Bart De Wever
Bart De Wever en est à son sixième mandat à la tête de la N-VA © BELGA

Cordon sanitaire, fin de la Belgique, « wokisme » : voici ce que pense vraiment Bart De Wever

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Il domine la vie politique depuis vingt ans. Dans six mois, le président de la N-VA pourrait décider de l’avenir de la Belgique. Mais que pense vraiment Bart De Wever?

Homme d’aphorismes, d’adages et de citations latines, Bart De Wever peut-il encore être alors qu’il a déjà bien été. L’éternel président de la N-VA sera, l’an prochain, resté aussi longtemps à la tête de son parti qu’Elio Di Rupo au PS. Vingt ans qu’il donne le ton, en Flandre et en Belgique, que ses petites phrases traumatisent et que ses grandes orientations bouleversent. Aucun politique n’a eu tant de pouvoir dans l’histoire moderne du pays. Aucun Flamand n’a été aussi populaire. Aucune personnalité belge de ce siècle n’a jamais, à travers ses déguisements de panda, de chevalier, de centurion romain, de saint Nicolas, et ses silhouettes successives d’historien mangeur de gaufres et de marathonien buveur de Coca Zero, imposé une marque personnelle si puissante qu’aucune contradiction, aussi grossière fût-elle, n’a jamais semblé l’abîmer.

Même si on ne sait pas ce qu’il veut, même s’il ne fait pas ce qu’il dit, même s’il n’a jamais encore atteint ce qu’il poursuit. Même s’il attend toujours d’avoir un bilan.

Retour sur une vie politique de victime à travers une demi-douzaine de préceptes.

BART DE WEVER DIT TOUJOURS QU’IL VA PARTIR, MAIS IL N’EST TOUJOURS PAS PARTI

La Nieuw-Vlaamse Alliantie est fondée en 2001. Elle hérite d’un parti, la Volksunie, que les politologues disaient «victime de son succès». Elle était née à la fin des années 1950, avait un temps rassemblé tout le mouvement flamand sur une revendication, le fédéralisme. Une fois celui-ci endossé par les autres partis se posait la question de la pertinence, politique et électorale, de la Volksunie. A la fin des années 1990, elle se déchire entre une pincée de progressistes qui finira par lancer le défunt Spirit, et une poignée de conservateurs menés par Geert Bourgeois.

Un référendum interne est organisé, les conservateurs l’emportent, mais pas suffisamment pour pouvoir tout conserver. Ils peuvent garder les locaux, les ressources et le patrimoine de la Volksunie, mais pas son nom. Ils lancent la N-VA. Bart De Wever en est. Il sera vice- président du parti en 2003. Le jeune historien a abandonné la thèse de doctorat qu’il préparait sur le Mouvement flamand après 1945. Il est né dans son sujet. Le père de Bart De Wever était membre de la Volksunie. Il a emmené son fils, à 3 ans, à sa première manifestation, pour la scission de l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde. Bart De Wever a arrêté sa thèse pour s’engager pleinement à la Volksunie, contrairement à son frère aîné, Bruno, docteur après une dissertation sur le Mouvement flamand avant 1945 et aujourd’hui historien à l’UGent. A 23 ans, Bart De Wever est déjà candidat aux élections communales à Anvers, sur une liste commune CVP-VU. Il rassemble 277 voix.

Le parti héritier de la Volksunie inscrit l’indépendance de la Flandre à l’article 1 de ses statuts. C’est le but des De Wever depuis trois générations. La N-VA est également en pointe sur la bonne gouvernance – on dit goed bestuur. Elle se dote d’instruments avancés de démocratie interne. Le cumul des mandats est, pour l’époque, assez rigoureusement limité. L’article 4.2 des statuts stipule qu’on ne peut la présider que durant deux termes de quatre ans consécutifs. La première expérience électorale de la N-VA, aux législatives de 2003, est catastrophique.

