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La Flandre ne tiendra pas ses engagements climatiques et l’assume sans honte

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Le gouvernement flamand l’assume sans honte : il ne tiendra pas les engagements belges de réduire de 47% les émissions de gaz à effet de serre.

La planète brûle, les esprits s’échauffent mais elle persiste à garder la tête froide. Zuhal Demir (N-VA), ministre flamande de l’Environnement, à ce titre gestionnaire en chef du colossal défi climatique à relever par le gouvernement flamand, ne craint pas d’exposer la Flandre à l’opprobre et à la colère de ses voisins de palier, fédéral, wallon et bruxellois réunis, pour manquement flagrant à ses devoirs.

Réduire de 47% d’ici à 2030 les émissions de gaz à effet de serre par rapport à 2005, voyez-vous ça… Inutile de compter sur le nord du pays pour que la Belgique colle au nouvel objectif que lui assigne la Commission européenne. La coalition N-VA – CD&V – Open VLD, qui a déjà revu à la hausse de 35% à 40% ses ambitions de réduction, entend en rester là. «Le fétichisme des objectifs climatiques, basta. A quoi ça rime de jouer au vogelpik», s’interroge le député N-VA Andries Gryffroy, que sa présidence de la commission spécialement dédiée par le parlement flamand au suivi de ce dossier brûlant entre tous, ne retient pas de récuser ces injonctions européennes: «Et pourquoi pas une réduction d’émissions de 53%? Ou de 65%?» Un propos que ne désavouerait pas un climato-sceptique.

Zuhal Demir (N-VA) «On dit souvent de moi que j’agis en comptable en matière de climat. Je ne suis pas une rêveuse naïve.

Cette défaillance volontaire vaut pourtant son pesant de CO2, treize millions de tonnes, que la Flandre suggère de combler par un achat collectif de flexibilités, d’air pur en quelque sorte. «Il en coûterait un milliard d’euros», s’émeut Zakia Khattabi (Ecolo), ministre fédérale du Climat. Oui, et alors? La Flandre estime avoir déjà tellement donné par le passé, «elle fait valoir comme argument sa solidarité historique pour la Wallonie qui justifierait qu’on fasse un effort supplémentaire», s’offusque Zakia Khattabi assurant que «le fédéral ne mettra pas la main à la poche pour pallier le déficit flamand». Ce qui reste à confirmer.

La conscience tranquille

Les dirigeants flamands soignent décidément leur réputation. Celle de l’incorrigible mauvais élève de la classe belge, invariablement relégué sur le banc des «traînards climatiques», fustigé pour sa mauvaise volonté, voire son penchant pour le sabordage/sabotage. Mais le cancre ainsi tout désigné ne bronche pas sous l’affront. Il se sent la conscience tranquille, son cartable empli de 344 mesures qui doivent attester à suffisance de son sérieux à vouloir rendre la vie humaine encore soutenable sur Terre. Peu lui chaut que ses voisins se poussent du col et se paient de mots. Le ministre-président, Jan Jambon (N-VA), donne le ton: «Je sais que les autres gouvernements de ce pays ont des objectifs plus élevés, mais il n’existe qu’un seul gouvernement qui bâtit les siens sur des mesures concrètes et chiffrées capables de les atteindre.» Le sien.

Le discours est rodé. C’est celui de l’ordre et de la méthode, de la force tranquille dans l’action, qui sied à Zuhal Demir: «On dit souvent de moi que j’agis en comptable en matière de climat. Je ne suis pas une rêveuse naïve mais quelqu’un qui opte pour une politique sensée.» Ailleurs, on s’agite et on s’emballe face au péril? Sa religion est faite: c’est le wishful thinking.

Le plan énergétique flamand voit grand: un million de véhicules électriques à faire rouler sur les routes de Flandre d’ici à 2030.

Tout est question de plan flamand, de tout le plan et de rien que le plan, sous ses versions actualisées, balisées, monitorées. Fin 2022, 88% des mesures planifiées étaient en cours d’exécution, 16% des chantiers bouclés. Qui dit, ou surtout qui fait mieux en Belgique voire en Europe? «Sur plusieurs points, nous avançons plus rapidement que d’autres pays et nous sommes plus sévères que ce que l’Europe prescrit, en contraste flagrant avec les autres entités de ce pays, nettement moins transparentes en la matière», claironnent volontiers les ministres flamands. Et d’aligner les preuves par un Top 3 européen dans l’éolien terrestre et le nombre de panneaux solaires installés par habitant ; par l’obligation imposée aux grandes entreprises grosses consommatrices d’énergie de s’équiper en panneaux photovoltaïques, une première flamande à l’échelle européenne ; par le placement en cinq ans de 396 000 panneaux solaires sur 50 000 habitations sociales ; par les deux milliards d’euros engagés sous cette législature dans l’aménagement d’infrastructures cyclables.

Sans compter la Flandre qui reboise son sol outrancièrement voué au béton et qui a rendu à ce jour 8 600 hectares à la nature, certes encore loin des 20 000 hectares programmés. Celle qui s’engage aussi dans la voie de l’adaptation climatique, le dada de Zuhal Demir qui juge même cette approche «plus importante que la réduction de CO2» et de loin préférable à l’adoption de nouvelles lois climatiques. C’est la recette des petits gestes qui doivent aider à résister aux humeurs de la météo, et ce combat-là se joue à l’échelon local. Au menu: un arbre planté par habitant, un parterre de dix mètres carrés à aménager pour mille habitants, un mètre cube de capacité d’absorption d’eau de pluie à atteindre par habitant. Les projets sont lancés, aux communes à les assumer et à trouver les sous nécessaires, ce que 92% d’entre elles jugent à ce stade impossible selon un récent coup de sonde.

Non au bluff

Voilà pour le tableau officiel – flatteur? – d’une Flandre qui dit s’attaquer bel et bien au dérèglement climatique, sonne la mobilisation sur tous les fronts, aime exhiber ses chevaux de bataille, ses armes de verdissement massif. Et ne craint pas de voir grand.

Un million de véhicules électriques à faire circuler sur les routes de Flandre d’ici à 2030 et qui pourront à cette échéance s’alimenter à 100 000 points de recharge alors que le cap des 25 000 bornes vient d’être franchi. Un parc immobilier parmi les plus vieux et les plus dégradés d’Europe – un million d’habitations problématiques – soumis à un programme de rénovation obligatoire qui accorde désormais cinq ans au nouveau propriétaire pour configurer son acquisition en fonction de différents labels selon l’état de vétusté du bien. Soit 38 000 habitations et 5 000 appartements à reconvertir chaque année, chantier sans équivalent en Belgique, qui ambitionne de faire passer d’ici à 2050 tout ce patrimoine flamand sous un label A, le nec plus ultra de la performance énergétique que ne décrochent aujourd’hui que 5% à 6% des habitations. Quoiqu’il en coûte? L’investissement total estimé donne le vertige: 110 milliards d’euros à injecter.

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Pourvue d’un tel arsenal, rien ne paraît pouvoir décontenancer Zuhal Demir. Pas même lorsqu’un énième constat alarmant vient jeter un froid dans le contexte de surchauffe planétaire ambiante. «Faiblard, flottant, partiellement bâti sur du vent, sur des chiffres et des prévisions fort éloignées de la réalité.» Fin juin, le plan flamand Energie-Climat 2021-2030 est haché menu par le Serv, le conseil socio-économique de Flandre qui réunit les partenaires sociaux, patronat compris. Cette bible a le tort, à leurs yeux, «d’être avant tout un plan climatique et trop peu énergétique et socioéconomique» et de passer de ce fait à côté de l’essentiel: une réduction significative de la dépendance des entreprises et des ménages flamands aux énergies fossiles. Estimation choc à l’appui: «Vingt-et-un milliards ont été dépensés par la Flandre en importation de gaz et de pétrole en 2022, pour six milliards en 2018», soit largement trois fois plus qu’avant la crise énergétique. De quoi désespérer? La ministre N-VA de l’Environnement préfère y voir l’indice que le Serv a choisi son camp: «Bluffe-t-on avec ses objectifs, ce que tout le monde fait en Europe en fin de compte, ou les place-t-on à un niveau atteignable pour la société, les gens, les entreprises? Le Serv me demande de bluffer, ce que je ne vais pas faire.»

