plus largement, l’abstention électorale (qui inclut aussi les votes blancs et nuls).

La tendance à l’abstention s’accentue d’élection en élection. Ce n’est pas une fatalité, la plupart des acteurs politiques cherchent à la contrer, mais des arguments plaident aussi en sa faveur. En voici quelques-uns, évoqués de manière non exhaustive.

Au pouvoir, ce sont toujours les mêmes

Les citoyens qui misent sur les élections pour renouveler en profondeur le personnel politique risquent de déchanter. Les suffrages, aussi démocratiques soient-ils, donnent principalement lieu à l’élection des candidats que les partis ont eux-mêmes placés en position avantageuse. Cela contribue à renforcer cette impression, persistante, selon laquelle «ce sont toujours les mêmes» qui occupent le pouvoir. Il faut dissiper un malentendu: les élections (législatives) servent à désigner des représentants, mandatés pour siéger dans les parlements. Les ministres, même s’ils disposent de plus de pouvoir que les parlementaires, ne sont pas élus.

Un système institutionnel à plusieurs étages couplé à des gouvernements de coalitions conduit cependant à voir souvent les mêmes formations aux affaires.

En ne tenant compte que du gouvernement national ou fédéral, les socialistes et les libéraux francophones ont chacun occupé le pouvoir durant 70% du temps, au cours des cinquante dernières années. Les chrétiens-démocrates ou leurs héritiers (actuellement Les Engagés) y étaient 64% du temps dans la majorité. Et pendant que ces partis étaient dans l’opposition au fédéral, il n’était pas rare de les voir en majorité dans les Régions, alimentant l’idée d’omniprésence. Pour Ecolo, fondé en 1980 et longtemps dans l’opposition, c’est une autre histoire.

Plus globalement, la nature même des élections peut faire l’objet de critiques. Pour certains intellectuels, elles mèneraient avant tout au maintien au pouvoir d’une «aristocratie élective» qui bénéficie pleinement du système. Une telle vision est défendue, entre autres, par l’écrivain belge David Van Reybrouck, qui publiait il y a dix ans le retentissant Contre les élections (Actes Sud).

L’abstention électorale, ce n’est pas très grave

Les petits ruisseaux font les grandes rivières, certes, mais un bulletin de vote sur huit millions n’est-il pas qu’une goutte dans l’océan?

Chacun jugera du discrédit moral qu’il faut jeter sur les coupables d’absentéisme électoral. On peut tout de même convenir qu’il ne s’agit pas d’un outrage démesuré au sens civique. La quasi-inexistence de sanctions est le signe, d’ailleurs, que la société belge accorde une certaine tolérance au phénomène, qui demeure marginal comparativement aux taux observés ailleurs.

Professeur en sciences politiques à l’université du Québec, à Montréal, Francis Dupuis-Déri dénonce cette injonction à l’électoralisme dans son livre Nous n’irons plus aux urnes (Lux Editeur, 2019), aux accents anarchistes et au ton délicieusement irrévérencieux. Dans nos régimes parlementaires, observe le chercheur, le rituel des élections est érigé en dogme, à tel point que les individus y sont sensibilisés, formés, endoctrinés depuis la plus tendre enfance. Lui aussi dénonce cette «aristocratie» entretenue par le système, au profit des catégories de population qui y trouvent leur compte et manifestent leur grand attachement au processus électoral. «Ces milieux affichent un taux de participation plus élevé parce que les gens qui y évoluent ont intériorisé les normes dominantes d’une société qui sert leurs intérêts, même si les membres des classes privilégiées nourrissent la forte conviction que leurs préférences culturelles et politiques, entre autres, relèvent d’un libre choix individuel, y compris lors du vote», écrit-il notamment.

Les élections mèneraient avant tout au maintien au pouvoir d’une «aristocratie élective».

Les élections, ce n’est pas la seule recette

On peut trouver quantité de défauts aux processus de démocratie participative expérimentés çà et là. Il est indéniable qu’ils comportent aussi des qualités, qui en font des instruments à développer, peut-être pas «à la place de» mais «à côté de». Quasi personne ne veut d’un régime totalitaire en Belgique. Partant, un nouvel élan démocratique proviendra vraisemblablement d’une combinaison entre l’ancien (les élections) et le nouveau (la démocratie participative).

David Van Reybrouck, lui, est favorable au système du tirage au sort de citoyens, qui s’adjoindrait à la démocratie parlementaire. En principe, il a l’avantage d’être aléatoire, non élitiste a priori. Les expériences de démocratie participative prouvent aussi le bénéfice retiré des sessions de délibération, démontrant que les citoyens lambda sont capables de raison, de mesure, de sens de l’intérêt général.

Les consultations citoyennes permettent aux participants d’approfondir les sujets de débat sous un angle qualitatif, tandis que les pétitions ou les manifestations sont accessibles à la majorité de la population. Les commissions délibératives mixtes, elles, mettent élus et non élus autour de la table, permettant à tous de se frotter à l’exercice de la délibération.

Les élections ne constituent pas l’alpha et l’oméga de l’exercice de la démocratie. Elles ne vont pas de soi, sont situées dans l’histoire et s’accommoderont sans doute de nouvelles pratiques.

L’abstention électorale, ça peut aussi être un signal

Le monde politique, les politologues et autres journalistes s’inquiètent épisodiquement de la baisse du taux de participation. Voilà peut-être la preuve que l’absentéisme, en soi, envoie un signal (à interpréter de multiples façons). A l’inverse, voter consiste à entretenir le système électoral tel qu’il existe. «L’électoralisme nuit à l’engagement politique et social hors de la joute électorale», comme le formule Francis Dupuis-Déri. «Les aspirations et les possibilités de transformations de la société» se retrouvent circonscrites au cadre imposé par les partis politiques, contraints de poursuivre des objectifs électoraux.

Dans certains pays, explique aussi le politologue, l’abstention électorale peut même constituer un acte militant. Il s’agira alors de refuser de participer à des simulacres d’élections, a fortiori de soutenir indirectement un régime que l’on rejette.

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