Mythes sur la prostitution : « Beaucoup de travailleurs du sexe ne sont pas du tout des victimes »

Han Renard

 » Pourquoi est-ce si mal vu de rechercher de l’intimité auprès d’un travailleur du sexe ?  » Hans Vandecandelaere se pose cette question dans son nouveau livre En vraag niet waarom : sekswerk in België pour lequel il a voyagé pendant trois ans à travers le pays afin de comprendre en profondeur les multiples facettes du plus vieux métier du monde, et les tabous qui entourent encore la prostitution.

« Ce livre est une vraiment une tentative pour envisager les choses en grand » explique Hans Vandecandelaere. « La branche du sexe est énorme et très variée en Belgique. » Le secteur des webcams est par exemple à l’opposé de la prostitution en vitrine, et ce deuxième secteur varie fortement d’une ville à l’autre.

En plus de peindre un tableau complet de chaque branche de la prostitution, Vandecandelare décrit la situation juridique du métier en. Il n’a pas exploré l’univers de la prostitution infantile, des réseaux criminels et de la traite d’êtres humains, mais s’il les mentionne tout de même. « Mon but principal était pour une fois d’étudier les formes moins problématiques des métiers sexuels. » Pour ce faire, il a interviewé 120 personnes dont un peu plus la moitié étaient des travailleurs du sexe. Personne n’accepterait de se prostituer de son plein gré, beaucoup de prostituées sont nées dans la pauvreté. Si c’est là votre avis, alors cela signifie que beaucoup de choix de carrière ne sont pas libres.

L’un des fils rouges de votre livre est que les travailleurs du sexe, qui sont pour la plupart des femmes, ne sont pas victimes d’exploitations ou de trafic humain. En général, elles ont elles-mêmes choisi ce métier et savent très bien ce qu’il implique.

Vandecandelaere : « L’abolitionnisme » est l’un des concepts centraux de cette discussion. À l’origine, ce terme concernait surtout l’abolition de l’esclavage, mais au 19ème siècle, les mouvements féministes vont, entre autres, l’utiliser pour combattre la prostitution. Aux yeux des abolitionnistes, une prostituée est toujours une victime et l’industrie du sexe doit disparaître. Cette idéologie a non seulement influencé le regard du public sur la prostitution, mais elle a aussi inspiré la législation belge. Selon le Code pénal belge, il est autorisé de se prostituer, mais tous les tiers qui organisent ou facilitent les services de prostitution sont, en théorie, punissables : chauffeurs, développeurs de sites, tenanciers d’une vitrine ou d’un bordel, comptables, journaux qui publient des annonces , etc. Pour cette raison, il est presque impossible d’exercer le métier de prostituée sans enfreindre la loi.

« Un(e) prostitué(e) est une victime qui doit être sauvée » Cet a priori sous-jacent n’a pas de sens selon vous.

Non, il y a de grands groupes de travailleurs du sexe, où il n’est pas question de victimisation. Les partisans de cette idée avancent souvent des arguments économiques. Soi-disant, personne ne se lancerait de son plein gré dans l’industrie du sexe, parce que beaucoup de prostituées ont vécu dans la pauvreté ou ont été abandonnées. Parfois, c’est le cas. Mais en réfléchissant de la sorte, beaucoup de choix de carrière ne sont pas libres.En outre, j’ai rencontré beaucoup de travailleurs d’Europe de l’Est qui m’ont rapporté qu’ils travaillaient dans une fabrique et qu’ils trouvaient simplement qu’ils ne gagnaient pas assez d’argent.

C’est un mythe que ceux qui travaillent dans la prostitution vont forcément y rester. Beaucoup de gens ne travaillent que temporairement dans le sexe puis arrêtent.

Pensez à la prostitution estudiantine. L’argent reste la motivation principale des travailleurs du sexe, mais les camboys/camgirls et les étudiants ont des motivations supplémentaires : dépasser leurs limites sexuelles ou juste nourrir leur curiosité par exemple. Cette tendance ressort d’une étude à grande échelle effectuée au Royaume-Uni et aux Pays-Bas. Je ne vois pas pourquoi la situation serait différente en Belgique.

D’une certaine façon, ma prostitution ne réduit-elle pas les hommes et les femmes à un statut de marchandise ?

C’est l’autre argument principal des lobbys abolitionnistes et féministes. La prostitution perpétue la structure patriarcale de notre société, qui transforme les femmes en marchandises. Et je ne suis, encore une fois, pas d’accord avec eux. Dans ce genre de discours, les hommes sont beaucoup trop souvent stéréotypés et présentés comme des prédateurs sexuels. D’ailleurs, il y a aussi des hommes et des transsexuels dans l’industrie du sexe, mais ils sont présents en moindre mesure.

Les travailleurs du sexe, eux-mêmes, ne se considèrent pas comme des marchandises. Selon moi, ce terme stigmatise les clients. Ce serait dire que les hommes qui se rendent chez les prostituées vont acheter une femme. Ces hommes payent pour un service. Et ce service ne devrait jamais être un droit du client. C’est pourquoi les travailleurs du sexe doivent bénéficier de conditions de travail décentes. Ils doivent pouvoir garder le contrôle et dire « Toi, tu peux venir, toi tu ne peux pas. J’accepte de faire ceci et je n’accepte pas de faire cela. » J’ai appris que le travail sexuel était un contrat dont on discute des conditions sous-jacentes. Le travailleur du sexe doit contrôler la situation, c’est crucial.

