© VCG via Getty Images

Bornes, pénurie d’électricité, recharge… La Belgique face à la fin de la voiture thermique

Nathan Scheirlinckx
Nathan Scheirlinckx Journaliste au Vif

Passer de la voiture thermique à la voiture électrique, cela demande préparation, pour faire recette. La Belgique a enfilé son tablier de cuisine mais est encore loin de maitriser tous les ingrédients, alors que le temps presse.

Comme tous les Etats-membres de l’UE, la Belgique va devoir mettre l’accélérateur pour abandonner peu à peu la voiture thermique au profit de la voiture électrique. Mais la route est encore longue. Et parsemée d’embûches. Olivier Duquesne, journaliste au Moniteur Automobile, résume bien la situation. « La voiture électrique pour tout le monde, ce n’est pas pour tout de suite. Le sera-ce dans 10 ans ? Difficile à dire ». Le challenge imposé par l’Europe pour verdir sa mobilité concerne beaucoup de monde : constructeurs automobiles, gestionnaires du réseau d’électricité, entreprises et politiques (pour ne citer qu’eux). En première ligne, Georges Gilkinet (Ecolo), ministre fédéral de la Mobilité, rappelle que le « secteur automobile représente 30% du total de notre consommation de produits fossiles. »

Belgique: utopique de remplacer la voiture thermique ?

L’électrification de la flotte automobile est ce qui inquiète le plus Francesco Contino, professeur à l’Ecole Polytechnique de Louvain. « En Belgique, il y a 6 millions de voitures. On ne pourra pas toutes les remplacer par des électriques  d’ici 2050. Chaque année, on renouvelle 500.000 véhicules, pour un total de 10 à 15 milliards d’euros. C’est beaucoup, mais ce chiffre devrait encore augmenter vu le coût important des voitures électriques ». Conscient de cette situation, Georges Gilkinet tempère : « La durée de vie moyenne d’un véhicule en Belgique étant de 9 ans, on se dirige vers un remplacement de l’ensemble de la flotte actuelle à moyenne échéance. Mais soyons clair, le remplacement de l’ensemble du parc thermique par des véhicules électriques n’est pas la solution. Pour autant, la voiture électrique reste une alternative intéressante actuellement ».

Recharger sa voiture électrique: le casse-tête des bornes

Les bornes de recharge manquent encore, surtout en Wallonie © BELGA

Augmenter le nombre de véhicules électriques est une chose. Les recharger en est une autre. Pour ce faire, il existe plusieurs types de bornes :

  • Les bornes rapides (sur les autoroutes, les parkings d’entreprise ou de supermarchés)
  • Les bornes lentes (dans les villes)
  • Les bornes à domicile

Sur la question des bornes de recharge, la Belgique est en retard sur ses voisins européens. La faute à qui ? Surtout au sud du pays, où l’infrastructure a du mal à suivre la production des voitures électriques. « Il faut que les pouvoirs publics et entreprises progressent sur la mise à disposition de la recharge », estime Pierre Duysinx (ULiège), professeur en ingénierie, mécanique et aérospatial. « La plupart des études montrent que pour une voiture, il faut 1,4 borne disponible. La plupart des consommateurs qui habitent en périphérie urbaine disposent d’une borne à domicile. Faites le calcul, les pouvoirs publics et entreprises ne doivent donc s’occuper que des 0,4 restant ».

En Flandre et à Bruxelles, les particuliers peuvent demander l’installation d’une borne publique à moins de 200 mètres de chez eux, s’ils ne disposent pas d’un garage ou d’un parking privé. « Mais même dans ce cas, l’emplacement n’est pas réservé pour la personne concernée, analyse Olivier Duquesne. Tout le monde peut s’y installer car c’est public ». Du côté du cabinet de Georges Gilkinet, on refuse de dire que la Belgique est en retard sur la question des bornes. « La Commission européenne demande une borne publique pour 10 voitures. Nous en sommes actuellement à une pour 13 voitures. Les Régions, qui ont pu bénéficier d’une belle aide fiscale fédérale, ont des plans ambitieux à ce propos ». Tout de même, il y a du pain sur la planche, confirme Olivier Duquesne. « Les incitants financiers concernent surtout les indépendants et les entreprises à l’heure actuelle ».

