Emmanuel André © Belga

Emmanuel André : « la situation épidémiologique reste grave »

Marie Gathon
Marie Gathon Journaliste Levif.be

La réouverture des commerces est sur la table du Comité de concertation qui aura lieu vendredi. Cette possibilité d’ouverture est-elle un grand risque d’un point de vue épidémiologique ? Quelles perspectives cela donne-t-il pour les fêtes de fin d’année ? Nous avons interrogé Emmanuel André, microbiologiste à l’UZ Leuven.

À ce stade et d’un point de vue épidémiologique, est-il prudent de rouvrir les commerces ?

Les choses évoluent dans le bon sens, mais objectivement les chiffres sont encore très hauts. La situation aujourd’hui est bien plus grave que celle durant laquelle on avait rouvert les magasins, lors du premier déconfinement.

Pour rappel, lors de la première vague, les magasins ont pu rouvrir le 4 mai. Ce jour-là, 80 décès ont été déplorés, 59 nouvelles hospitalisations ont été enregistrées et le taux de reproduction du virus (le R0) était à 0.6. Aujourd’hui, on dénombre 282 hospitalisations par jour (moyenne pour les 7 derniers jours), 162 personnes sont décédées en moyenne lors des sept derniers jours et le R0 est à 0.78.

Les commerces ne semblent pas être un lieu de haute propagation du coronavirus. Est-ce dès lors risqué de les rouvrir ?

Non. C’est sûr que ce n’est pas en étant seul dans un magasin de chaussures que l’on risque d’être contaminé. Mais il faut toujours percevoir ce type de mesure avec son contexte. Lorsqu’on rouvre les magasins, ce sont à chaque fois des évènements individuels à faibles risques, mais qui sont multipliés des millions de fois par jour. Et donc, de très faibles risques peuvent se cumuler les avec les autres.

Il faut également prendre en compte toutes les conséquences de la réouverture des magasins : les déplacements supplémentaires, le fait que les commerçants retournent travailler, qu’ils doivent faire garder leurs enfants à nouveau, qu’ils doivent également aller faire leurs courses à un moment de grande affluence, par exemple. Il ne faut jamais regarder un phénomène comme étant isolé.

Je ne dis pas que c’est impossible de rouvrir les magasins, mais dans la prise de décision, il faut prendre en compte énormément de choses et ne pas être simpliste.

Quelles sont les perspectives pour les fêtes de fin d’année, selon vous ?

Chaque fois que l’on autorise un contact supplémentaire par personne en Belgique, cela fait 11 millions de contacts en plus. Et ces 11 millions de contacts, il faut pouvoir les assumer.

Et donc plus bas seront les chiffres au moment des fêtes, moins il y aura de risque à permettre un éventuel élargissement de la bulle. Si on continue à aller dans la bonne direction durant les prochaines semaines, le risque ne va faire que diminuer. Il faut en tout cas que ça continue à diminuer de façon la plus efficace possible.

Si les politiques décident de commencer à déconfiner prochainement et que les chiffres ne diminuent plus aussi vite, ou pire, qu’ils repartent à la hausse, on sera beaucoup plus limités dans les options possibles pour les fêtes de fin d’année.

Que pensez-vous des mesures prises au Québec pour les fêtes (NDLR. Les Québécois sont autorisés à fêter Noël deux fois à dix personnes pendant quatre jours, mais ils doivent observer une quarantaine de 7 jours avant et après les festivités) Est-ce que ça a du sens d’un point de vue épidémiologique ?

Oui. Il y a deux éléments qui augmentent le risque de transmission : d’abord la durée et le type de contact (pour les fêtes de fin d’année, ce seront toujours des contacts rapprochés de longue durée) et ensuite le nombre de contacts.

À partir du moment où les gens s’isolent pendant une période d’incubation (7 jours), on diminue déjà fortement le risque. Ensuite on autorise un certain nombre de contacts pendant quelques jours. Puis on demande aux gens de s’isoler à nouveau pour que ceux qui vont éventuellement développer des symptômes puissent éviter de contaminer d’autres personnes.

C’est une stratégie qui a du sens et qui trouve un équilibre entre un besoin exprimé par la société de fêter les fêtes de fin d’année et une minimisation de l’impact inévitable de ce type de rassemblement. Les fêtes peuvent être des évènements super contaminateurs.

Si l’on est dans un moment de grand contrôle où les gens respectent scrupuleusement les mesures, on peut diminuer le risque, mais si l’on est de nouveau dans une situation incontrôlée, c’est là qu’on va vers les problèmes. Il faut aussi garder en tête que les risques ne s’additionnent pas, ils se multiplient entre eux.

Donner l’impression que tout va bien parce qu’on a réussi à casser la courbe et que, du coup, on peut aller très vite pour déconfiner me semble être fort précipité.

Comment voyez-vous l’arrivée des vaccins ?

Dans les semaines et les mois qui viennent, de plus en plus de personnes vont être vaccinées. On aura de plus en plus d’informations sur l’efficacité que l’on peut attendre de la vaccination. C’est-à-dire de savoir si elle empêche uniquement d’être malade ou si elle empêche également la transmission.

De toute évidence, on est devant une perspective qui est meilleure parce que les résultats des vaccins semblent être bons. Même s’il faut rester prudents puisqu’aujourd’hui on a surtout accès à des communiqués de presse et pas encore à des études scientifiques sur le sujet.

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