Seul le président Geert Bourgeois est élu à la Chambre. Celui-ci négocie alors un cartel avec le CD&V, devient ministre flamand après les élections régionales de 2004. Il entre dans le gouvernement (régional) Leterme, avec qui il a constitué le cartel. Il a sauvé son parti et les siens. Mais il ne peut plus le présider. Son vice-président lui succède, Bart De Wever dont on dit qu’il est son contraire en plus clair, ou son complément en plus frais. Il est d’abord coprésident par intérim, avec Frieda Brepoels, puis président de plein exercice. Il devient un Flamand célèbre, et un épouvantail à Wallons.

Mais il n’a statutairement droit qu’à deux mandats consécutifs. Il termine le premier en mars 2008, alors que le gouvernement (fédéral) Leterme s’installe et que, pour cette raison, le cartel explose, officiellement en septembre 2008. La N-VA est toujours indépendantiste. Elle redevient indépendante.

© ID/Károly Effenberger

Depuis lors, Bart De Wever empile les derniers mandats autant que les dérogations du Conseil du parti.

Il est réélu président de la N-VA en 2011. Il jure que ce sera la dernière fois. On présente Ben Weyts comme son successeur naturel. Puis en 2014. Il assure que c’est sa dernière dérogation. Il en réclame une autre en 2017, c’est promis c’est la der et Sander Loones semble s’imposer en incontournable légataire.

Le 14 novembre 2020, Bart De Wever n’a, comme à toutes les élections précédentes, aucun candidat successeur face à lui lorsque 96,8% des adhérents le reconduisent à la tête du parti, sous dérogation et pour la dernière fois, et avec des successeurs presque garantis, toujours Sander Loones ou parfois Zuhal Demir, ils y sont tous habitués, ça fait quinze ans que ça dure.

Tout comme son envie garantie de changer de carrière. «Je me demande si je vais continuer longtemps à faire de la politique […]. Cette année, j’ai dû lire que j’étais Milosevic, que j’étais Hitler […]. Cette image de monstre qu’on m’a faite, ça me touche», confie-t-il à La Libre Belgique en juillet 2008.

En 2016, son nom est associé à un scandale de promotion immobilière à Anvers. Il laisse couler des larmes et se demande s’il ne doit pas tout quitter parce que son honnêteté est mise en cause. En novembre 2023, au magazine Trends, il avoue qu’il ne croit plus en rien.

On croit lire un énième testament, avant qu’il annonce, deux jours plus tard, réfléchir à lancer des listes en Wallonie. Il va partir depuis des lustres. C’est imminent depuis quinze ans. Quinze ans plus tard, il est encore là dans la pleine lumière de l’éminence.

IL DIT TOUJOURS LE CONTRAIRE DE TOUT

La carrière de Bart De Wever, président de la N-VA depuis vingt ans et jusqu’à quand, bourgmestre d’Anvers depuis 2012 et, il l’espère, au moins jusqu’à 2030, semble témoigner d’une intangible stabilité. Mais la fluidité de ses prises de position est presque proverbiale en Flandre. Et pas uniquement sur l’engagement à un ultime mandat présidentiel.

Cet automne, il a, à deux jours d’écart, successivement:

– donné une interview à nos confrères flamands de Trends pour dire qu’il renonçait à envisager d’encore participer au fédéral: que les Wallons et les mauvais Flamands s’y débrouillent tout seuls!

– donné une interview à nos collègues flamands du Laatste Nieuws pour dire qu’il envisageait de lancer des listes en Wallonie: que les Wallons et les mauvais Flamands ne nous laissent pas tout seuls!

Mais il y a plein d’autres exemples.

Sur la collaboration des flamingants, il a beaucoup changé, Bart De Wever. Il en fut, jeune, un spécialiste si investi qu’il présenta des travaux à des cercles fort engagés, par exemple pour réhabiliter Joris Van Severen, fondateur du mouvement fasciste Verdinaso exécuté en 1940.

Quand il était dans l’opposition à la commune d’Anvers et au fédéral mais toujours dans le cartel CD&V – N-VA, en 2007, il avait estimé «gratuites» les excuses présentées par la Ville d’Anvers pour avoir collaboré à la déportation de Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale.

Le cartel avait failli se casser et le rédacteur en chef d’un magazine communautaire, Michael Freilich, écrivait que la communauté juive devait se faire du souci si Bart De Wever devenait jamais bourgmestre d’Anvers. Et puis, quand il était au pouvoir à la commune d’Anvers et au fédéral, mais plus dans le cartel CD&V – N-VA, en 2015, et il avait estimé les excuses nécessaires, parce que «la collaboration avait été une erreur terrible à tous les niveaux». Aujourd’hui, Michael Freilich est député fédéral N-VA.

Ou sur Jean-Marie Dedecker, il a beaucoup varié, Bart De Wever. Quand Dedecker quitte l’Open VLD en 2006, il devient membre de la N-VA. Mais la N-VA est en cartel avec le CD&V. Le CD&V s’oppose à l’arrivée de Dedecker.

Alors De Wever exclut Dedecker de la N-VA. Et Dedecker fonde la LDD (Libertair, Direct, Democratisch), qui fait un bon résultat aux élections de 2007. Quand la N-VA quitte le cartel avec le CD&V en 2008, Bart De Wever dit qu’une collaboration avec la LDD ne le «tente pas du tout» car «Jean-Marie Dedecker est un poujadiste, ce que je ne suis pas».

En 2019, Jean-Marie Dedecker n’est peut-être plus poujadiste. Il est à coup sûr beaucoup plus tentant, puisqu’il est élu député fédéral sur la liste N-VA en Flandre-Occidentale. Il la poussait comme candidat indépendant. Et Dedecker, en juin 2024, après avoir vainement négocié avec le Vlaams Belang, tirera la liste N-VA en Flandre-Occidentale, comme candidat indépendant toujours. Sans doute plus comme poujadiste pas tentant du tout.

Mais sur les francophones, en revanche, il n’a jamais bougé, Bart De Wever. Les menteurs, ce sont eux tous, tout le contraire de lui seul. «Un Flamand, quand il dit quelque chose, c’est dit. Quand il se déjuge, il a toute la presse et tous les concurrents politiques sur le dos. Un francophone, il dit les choses avec beaucoup d’emphase, avec beaucoup de style, puis il change d’avis, et personne ne se formalise», déclarait-il au Vif, avec emphase et style, en août 2008. Il ne dit pas le contraire aujourd’hui. Sur ça, il n’a pas changé d’avis depuis, et plus personne ne s’en formalise.

IL TROUVE TOUJOURS QU’ON NE L’AIME PAS ASSEZ ALORS QUE PERSONNE N’A JAMAIS ETE AUTANT AIME

Il y avait Leo Tindemans et ses 900 000 voix aux élections européennes de 1979, et il y eut Yves Leterme et ses 796 000 voix au Sénat en 2007. L’un comme l’autre jamais ne parvinrent à faire durer cette popularité, ni à la structurer politiquement.

Et il y a Bart De Wever, qui trouve que tout le monde lui en veut et que les médias lui sont hostiles, qui une fois par semestre depuis quinze ans annonce qu’il pense à quitter la vie politique, qui est invité dans toutes les émissions, y compris celle qui fit son succès, De Slimste Mens ter Wereld (l’homme le plus intelligent du monde), qui récolte 785 000 voix en 2010 au Sénat, qui explose tous ses adversaires dans les baromètres et dans les bureaux de vote et qui s’en sert pour construire le parti dominant du système politique flamand. A Anvers, son taux de pénétration est astronomique. Aux communales de 2018, il amasse 76 000 voix anversoises: plus d’un quart (26,9%) de ses concitoyens ayant déposé un suffrage valable ont voté pour lui. C’est encore mieux que Paul Magnette qui, le même jour, avait été choisi par 22,6% des électeurs carolos.

© National

En Flandre, sa popularité semble éternelle. Depuis une douzaine d’années, plusieurs personnalités flamandes lui ont disputé le titre de favori des sondages.

