Le rapport Stucky a globalement exonéré le barrage, "sans lequel la situation aurait été encore plus catastrophique à l'aval". © PHOTO NEWS

Inondations: l’obsession des députés wallons pour le barrage d’Eupen

La commission d’enquête sur les inondations reprend ses auditions, ce vendredi 26 novembre. Elle devait rendre ses conclusions en fin d’année, mais elle a été prolongée jusqu’au 28 février. Tant que les députés n’auront pas obtenu le dernier carat de l’information sur la gestion du barrage lors des inondations, leurs électeurs ne seront pas en paix.

A la commission Inondations du parlement de Wallonie, le barrage d’Eupen non vidangé, sauf le dos au mur d’eau, reste un sujet, même si un député Ecolo, Olivier Bierin, l’a qualifié de « petit bout de la lorgnette ». Ce vendredi 26 novembre, les commissaires repartent à la pêche aux informations, en interrogeant les ingénieurs de garde qui ont vécu la crise au plus près du terrain, et non plus les grands patrons de l’administration qui ont déjà déployé l’architecture complexe de leur défense par-dessus le processus d’enquête. Les séances de questions-réponses font honneur à la classe politique. Après la commission Publifin (2017) qui avait donné d’excellents résultats en matière de recommandations, c’est l’occasion de découvrir une nouvelle génération d’élus wallons, plus jeunes, qui ne lâchent pas le morceau. Les Liradelfo (PTB), Kelleter (Ecolo), Desquesnes (CDH), Nikolic (MR)…

Les auditions retransmises par le parlement attirent en moyenne 1 300 spectateurs par su0026#xE9;ance.

Au début du mois de novembre, les bourgmestres de Verviers à Chaudfontaine, en passant par Trooz et Pepinster, ont évoqué l’ouvrage d’art qui était censé protéger la vallée de la Vesdre, dont les lâchers, inévitables pour éviter une catastrophe majeure, sont suspectés d’avoir renforcé la dynamique de crue. Pourquoi la Direction de la gestion hydrologique du SPW Mobilité et Infrastructures (SPW MI) n’a-t-elle pas tenu compte des alertes européennes de l’Efas, ni, suffisamment, de celles de l’IRM, alarmantes dès le lundi 12 juillet (80 à 130 mm attendus en dessous du sillon Sambre-et-Meuse, voire 150 mm très localement)? Pourquoi la Direction des barrages (SPW MI) n’a-t-elle pas anticipé la crue et quels ont été le rythme et le volume des restitutions – combien de mètres cubes par quart d’heure – pendant la nuit du 14 au 15 juillet où les « vagues » ont été observées? Ce phénomène constaté sur d’autres cours d’eau non surmontés d’un barrage ne dispense pas d’obtenir des explications. « Jusqu’à présent, les responsables du SPW MI, dont la plupart étaient en vacances au moment des faits, nous ont surtout dit ce qu’ils pensaient qui s’était passé sur la base de calculs réalisés a posteriori« , pointe Diana Nikolic.

Certes, le rapport de la société suisse Stucky commandé par le ministre de tutelle, Philippe Henry (Ecolo), a globalement exonéré le barrage, qui a retenu plus de six millions de mètres cubes sur les 12,4 millions apportés par la crue. Sans lui, ça aurait été pire. Selon le même rapport, les ouvertures de vannes se sont « globalement faites de manière progressive ». Mais les députés veulent en avoir la preuve. Surtout quand on sait que des avaries ont surgi au matin du 14 juillet, non pas une, comme l’avait concédé le cabinet Henry au Vif, mais plusieurs. On sait désormais que nos barrages sont gérés depuis Namur et que l’atelier de la Région wallonne se trouve au barrage de la Gileppe. Selon les habitués, le niveau du lac d’Eupen était très élevé le samedi 10 juillet. Les limnigraphes (appareils de mesure) sur la Vesdre et le Getzbach, en amont, étaient en cours de remplacement, ce qui n’a pas permis de mesurer le débit entrant dans le lac, si ce n’est par l’observation de l’élévation du plan d’eau, souligne le rapport Stucky. Du personnel a été envoyé sur place, le 14 juillet, pour faire des relevés à 13 h 06, 15 h 10 et à 17 h.

Suite du texte après l’infographie.

Malaise

Sur le plan politique aussi, l’absence de transparence se paie cash. Le ministre Henry a d’abord dit que l’IRM avait lourdement sous-estimé les prévisions de pluie, puis que le barrage était à moitié rempli, puis qu’il avait pour fonction première de livrer de l’eau potable et non d’écrêter les crues, etc. Il reste un malaise face à la gestion manifestement plus prudente et professionnelle des barrages administrés par Engie dans la région (Robertville, Butgenbach), en dépit du fait qu’ils ont reçu moitié moins d’eau que celui d’Eupen.

« La rapidité de la crue n’a pas permis aux gestionnaires de constituer une réserve d’empotement supplémentaire dans la retenue par des lâchures (NDLR: lâchers) préventives, conclut le rapport Stucky. La note de manutention du barrage ne prévoit de toute façon pas la possibilité de créer cette réserve supplémentaire de manière anticipée. Sans la présence du barrage, la situation aurait été encore plus catastrophique à l’aval. » Un bémol: le tunnel de la Helle, rivière fagnarde dont une partie est dérivée vers le barrage d’Eupen en temps normal, n’a pas été fermé, comme la note de manutention l’imposait. Sa fermeture « aurait pu réduire de 25m3/s le débit arrivant dans le lac, ce qui reste négligeable vu l’importance de la crue. »

En revanche, la société suisse s’est montrée peu prolixe sur les jours précédant la catastrophe. « Cette partie est éludée, regrette le député François Desquesnes. Mais notre but n’est pas de dire que telle personne n’a pas bien travaillé, mais de pister les défaillances, même si, on l’a vu avec les météorologues, le phénomène pluvieux était exceptionnel. De façon transversale, on peut déjà dire que les périodes de vacances sont des périodes de faiblesse et constater que les entités qui ont bien fonctionné sont celles qui avaient l’habitude de travailler ensemble, comme Engie, certaines petites communes ou les ingénieurs du SPW MI, qui ont fait le job au barrage de Monsin. Il y a des leçons à en tirer sur le plan du fonctionnement de l’administration. »

La commission a été prolongée jusqu’à février-mars 2022. Les auditions, retransmises par le parlement, attirent en moyenne 1 300 spectateurs par séance, selon le greffe. « Il y a un réel intérêt pour notre travail politique, se réjouit Anne Kelleter, jeune députée germanophone Ecolo qui cherche encore à savoir si la prévision de 150 mm de pluie a été prise en compte dans la décision de ne pas procéder à des délestages préventifs. « Selon les procédures existantes, le barrage d’Eupen a joué son rôle, déclare-t-elle. Les gens auraient aimé qu’on soit plus prévoyants, mais c’est difficile de refaire l’histoire après-coup. De plus, aucun scientifique ne nous a démontré un lien entre le barrage et les vagues. Cela me fait mal au coeur, car les gens attendent cette explication pour envisager le futur. Sur la gestion de crise, beaucoup de progrès sont à faire. A l’avenir, on devra avoir des structures de communication et un cadre de vie urbanistique plus résilients, sachant que la vallée est très encaissée et que l’eau descend très rapidement des Fagnes. »

24 décès dans la vallée

Le nombre de décès dus aux crues de juillet dernier en Wallonie est de 38, sans doute 39, quand le dernier corps tombé dans l’Ourthe sera identifié par le DVI de la police fédérale. Sur la base des chiffres confirmés auprès de la majorité des bourgmestres concernés et complétés auprès de sources fiables, les 24 morts de la vallée de la Vesdre représentent plus de la moitié des décès, à Eupen (1), Verviers (8), Pepinster (7), Olne (1), Trooz (3, dont deux dames âgées qui ont fait un malaise cardiaque) et Chaudfontaine (4). Il n’a pas été simple d’obtenir ces chiffres, le centre de crise wallon, le centre de crise national, la police fédérale et le cabinet de la ministre de l’Intérieur se renvoyant la balle, car la responsabilité de la macabre communication a changé de main au fil du temps. De plus, le bilan humain est couvert par le secret de l’instruction. Lancée avant la commission d’enquête du Parlement de Wallonie, celle-ci se poursuit à Liège du chef d’homicides involontaires par défaut de prévoyance et de précaution.

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