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Skier avec une prothèse: conseillé ou déconseillé ?

La pratique sportive accélère-t-elle l’usure d’une prothèse de genou ou de la hanche ? Augmente-t-elle le risque de voir la prothèse se desceller ? Non, au contraire. Voici pourquoi.

Une carte déjà ancienne, avec la photo d’une femme de 80 ans chaussée de skis, quelque part aux États-Unis, et un message : « Thank you doc. I feel fantastic ». « J’ai vraiment été surpris », se rappelle Johan Bellemans, chirurgien orthopédique (Hôpital du Limbourg-Est, à Genk) qui a déjà une longue carrière de spécialiste du genou derrière lui et jouit d’une excellente réputation chez les sportifs de haut niveau. Il avait placé deux prothèses de genou à cette patiente. « Je me souviens de mon étonnement, car je n’avais jamais vu ça auparavant. Mais c’était donc bien possible, et cela m’a fait réfléchir, m’apprenant que nous ne devions probablement pas être aussi prudents pour nos patients que nous l’avions été jusque-là. »

L’impression de Johan Bellemans s’est renforcée au fil des ans. « Les gens ne suivent pas toujours nos conseils. Souvent, ils font ce qu’ils ont envie de faire, et n’en parlent que lorsque nous les revoyons. Nous avons ainsi entendu de plus en plus de récits de personnes qui recommençaient une vie sportive et, à notre surprise, la majorité des prothèses y résistaient parfaitement. Le sport est ainsi devenu toujours plus acceptable à nos yeux chez les patients opérés, et nous avons donc partiellement adapté nos conseils à cette réalité. »

L’ostéoporose avant tout

Chez de nombreux chirurgiens, une des craintes majeures reste l’accélération de l’usure de la prothèse qu’engendrerait un excès de sport. « Pourtant, il y a actuellement peu de raisons que cela arrive, rassure Johan Bellemans. Auparavant, nous comptions sur une usure du plastique d’environ un millimètre par an. À ce rythme, la prothèse était usée après 15 à 20 ans. Les nouvelles prothèses ne s’usent plus que d’une fraction de millimètre par an. »

Un modèle de prothèse de genou a aujourd’hui été conçu : la FDA américaine l’a approuvé pour une espérance de vie estimée à 40 ans. Ce progrès est rendu possible grâce à du plastique beaucoup plus solide ainsi que des têtes en matériaux à base de céramique comme du zirconium oxydé. « L’usure des prothèses n’est plus le vrai problème, mais bien la qualité de l’os, qui s’use actuellement plus vite que la prothèse. L’ostéoporose affaiblit trop le tissu osseux, qui casse facilement ou résiste mal aux mouvements de cisaillement, qui descellent la prothèse. »

Attendre ne fait qu’empirer les choses

Comme le risque d’usure n’est plus un problème, il n’existe plus de raisons de reporter autant que possible l’intervention, comme trop de chirurgiens le font encore actuellement. « Nous devons prendre l’âge comme critère pour décider d’opérer ou pas, explique le spécialiste. Plus précisément, le seul critère important est l’état du genou. Lorsque l’usure est telle qu’il ne reste plus de cartilage et qu’il y a donc des frottements os contre os, il faut poser une prothèse, même si le patient n’a que 35 ans. Attendre trop longtemps n’est pas une bonne option lorsque la gêne et les plaintes sont importantes. »

L’attente peut même avoir un effet pervers, car les personnes souffrant d’une arthrose sévère vont bouger de moins en moins, ce qui affaiblit plus rapidement leurs muscles. Cette perte musculaire est souvent définitive, et plus sûrement encore chez les personnes âgées, ce qui altère leur qualité de vie pour le restant de leurs jours. De plus, la fonte musculaire accélère l’évolution vers l’ostéoporose, alors que les personnes bénéficiant de muscles costauds ont également, le plus souvent, des os résistants.

Un autre inconvénient de l’attente est que les personnes souffrant d’une arthrose unilatérale surchargent plus leur jambe saine, ce qui conduit régulièrement à des problèmes supplémentaires aux muscles, aux ligaments et aux articulations ainsi qu’à une accélération de l’évolution vers l’arthrose. Chaque année passée à attendre est une année où l’involution va se poursuivre. Le patient devient plus raide, son poids augmente, tandis que son plaisir de vivre diminue. Avec une prothèse, il est plus simple de conserver une bonne qualité de vie, de continuer à faire ce que nous aimons et à ne pas être condamné à l’immobilité et au vieillissement. Elles valent largement leur coût, et l’investissement est rapidement récupéré.

Des frustrations imprévisibles

Tout n’est cependant pas parfait. Johan Bellemans évoque ainsi les 5 à 20 % de patients insatisfaits du bénéfice obtenu par la pose de leur prothèse de genou – une raison supplémentaire de bien réfléchir avant de décider d’opérer. Il s’agit essentiellement de jeunes, car leurs attentes sont supérieures. « Une grand-mère de 80 ans n’a plus beaucoup de projets, mais les trentenaires veulent encore grimper le Mont Ventoux à vélo et courir des marathons. Objectivement, ces jeunes peuvent en faire beaucoup plus que la grand-mère mais subjectivement, c’est tout autre chose. Bien sûr, ils sont très heureux d’être débarrassés de leur problème articulaire et d’être à nouveau mobiles. Il faut trouver un équilibre difficile à obtenir, et cela prend parfois du temps. »