Aucune n’a duré, en témoignent ses plus récents concurrents, Alexander De Croo et Conner Rousseau. Tous ont fini par lasser, regardez comment la courbe de son rival de jadis, Elio Di Rupo, s’est brisée en Wallonie (voir graphique ci-contre), tandis que la sienne conservait une très louable vigueur en Flandre.

Bart De Wever dure toujours, il n’a pas encore lassé, même si, entre octobre 2018 et mai 2019, il a perdu vingt mille voix de préférence, et que, les sondages n’étant pas bons pour son parti, il risque une moisson plus frugale en juin prochain.

C’est un problème pour lui, et un problème pour son parti, car les succès de la N-VA, plus que d’aucune autre formation, dépendent de ceux de son président de presque toujours.

«L’électorat de la N-VA est le seul qui évoque spontanément “le leader du parti” comme motif de choix électoral. La marque “Bart De Wever” ne semble toujours pas désavantageuse pour la N-VA», observent, dans un tout récent ouvrage (De Breuklijnen voorbij?, Skibris, 2023, 280 p.) consacré aux élections de 2019, les politologues Koen Abts, Cecil Meeusen, Bart Meuleman et Marc Swyngedouw.

Selon les mêmes, en 2010, 26% des électeurs de la N-VA citaient le président comme une raison de leur choix. Cette proportion a baissé en 2014 (à 15%) et en 2019 (à 13,8%), mais elle n’allait, dans les autres partis, jamais au-delà de 1,4%…

Une telle articulation d’une formation à son président pose la question de la survie de celle-là après celui-ci. La N-VA pourra-t-elle exister sans Bart De Wever?

Ou même avec Bart De Wever, mais avec un autre président que Bart De Wever?

Depuis trois générations en tout cas, chaque De Wever a eu son parti. La Volksunie n’a survécu que de très peu au décès du père De Wever. Le grand-père De Wever, VNV jusqu’à la fin de la guerre, vit son parti mourir avant lui.

Les enfants de Bart De Wever, qui a sacrifié déjà une génération de successeurs potentiels, porteront peut-être toujours un flambeau à flamme jaune. On ignore s’il sera siglé N-VA comme celui de papa.

IL EST LA VICTIME DE CEUX QUI SE FONT PASSER POUR DES VICTIMES

En septembre dernier, Bart De Wever a publié chez un éditeur carolo (Kennes) la traduction de son ouvrage Over Woke, en réalité le texte d’une série de conférences, paru en néerlandais au printemps 2023. Ce fut un grand succès de librairie en Flandre. C’est une honorable réussite en Wallonie. C’est un joli vacarme partout.

A cette occasion, Bart De Wever a même donné ses premières interviews à la presse francophone depuis des années.

Ses huit chapitres résument assez remarquablement tout ce que ce genre de littérature, depuis un an ou deux, propose comme on peut le lire absolument partout. Bart De Wever, comme tous ceux qui s’expriment partout sur ce thème dont on n’arrête pas de parler veut, dit-il, «briser le silence» sur cette nouvelle «tyrannie». «Dans les chambres d’écho de la bien-pensance postmoderne, aucune voix dissidente ne se fait plus entendre», déplore bravement l’homme le plus connu, et apprécié, de la population flamande et de ses médias depuis quinze ans.

Une chose, dans le «wokisme», révolte particulièrement le bourgmestre de la plus grande ville de Belgique et le président du plus grand parti du pays: la «nouvelle ségrégation entre les bourreaux et victimes», et c’est d’ailleurs le titre d’un de ses chapitres. Les minorités wokistes se victimisent sans arrêt, et décrivent leurs adversaires comme des bourreaux. «Le statut de victime est toujours tentant lorsqu’on vous le propose, car il décharge d’emblée d’une grande partie de sa responsabilité», écrit-il en page 60, ajoutant que les pires, dans le répertoire des bourreaux du wokisme, étaient les hommes blancs hétéros parlant correctement, habitant un quartier correct, dont les parents sont cultivés, ce que Bart De Wever est incontestablement.

