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Est-il risqué de boire l’eau du robinet ?

Une étude d’impact de la Commission européenne a récemment établi que 22,7 millions d’Européens ont été exposés en 2015 à des risques sanitaires liés à la qualité de l’eau qu’ils boivent. Un demi milliard de personnes dans le monde font face à des pénuries d’eau toute l’année. Retour sur une problématique complexe.

Côté wallon, des acteurs du secteur émettent des doutes sur la méthode utilisée pour l’étude de la Commission, « pas très claire » selon Cédric Prevedello, conseiller technique chez Aquawal, l’Union professionnelle des opérateurs publics du cycle de l’eau potable en Wallonie.

Mais l’étude permet d’attirer l’attention sur la situation wallonne, où le réseau est plus ancien qu’en Flandre et où il y a eu longtemps une tendance à « ne pas consacrer les sommes suffisantes pour entretenir correctement l’infrastructure », selon Benoît Moulin, porte-parole de la Société wallonne des eaux. « Il y a des canalisations du côté de Mons qui datent de la fin du XIXe siècle », précise-t-il.

En matière de conformité avec les standards européens de qualité microbiologique de l’eau de distribution, la commune de Virton, pour la période 2014-2016, ainsi que celle de Vresse-sur-Semois sont à épingler, avec davantage d’analyses détectant un taux non conforme de bactéries présentes, note Le Soir. Virton a une situation particulière, puisque la commune a choisi de ne pas « chlorer l’eau en permanence, pour la distribuer pure à la population », selon les explications de l’échevin Vincent Wauthoz.

Le changement climatique, la goutte de trop pour les réserves d’eau

Cours d’eau bétonnés par des barrages qui n’arrivent plus jusqu’à la mer, nappes aquifères millénaires vidées jusqu’à la dernière goutte, eaux contaminées par diverses pollutions… Les réserves d’eau douce de la planète étaient déjà en péril, avant même que les effets potentiellement dévastateurs du réchauffement ne se fassent sentir.

Le Cap, deuxième ville sud-africaine menacé de ne plus avoir d’eau, n’était pourtant pas sujette à ces problèmes. En 2014, la demi-douzaine de réservoirs qui approvisionnent les 4 millions d’habitants du Cap étaient remplis. Mais après trois ans de sécheresse historique, les réserves d’eau sont au plus bas, et les habitants sont invités à ne pas utiliser plus de 50 litres par jour et par personne.

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Les spécialistes du climat l’avaient prédit. Mais pas si tôt. « Le changement climatique aurait dû nous frapper en 2025 (…). Les services météo d’Afrique du Sud m’ont dit que leurs modèles ne marchaient plus », commentait récemment la responsable de la province du Cap occidental, Helen Zille.

– En sursis –

A l’échelle du globe, la crise de l’eau se profilait depuis des décennies. Le Forum économique mondial classe ainsi tous les ans les « crises de l’eau » parmi les menaces mondiales aux impacts potentiellement les plus graves, devant les catastrophes naturelles, les migrations de masse ou les cyber-attaques. Sur la plaine de l’Indus et du Gange, où vivent quelque 600 millions de personnes en Inde, au Pakistan et au Bangladesh, « l’eau souterraine est pompée à un rythme intenable et terrifiant », constate Graham Cogley, de l’université canadienne de Trent. Et plus de la moitié de l’eau, contaminée par le sel et l’arsenic, est impropre à la consommation et à l’irrigation, selon une récente étude.

Les nappes souterraines fournissent de l’eau potable à au moins la moitié de l’humanité ainsi que 40% de l’eau utilisée pour l’agriculture.

Mais les aquifères ne se remplissent pas aussi facilement qu’un réservoir après une averse: à l’échelle de temps humaine, ils ne sont pas une ressource renouvelable.

La plupart des régions du monde ont ainsi déjà dépassé ce que le climatologue Peter Gleick appelle « pic de l’eau ».

« Les gens vivent dans des lieux où ils utilisent toute l’eau renouvelable, ou encore pire, vivent en sursis en pompant excessivement des eaux souterraines non renouvelables », explique-t-il à l’AFP.

Une surexploitation qui provoque aussi des infiltrations d’eau salée et des effondrements de terrain, faisant s’enfoncer un peu chaque année des dizaines de métropoles comme Jakarta, Mexico ou Tokyo.

« Un demi milliard de personnes dans le monde font face à des pénuries toute l’année », dont plus d’un tiers en Inde, indique de son côté Arjen Hoekstra, de l’université de Twente aux Pays-Bas.

– Un début ? –

Et « le changement climatique s’ajoute à tout ça », met-il en garde.

La planète s’est déjà réchauffée de 1°C depuis l’ère pré-industrielle, et pourrait encore gagner un ou deux degrés. Or, selon les experts du climat de l’ONU (Giec), à chaque degré supplémentaire, environ 7% de la population mondiale perdrait au moins 20% de ses ressources en eau renouvelable.

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D’ici 2030, le monde devra ainsi faire face à un déficit en eau de 40% si rien n’est fait pour contenir le réchauffement. Et dans le même temps, la demande mondiale d’eau devrait s’accroître de 55%, sous la pression des métropoles des pays en développement.

« Avec l’aggravation du changement climatique, les impacts sur les ressources en eau vont s’aggraver aussi », prévient Gleick.

La perspective de canalisations vides hante déjà certaines zones urbaines, comme en Californie qui sort de cinq années de sécheresse ou à Sao Paulo qui est passé tout près de son « Jour Zéro » en 2014-2015.

Et quand le réchauffement se fera encore plus sentir, de larges portions de l’Afrique seront particulièrement vulnérables.

Alors au Cap, le spectre du « Jour Zéro » n’est peut-être qu’un début. « Le risque d’années sèches augmente à mesure qu’on se rapproche de la fin du siècle et les chances d’années pluvieuses baissent », commente Piotr Wolski, hydroclimatologue à l’Université du Cap.

L’eau douce dans le monde: une problématique complexe

La pénurie d’eau dans la ville du Cap en Afrique du sud illustre bien la complexité de la fourniture en eau, ressource toujours plus demandée, et pourtant abondante. Le point.

– De larges ressources inégalement réparties –

« La crise mondiale de l’eau est une crise de gouvernance, bien plus que de disponibilité de la ressource », notait l’ONU en 2015.

La planète, dont 97% de l’eau est salée, est traversée par un flux d’eau douce renouvelable de 42.810 milliards de mètres cubes par an, soit 16.216 litres par personne et par jour, près de quatre fois la consommation des habitants des Etats-Unis, selon des données de la FAO (2016).

En prélevant près de 4.000 milliards de mètres cube d’eau douce en 2014, l’être humain consommait moins d’un dixième des ressources renouvelables à disposition.

Plus d’un quart des ressources renouvelables (qui ne comprennent pas les glaces de l’Antarctique, environ 60% des réserves de la planète) se trouvent en Amérique latine, contre soixante fois moins au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, régions aux ressources par habitant critiques.

– Pénurie et épuisement des sous-sols –

D’après les données de la FAO (2014), 45 pays comme l’Afrique du Sud, Chypre ou le Maroc sont en situation de pénurie (définie par les Nations unies lorsque les ressources sont inférieures à 1.000 mètres cube par habitant par an), dont 29 comme l’Algérie, Israël ou le Qatar en situation de pénurie extrême (moins de 500 mètres cubes).

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Les réserves souterraines, dont dépend un tiers des habitants de la planète, sont menacées d’épuisement, s’alarme l’Onu. 20% d’entre elles sont sur-exploitées.

Des experts s’inquiètent d’une possible disparition, d’ici quelques dizaines d’années, des réserves aquifères dans une partie du bassin du Gange en Inde, dans le sud de l’Espagne et de l’Italie, ou encore dans la vallée centrale de la Californie.

– Les villes en difficulté –

En plus du Cap, des pénuries consécutives à des sécheresses ont par exemple frappé en 2016 Freetown en Sierra Leone, La Paz en Bolivie ou Ouagadougou au Burkina Faso.

Alors que les retraits annuels d’eau douce ont déjà plus que doublé dans le monde entre 1964 et 2014 (dû à la croissance de la population, l’urbanisation et l’industrialisation), la demande dans les villes va encore augmenter de 50% d’ici 2030 selon l’Onu.

En outre, la pollution, le changement climatique et une mauvaise gestion des ressources sont autant d’autres facteurs pesant sur la distribution en eau, note la Banque mondiale.

– Réchauffement climatique –

Le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (Giec) soulignait en 2014 que pour chaque degré celsius de réchauffement climatique, environ 7% de la population mondiale perdrait au moins 20% de ses ressources en eau renouvelable.

Le Giec prévoit des sécheresses plus importantes et plus fréquentes dans les zones déjà arides, réduisant les ressources en eau. Selon les scientifiques, la planète a déjà gagné 1°C depuis l’ère pré-industrielle, tandis que l’accord de Paris vise à contenir la hausse des températures sous 2°C, voire 1,5°C.

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– Gourmande agriculture –

Dans le monde, c’est l’agriculture qui consomme le plus d’eau douce (70% de l’eau prélevée, en majeure partie par l’irrigation), loin devant l’industrie (19%) et l’usage domestique (11%), selon des données de la FAO.

De fortes disparités existent entre les régions: en Asie du Sud l’agriculture (91%) écrase l’usage domestique (7%) et l’industrie (2%), comme au Moyen-Orient et en Afrique du nord (85% pour l’agriculture, 10% pour l’usage domestique, 5% pour l’industrie).

Dans l’Union européenne l’industrie consomme plus de la moitié de l’eau douce (51%) devant l’agriculture (30%) et l’usage domestique (18%), des données proches de l’Amérique du nord (53% industrie, 34% agriculture, 13% usage domestique).

Quelles solutions ? –

Plusieurs pistes sont exploitées dont la désalinisation de l’eau de mer, une gestion plus prudente des ressources souterraines et surtout la réutilisation des eaux usées, dont 80% sont rejetées aujourd’hui sans traitement (ONU).

Le traitement des eaux usées peut alimenter l’irrigation, voire la consommation humaine comme c’est le cas à Windhoek en Namibie, où 35% de l’eau rejetée est traitée pour redevenir potable.

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