On risque de manquer d’électricité à l’hiver 2025-2026. Aucun réacteur nucléaire ne fonctionnera, et ne parlons pas des centrales au gaz

Damien Ernst, spécialiste des questions énergétiques

Fin de la voiture thermique en Belgique: « On devra produire 2 à 3 fois plus d’électricité par rapport à maintenant »

Autre conséquence attendue avec le remplacement de la voiture thermique par la voiture électrique en Belgique : les besoins en électricité augmenteront, inexorablement. « On devra produire 2 à 3 fois plus que ce n’est le cas maintenant, présage Francesco Contino. Cela correspond à 20 TWh, soit l’équivalent de la production annuelle d’énergie renouvelable ». La voiture électrique débarque alors que l’avenir énergétique de la Belgique reste flou. « On rajoute une charge sur un système qui n’est pas prêt », clame Damien Ernst, professeur à l’ULiège et spécialiste des questions énergétiques. « On risque de manquer d’électricité à l’hiver 2025-2026. Aucun réacteur nucléaire ne fonctionnera, et ne parlons pas des centrales au gaz ». Alors, où chercher cette électricité supplémentaire ? « Nous devons travailler à plus d’efficacité énergétique, confesse Georges Gilkinet. Mais nous développons comme jamais les énergies renouvelables et les capacités de stockage. Tout comme les interconnexions entre pays, afin de disposer en tout temps d’une énergie verte en abondance ».

Vers une congestion du réseau électrique ? « Il faut s’habituer à recharger le véhicule pendant la nuit »

Injecter plus d’électricité dans le réseau ne suffit pas. En parallèle, il faut veiller à ce que tout le monde puisse en bénéficier pour recharger sa voiture électrique. « Si tout le monde se met à recharger en rentrant du boulot, ça va doubler la charge électrique sur le réseau basse tension« , explique Damien Ernst. Pour Pierre Duysinx, « il ne faut pas que la demande soit exorbitante à certains moments de la journée. Les gens vont devoir s’habituer à recharger leur véhicule pendant la nuit ». Francesco Contino est lui moins préoccupé par une éventuelle congestion du réseau. « Il faudra simplement veiller à bien étaler la recharger au cours de la journée ». Sur la question de la congestion du réseau électrique, le ministre fédéral de la Mobilité mentionne que « mieux étaler la demande d’énergie en fonction de l’énergie produite par les énergies renouvelables et de la demande ponctuelle d’énergie, c’est l’enjeu majeur pour nos gestionnaires de réseau ». Tout en précisant que « ce n’est pas pour rien que ce sont uniquement les bornes de recharge dites « intelligentes » qui sont déductibles fiscalement ».

Comment éviter une congestion du réseau électrique ? L’idée du Vehicle to Grid (V2G)

Réinjecter dans le réseau de l’électricité depuis la batterie d’une voiture électrique. Voilà l’idée derrière la technologie Vehicle to Grid ou V2G. « Son objectif est de pallier les problèmes d’approvisionnement énergétique », indique le spécialiste de l’énergie Damien Ernst. « Au lieu de recharger sa voiture électrique chez soi en rentrant du travail, on la déchargerait dans le réseau ». Le V2G, une solution pour éviter les problèmes de congestion du réseau ? « Après-demain, les voitures électriques apporteront aussi une solution à l’enjeu énorme du stockage de l’énergie », estime Georges Gilkinet (Ecolo), ministre fédéral de la Mobilité. « Elles pourront être chargées aux moments d’excédent de production électrique et servir de réserve appelable en cas, au contraire, de pic de consommation ».

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire