Nicolas De Decker

Quand l’antiwokiste crée le wokiste

Nicolas De Decker Journaliste au Vif

C’était prévu. Après les Etats-Unis, puis d’autres pays, une offensive, concomitante mais pas conjointe, de grande importation politique a été lancée en Belgique contre les dangers du «wokisme».

En janvier, le Vlaams Belang tentait déjà de faire voter une motion au parlement flamand contre «la censure woke dans l’enseignement supérieur», puis une note du Centre Jean Gol, le centre d’études du MR, revenait sur «ce nouveau totalitarisme», juste avant la publication par Bart De Wever d’un essai intitulé Over woke. Le wokisme a la cote, donc, mais surtout chez les antiwokistes.

Car s’il est toujours difficile de définir ce «wokisme» autrement que par ce que ses adversaires n’aiment pas, compte tenu de la charge dépréciative que porte le terme, un mouvement antiwokiste, lui, est bien en constitution. Il se structure avec une littérature, avec des manifestes même, qui toujours comparent le wokisme à «une religion», avec des initiatives parlementaires, donc, et avec une réelle consistance politique, qui dépasse la sempiternelle invective – on la trouvait déjà chez les contempteurs de «l’islamo-gauchisme», du «communautarisme» et de la «cancel culture» – posant que les vrais racistes sont parmi les antiracistes et que les vrais sexistes sont à trouver chez les féministes.

Le paradoxe de l’antiwokisme est que ses arguments sont souvent aussi applicables à lui-même qu’aux thèses qu’il combat.

Voire plus.

En effet:

– L’antiwokisme a importé toute sa rhétorique des Etats-Unis, via la France, mais reproche au wokisme d’avoir importé un registre politique des Etats-Unis.

– L’antiwokiste s’inscrit en victime de gens qui selon lui ne cessent de se victimiser et, tout en se sentant agressé jusqu’à l’outrage si un nom de rue va changer quelque part, il leste son opposé wokiste d’une fragilité de pleurnichard offensé.

– L’antiwokisme qualifie le wokisme de totalitarisme et de ruine de notre civilisation et en même temps regrette que le wokisme refuse la nuance.

– L’antiwokiste fait des listes de wokistes qui ne pensent pas comme lui et qu’il accuse de faire des listes d’antiwokistes qui ne pensent pas comme les wokistes.

– L’antiwokisme s’estime toujours censuré par le wokisme, tout en exigeant que le wokisme soit censuré.

– L’antiwokiste se dit toujours dominé par le wokiste, dont il regrette qu’il ne voie le monde qu’à travers une grille de lecture dominants-dominés.

– L’antiwokisme publie plein de livres, donne des interviews et multiplie les éditoriaux dans tous les médias pour déplorer qu’on le fait taire et que le wokisme a rendu l’antiwokisme marginal dans le débat public parce que tous les éditeurs et tous les médias sont wokistes.

– L’antiwokiste veut déconstruire le wokisme qu’il accuse de tout vouloir déconstruire.

– L’antiwokisme se révolte contre le wokisme qui essentialise en enfermant les gens dans des petites cases éternelles et intangibles et puis se révolte contre le wokisme qui favorise la fluidité de genre qui fait sortir les gens de leurs petites cases éternelles et intangibles.

Si bien qu’on distingue, à la fin, l’antiwokisme de son adversaire irréductible en ce que le wokisme est celui qui essaie de dire quelque chose pendant que l’anti-wokisme hurle parce qu’il trouve que l’autre fait trop de bruit.

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