Les wokistes qui se font passer pour des victimes, mais qui ne le sont pas en réalité, sont les bourreaux des privilégiés, qui sont donc les vraies victimes.

Et Bart De Wever se sent bien sûr, en tant que nationaliste flamand, encore plus visé qu’un homme blanc qui ne serait que francophone.

C’est alors que la lutte contre le wokisme rejoint le traditionnel combat flamand. Le groupe majoritaire en Belgique, qui en domine aussi bien les parlements que l’économie, serait en fait opprimé par les Wallons, plus faibles et moins nombreux: le Flamand est à la Belgique ce que l’homme blanc est au monde.

«Un programme politique fondé sur une identité nationale est ridiculisé et criminalisé», fait-il d’ailleurs plaintivement remarquer, toujours en page 60. Bart De Wever ne veut donc pas simplement que la Région dominante gagne son indépendance. Il veut que ça soit la faute des autres.

© National

BART DE WEVER VEUT TOUJOURS DETRUIRE LA BELGIQUE EN SAUVANT LA BELGIQUE

Interrogé sur le canular de la RTBF qui fit croire, dans Bye Bye Belgium, que la Flandre déclarait son indépendance, Bart De Wever trouvait le scénario «trop beau pour être vrai». Il avait accepté d’y participer car «le Flamand nationaliste qu’il est ne lâchera jamais Bruxelles». Et surtout car, lisait-on dans Le Vif du 15 décembre 2006, «la Belgique se dissoudra dans les vingt ans à venir comme un cachet d’aspirine effervescent dans un verre d’eau», pronostiquait-il.

L’époque était celle de la petite N-VA du cartel avec le CD&V et des grosses sorties provocatrices en camions de faux billets d’argent flamand vers l’ascenseur à bateaux de Strépy-Thieu: toute la N-VA n’était qu’une revendication, l’indépendance de la Flandre. Tout l’est toujours.

Mais parce que sa personnalité est charismatique, et parce que son esprit est fin, Bart De Wever parvint à donner une corpulence à ses atouts. La victime flamande de la Belgique francophone est aussi sous la coupe d’un bourreau éco- nomique. Il est socialiste. Il veut s’en prendre à la Vlaamse welvaart (la prospérité flamande).. Elle sera aussi, bientôt, plus tard, aux prises avec un oppresseur culturel. Iel sera woke. Iel veut en découdre avec la Vlaamse identiteit.

Le récit victimaire du nationaliste flamand le plus populaire de Belgique vise ainsi à faire se superposer les clivages communautaire et socioéconomique, puis le communautaire et le culturel/identitaire, plutôt que de devoir subir leur entre- croisement. La Volksunie l’avait déjà vainement tenté, avec son slogan «geen Belgische armoede maar Vlaamse welvaart» (pas de pauvreté belge mais une prospérité flamande) des élections de 1981. Bart De Wever y réussira en évoquant toujours moins cette quête de l’indépendance qui anime le sien depuis au moins trois générations.

C’est l’enseignement que tira Bart De Wever des travaux, qui font référence, de l’historien tchèque Miroslav Hroch, spécialiste des nationalismes qui réussissent. «Pour être couronné de succès, écrit Hroch, le nationalisme ne doit pas voir la nation comme un but. La nation doit être le moyen servant à aborder des thèmes qui toucheront de larges groupes: moins d’impôts, une migration plus contrôlée, etc. Si, en tant que politicien, vous parvenez à bien faire passer ce message en l’étayant, c’est bingo! C’est ce que j’ai toujours visé avec la N-VA: la Flandre en tant que moyen et non en tant que but.»

Les enquêtes postélectorales le prouvent. Les succès de 2010 et 2014 se sont bâtis sur des électeurs attirés par ces enjeux. Et le sauvetage de 2019 s’est caractérisé par l’arrivée d’électeurs de l’Open VLD et du CD&V, qui ont compensé à moitié la déperdition électorale de citoyens focalisés sur la migration vers le Vlaams Belang.