Ce qui contribue également à la déception – bien qu’elle soit généralement temporaire – ce sont les fortes réactions inflammatoires qui peuvent se produire chez les jeunes patients après l’intervention. « Leur système de défense réagit trop fortement, en comparaison avec les personnes plus âgées, et leur revalidation dure également plus longtemps, explique Johan Bellemans. C’est également la raison pour laquelle nous n’hébergeons jamais une personne jeune et une personne âgée dans la même chambre d’hôpital, car nous savons que les jeunes peuvent se sentir rapidement frustrés : leur genou fait mal, il est gonflé et raide, tandis que la grand-mère qui partage leur chambre sort rapidement de son lit, pratiquement en sifflotant, pour se mettre illico à marcher. Cela peut paraître caricatural, mais c’est la réalité. »

Un autre risque important, et dont les médecins préviennent clairement les patients qui souhaitent faire du sport avec une prothèse, est le risque de fracture osseuse dans la zone proche de la prothèse. Cela entraîne alors une réintervention lourde, car il ne reste souvent que trop peu d’os pour une bonne guérison, et il est alors question de placer une méga-prothèse qui remplace l’os. « Attention cependant, car de telles fractures s’observent surtout chez les personnes faibles, avec des os fragiles, qui bougent peu voire plus du tout. Ces incidents s’observent beaucoup moins chez les personnes physiquement très actives et qui ont donc généralement des os beaucoup plus solides. Les raisons ne manquent donc pas de faire bouger plus les patients, car l’activité physique constitue un stimulus très positif pour les os et les muscles. Plus l’os est solide, mieux la prothèse reste en place. »

Conseillé, ou déconseillé ?

Il reste la question du meilleur sport et si certains devraient plutôt être déconseillés. Pour se faire une opinion, de nombreux médecins s’orientent vers les recommandations de l’American Orthopaedic Society for Sports Medicine et la Knee Society. Ces tableaux résumés sont très pratiques à utiliser, mais ils reposent malheureusement trop peu sur de bonnes études de suivi prolongé, et sont de plus en plus dépassés par les résultats des travaux récents.

Ceci dit, selon Johan Bellemans, la période d’interdiction est derrière nous. À ses yeux, très peu de sports restent à déconseiller. Il pense ainsi non seulement aux sports de contact avec des tacles brutaux comme le football et le rugby, qui engendrent un risque élevé de blessures, mais aussi aux sports comprenant de nombreux changements brusques de direction et donc d’importantes forces en torsion. Pour la même raison, le spécialiste déconseille les sports de combat qui impliquent un contact physique. Le judo, par exemple, peut être très mauvais pour les genoux et les hanches. Par contre, le chirurgien n’a aucun souci aves les sports de combat sans contact et qui ne font que simuler les mouvements de combat, comme le karaté.

Johan Bellemans observe déjà une forte évolution dans les esprits, dans le sens d’une meilleure acceptation du sport et de l’activité physique. Mais il a bien conscience du fait qu’il faudra peut-être encore beaucoup de temps avant que tout le monde n’en soit convaincu. Il insiste par ailleurs pour que les conseils s’appuient sur de bonnes études, car la réalité est souvent différente de ce qui est espéré. Ainsi, il y a quelques années, une étude américaine utilisant des capteurs de force dans les prothèses a montré que le ski était un sport excellent pour les personnes porteuses d’une prothèse de genou ou de hanche, alors que ce n’est pas le cas pour le golf. Pratiquement tout le monde penserait le contraire, car le golf est considéré comme un sport calme, presque de promenade, au cours duquel on tape de temps à autre sur une petite balle avec un club. En fait, il est peut-être le pire sport qui soit pour le genou, car sa pratique engendre des forces de traction très importantes. « Ceci dit, je n’ai aucun problème avec le golf, rassure Johan Bellemans. Pour ce qui me concerne, les personnes porteuses d’une prothèse peuvent pratiquer le golf mais elles doivent bien garder à l’esprit les risques et adapter leur mode de jeu. »

Des recommandations générales pour le sport ne sont cependant pas faciles à établir car de nombreux autres facteurs peuvent également intervenir, comme le niveau d’expérience dans un sport donné, la condition générale, le contrôle et la force musculaires, le poids, la tendance aux comportements à risque, etc. Il s’agit donc de bien réfléchir et d’en discuter au cas par cas.

Skier pour améliorer son état articulaire

Contre toute attente, le ski est un sport excellent pour les personnes porteuses d’une prothèse du genou surtout lorsqu’elles sont expérimentées. La position genoux légèrement fléchis oblige la collaboration continue des muscles extenseurs et fléchisseurs, et les irrégularités de la piste exigent des réactions rapides. Ces deux éléments rendent le ski idéal pour renforcer la musculature et contribuent ainsi à la stabilité – si importante – du genou. Une récente étude à grande échelle et réalisée par une équipe autrichienne a montré clairement d’autres effets positifs du ski chez ces personnes. Johan Bellemans trouve donc tout à fait normal d’inclure le ski dans la revalidation. Surtout parce qu’il se pratique dans un environnement magnifique, avec une grande variété de stimuli qu’on ne trouve pas dans une salle habituelle de revalidation.

Les personnes ne sachant pas bien skier doivent cependant commencer par suivre des cours pour apprendre à dominer parfaitement leurs skis, ce qui n’est pas évident avec une prothèse artificielle. Enfin, il va de soi que les prothèses doivent être placées de manière optimale pour que la personne opérée retrouve une sensation quasi normale de stabilité ainsi qu’un bon contrôle.

Par Jan Etienne

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