«Zuhal Demir a évidemment raison de vouloir se montrer réaliste. Mais le réalisme ne doit pas être du défaitisme ni signifier que l’on s’interdise d’être ambitieux», confie au Vif l’un des nombreux experts du climat en Flandre. C’est bien là le principal reproche de ceux entendus par dizaines, ces derniers mois au parlement flamand, et qui sont venus grosso modo reconnaître que si le bon pli est enfin pris, si les orientations sont globalement correctes et certains progrès incontestables, le tout manque dramatiquement d’envergure, d’audace, de l’allant et de l’élan nécessaires pour une vraie rupture. Et de recommander de presser le pas, de doper le sens de l’urgence.

Une tirelire à casser

Même les chantiers les plus ambitieux et les plus en vue ont mal résisté aux évaluations. C’est une attachée au Serv, Annemie Bollen, qui juge problématique sinon irréaliste, le rythme à soutenir pour rénover l’habitat flamand selon les échéances prévues, soit un taux de croissance annuel de 3,3% des habitations en label A. «Une rénovation en vue d’un label A coûte en moyenne 55 000 euros, ce qui est impayable pour la moitié des ménages flamands.» A moins de soutenir financièrement les catégories les plus défavorisées: dans ce cas, il en coûtera entre 1,6 et 4 milliards par an, auxquels s’ajoutera 1,4 milliard chaque année durant dix ans pour rendre les logements sociaux compatibles avec les exigences énergétiques. On cherche toujours la tirelire à casser. C’est un président du panel de suivi du plan Energie-Climat flamand, Gerard Govers, qui a confié aux députés les doutes que lui inspire l’électrification planifiée du parc automobile: «Quelque 25 000 voitures électriques roulent actuellement en Flandre. Vouloir en mettre un million en circulation, soit quarante fois plus d’ici à 2030, ne me paraît pas simple à réaliser», alors que «tous les efforts prévus en matière de mobilité ne pourront réduire les émissions de CO2 liées au transport que de 25% d’ici à 2030.» Trop peu. «On ne voit aucune grande percée susceptible de modifier significativement le comportement des automobilistes. Nous allons continuer à rester bloqués dans les files, à attendre des transports en commun, à sacrifier des années de nos vies à la mauvaise qualité de l’air. Le fossé entre les paroles et les actes reste profond», déplore Yelter Bollen, spécialiste en matière climatique au Bond Beter Leefmilieu.

Une rénovation en vue d’un label A coûte, en moyenne, 55 000 euros. C’est impayable pour la moitié des ménages.

Pénible, la longue marche vers une Flandre moins polluée et au climat assaini passe aussi par les terres agricoles et c’est pour s’y embourber vachement. Avec un monde paysan sur pied de guerre, un gouvernement flamand empêtré dans son stikstofakkoord et qui joue sa survie sur ce plan de réduction drastique des émissions d’azote qui électrise les campagnes. Réduire, d’ici à 2030, de 31% les émissions de CO2 émises par l’agriculture là où elles ont encore progressé de 4% entre 2005 et 2020, relèvera du tour de force. Ne pourra se faire sans une révolution des pratiques agricoles, sans une saignée parmi les animaux de ferme que le panel d’experts chargés du suivi du plan climatique flamand s’est aventuré à évaluer: 15% de porcs, 10% de volailles, 25% de vaches laitières à liquider, de quoi soulager 80 000 hectares de terres flamandes pour les restituer à la nature. Affaire conclue? Il va d’abord falloir convaincre…

Qu’à cela ne tienne, le gouvernement flamand estime, de toute façon, ne pas avoir de leçons à recevoir. Que ceux qui prétendent faire mieux osent donc lui jeter au visage la première bouffée de CO2 venue. Etrange posture, juge Yelter Bollen, du Bond Beter Leefmilieu: «Chercher à justifier ses propres manquements en désignant ceux des autres régions alors que la Flandre a l’autonomie et les moyens pour agir réellement me paraît manquer de cohérence.»

Quand bien même les résolutions les plus fermes produiraient leurs effets à l’échéance prévue, elles ne suffiront pas à effacer le péché originel, capital aux yeux des acteurs de la cause climatique: cette latte délibérément maintenue par le gouvernement flamand à 40% de réduction des émissions de CO2 et qui, de l’avis quasi unanime, ne pourra même pas être tutoyée dans l’état actuel des moyens mobilisés. Nicolas Van Nuffel, président de la Coalition Climat, a cette image: «C’est comme si un élève estimait que décrocher un 8 sur 20 à un examen serait une réussite.» Et lui éviterait le port infamant du bonnet d’âne.

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