Les prostituées de rue sont une minorité visible de la branche du sexe et elles sont souvent des femmes vulnérables. Avec elles, on pourrait se demander si elles s’adonnent à des relations sexuelles par besoin financier. Les prostituées avec qui j’ai parlé sont bien loties. Néanmoins, cela n’enlève rien au fait que les métiers du sexe sont des métiers à risques.

Devrions-nous voir les métiers du sexe comme des métiers normaux?

Bien sûr. C’est un travail, ou une activité économique. J’ai évidemment entendu et lu assez d’histoires sur des hommes grossiers auxquels ont dû faire face des travailleuses du sexe. Mais il existe une grande majorité d’hommes pour qui les visites chez une travailleuse du sexe permettent de soulager leur stress, les consoler ou de réaliser un fantasme. Beaucoup de travailleurs du sexe m’ont raconté que le sexe était souvent une activité parmi tant d’autres. Les discussions font partie de l’ensemble. Chez un thérapeute, nous achetons de l’attention émotionnelle et c’est accepté par la société. Pourquoi ne pouvons-nous donc pas accepter que quelqu’un aille acheter de l’intimité chez un travailleur du sexe ?

De plus, les métiers du sexe contribuent à la mobilité sociale des travailleurs eux-mêmes. Cela leur permet d’avancer dans la vie. Les femmes romaines et bulgares investissent dans des biens immobiliers dans leurs pays par exemple.

Faudrait-il donc faciliter les métiers du travail à grande échelle ? Je n’en suis pas encore sûr. Tant que les femmes de nombreux pays ont n’auront pas les mêmes chances d’accès à l’enseignement et au marché du travail en tout cas. Car cela pourrait être un facteur phare pour contribuer à la mobilité sociale. Le ministre de la Justice Koen Geens (CD&V) avait même prévu de décriminaliser en partie la prostitution.

Est-ce que nous avons trop vite tendance à appeler cela du trafic humain ?

Le trafic humain est une partie de la prostitution, mais ce sont deux choses différentes. Ce qui me dérange chez les abolitionnistes, c’est leur incapacité à comprendre la complexité des métiers du sexe. Selon le VrouwenRaad (Le Conseil flamand des femmes), entre 60 à 80 %des travailleurs du sexe travaillent sous la contrainte. Pour leConseil des femmes francophones de Belgique, le taux se situe entre 80 et 90%. Ces augmentations se basent sur des chiffres de la police, expliquent-elles, mais aucune enquête solide ne les confirme. Même les centres d’aides aux victimes de trafic humain expliquent que ces chiffres sont inexacts.

Un combat idéologique s’est lancé à coup de chiffres. Plus il y a de victimes, mieux c’est semble-t-il. En raison de mon enquête, j’ai tendance à inverser les rapports manipulés par le Vrouwenraad entre la prostitution forcée et non forcée. Des études néerlandaises s’orientent plutôt vers un petit pourcentage de 10% de prostitution forcée.

En Belgique, les métiers du sexe sont en grande partie une économie informelle. Lorsque des travailleurs du sexe disposent d’un statut régulier, ils sont inscrits en tant que serveur(se) ou masseur(se).

En raison du statut social des travailleurs du sexe, l’argent noir est monnaie courante dans le secteur. À partir du moment où vous prenez une prostituée en service, vous devenez un mac. C’est punissable par loi. Voilà pourquoi les statuts fictifs sont la seule solution. Nous ne savons pas combien de travailleurs du sexe sont actifs en Belgique, mais la plupart n’ont pas de droits sociaux stables. Et par conséquent, leur protection médicale est médiocre.

À l’instar du professeur gantois de droit pénal Gert Vermeulen, je plaide dans mon livre pour un certain nombre d’adaptations dans la législation actuelle du travail. Vermeulen pense que nous pouvons offrir aux travailleurs du sexe un plus large éventail de possibilités, y compris des flexi-jobs et le statut d’artiste.

Est-ce que les travailleurs du sexe désirent un statut, et donc payer des taxes sociales ? La plupart des filles travaillent en toute connaissance de cause pour se faire de l’argent facilement.

Là est la question en effet. Si je pensais de manière paternaliste, je dirais : c’est pour votre bien. Je me chargerais également de proposer un statut à la portée de tous. C’est pourquoi je plaide pour guichets réservés aux métiers du sexe. Les personnes concernées pourraient s’y informer et s’occuper de leurs taxes.

Au niveau fédéral, les choses étaient en train de bouger en toute discrétion. Le ministre de la Justice Koen Geens (CD&V), occupé à la réforme du Code pénal, avait pour objectif de décriminaliser en partie la prostitution. Le célèbre article 380 devait être résilié. Tenir une maison close ou avoir des travailleurs du sexe à son service ne serait plus punissables. Même les experts dans le secteur n’étaient pas au courant de l’initiative. Suite la chute du gouvernement fédéral, une réforme des lois sexuelles n’est pas à l’ordre du jour.

Traduit par Thomas Bagnoli

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