Rien à voir avec l’indépendance, quand bien même cadres et électeurs les plus fidèles de la N-VA y seraient, eux, toujours fort attachés. La Flandre comme moyen et non comme fin, c’est la martingale paradoxale de Bart De Wever. Parce que les Flamands veulent moins d’impôts, moins de migrants et moins de wokisme, il est parvenu à les faire voter pour un parti qui veut la fin de la Belgique alors qu’ils ne veulent pas la fin de la Belgique.

L’invention du confédéralisme, début 2014, a parachevé le travail de superposition des clivages. Car grâce au confédéralisme, le «werkende Vlaming» paiera moins d’impôts, il sera confronté à moins d’immigrés, et il ne verra plus l’ombre d’un.e wokiste.

Et puis, surtout, grâce au confédéralisme, la Belgique survivra. C’est, répète Bart De Wever, la dernière chance de sauver ce pays que pourtant il ne veut pas sauver. Voter pour la N-VA et son programme confédéraliste, alors, serait la meilleure manière d’empêcher la N-VA de réaliser son projet indépendantiste. Il y a de quoi prescrire des paquets d’aspirine effervescente.

BART DE WEVER NE GOUVERNERA JAMAIS AVEC LE VLAAMS BELANG JUSQU’AU JOUR OU IL GOUVERNERA AVEC LE VLAAMS BELANG

Bart De Wever, à la rentrée 2022, en débat à l’UGent avec Tom Van Grieken et les autres présidents de parti flamands, avait dit qu’il ne gouvernerait jamais avec le Vlaams Belang.

Faut-il le croire?

Au début de sa carrière pourtant, surtout du côté francophone, se multipliaient les présomptions d’une distance camarade entre Bart De Wever et le Belang. Il s’était rendu aux funérailles du fondateur du Vlaams Blok, Karel Dillen, en 2007, qui avait lui-même assisté aux funérailles de son père en 1996. Il avait raconté qu’il préférait Filip Dewinter à Philippe de Belgique.

Et puis, les deux partis sont issus du même ancien. Dillen avait fondé le Blok avec d’autres déçus jusqu’au-boutistes de la Volksunie, Bart De Wever avait institué la N-VA avec d’autres jusqu’au-boutistes de la déchue Volksunie.

Enfin, la N-VA s’est toujours opposée au cordon sanitaire. Bart De Wever est contre. Tous ses lieutenants, qui l’ont répété ces dernières semaines, sont contre. Et leurs électeurs tout autant. La grande enquête électorale du Stemtest de la VRT, menée par le politologue Stefaan Walgrave (UAntwerpen), a mis des chiffres sur cette évidence.

Les électeurs de la N-VA sont les seuls, ceux du Belang excepté, a se montrer en moyenne opposés au cordon sanitaire ; 60% sont favorables à l’entrée du Vlaams Belang dans un gouvernement, 16% n’ont pas d’avis et seulement 25% y sont défavorables.

La fois précédente, Bart De Wever avait négocié un accord de majorité flamande avec le Belang. Ils n’avaient pas pu trouver de troisième partenaire.

Ils pourraient ne pas en avoir besoin en juin 2024. Bart De Wever a dit plus jamais une fois. Il ne l’a pas dit toujours. Il irait à l’encontre de ce que veulent ses électeurs et les cadres de son parti. Il irait à l’encontre d’une moitié de Flamands.

Alors? Faut-il le croire cette fois, ou absolument toutes les autres? Faut-il croire qu’il fera toujours le contraire de ce qu’il a une fois dit qu’il ne ferait jamais? Il faudrait, pour ça, croire que Bart De Wever peut être autre chose que ce qu’il a été depuis trois générations.

6 mandats à la présidence de la N-VA pour Bart De Wever.

26% des électeurs de la N-VA citaient Bart De Wever comme une raison de leur choix en 2010 (15% en 2014 et 13,8% en 2019).

60% des électeurs de la N-VA sont favorables à l’entrée du Vlaams Belang dans un gouvernement.

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