Printemps trompeur à Pyongyang

Les échanges commerciaux avec la Chine profitent à une caste privilégiée, et la capitale se transforme. Mais le régime, même avec un nouveau  » leader respecté « , maintient son étau.

Il fait doux sur les rives de la rivière Potong, qui serpente au c£ur de Pyongyang. En ce mois d’avril, le printemps bourgeonne, et les habitants de la capitale nord-coréenne en profitent. Sur les berges, des familles pique- niquent, le plus souvent de viande grillée sur des petits barbecues. D’autres s’adonnent au plaisir d’une promenade en barque. Des enfants font du roller. Des images qui tranchent avec celles que l’on a de ce pays – dynastie familiale, culte de la personnalité, famine, brutale répressionà

Parmi les bâtiments alignés en retrait du cours d’eau, plusieurs sont neufs. Au Soldong Center, pour l’équivalent de 10 euros, les privilégiés peuvent se faire masser, avant d’aller nager dans la piscine aménagée en sous-sol ou se faire coiffer après quelques courses à la boutique à l’entrée. Des jeunes y viennent en voiture après s’être extirpés d’un trafic qui se densifie depuis cinq ou six ans, dans une ville de 3 millions d’habitants en pleine évolution. Construits à deux pas de la place Kim-Il-sung en moins d’un an, des immeubles d’une cinquantaine d’étages aux lignes légères et arrondies veulent illustrer l’émergence d’un nouveau Pyongyang. La tendance s’accompagne d’une floraison de centres commerciaux comme le Potongan, inauguré en 2010. Etrangers et membres de la nomenklatura du régime s’y fournissent en téléviseurs à écran plat Philips, chaussures Nike, produits de beauté, alcoolsà Entre 2008 et 2010, les importations de produits de luxe ont quasi doublé.

Ces changements illustrent l’émergence d’une classe de marchands, apparue avec le développement d’une économie parallèle dans les années 2000, portée par les échanges avec la Chine (+ 62,4 % en 2011) – unique partenaire commercial depuis l’effondrement de l’URSS et l’adoption de sanctions économiques par l’ONU. Les récoltes ont crû de 7,2 % en 2011, mais la majorité de la population souffre toujours des pénuries alimentaires.

N’étaient la forte présence de militaires dans les rues, les portraits et statues omniprésents des dirigeants et les fresques à la gloire du régime, on en oublierait presque que l’on est en Corée du Nord, du moins selon l’image que l’on s’en fait. En réalité, le visage avenant du centre de Pyongyang ne représente qu’une réalité de la République populaire démocratique de Corée (RPDC). Les campagnes souffrent, et la banlieue de la capitale frappe par sa vétusté. Le revenu annuel par habitant est difficile à établir. La Banque de Corée, établissement central sud-coréen, l’estime à 1 073 dollars ; l’ONU, à 504 dollars. La population demeure majoritairement pauvre, malgré d’importantes aides de l’Etat, comme la gratuité du logement.

Sur le plan politique, l’apparente insouciance printanière ne saurait faire oublier la résolution du 22 mars du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, préoccupé par les  » violations constantes des droits de l’homme  » et l' » absence générale de liberté « . Les organisations humanitaires internationales estiment à près de 200 000 le nombre de détenus dans des camps de travail aux conditions de vie  » inhumaines  » (1).

Ce double visage de la Corée du Nord, dont il n’est donné à voir que la face souriante, soulève des interrogations sur l’avenir de la RPDC, désormais sous la direction de Kim Jong-un. Agé de moins de 30 ans et arrivé au pouvoir à la mort de son père, Kim Jong-il, en décembre 2011, il a vu ses attributions renforcées à la faveur du centenaire de son grand-père Kim Il-sung, fondateur du pays, célébré en grande pompe le 15 avril. Désormais baptisé  » leader respecté  » ou  » leader suprême « , le voilà aujourd’hui premier secrétaire du Parti du travail, président de la Commission militaire centrale et premier président de la Commission de défense nationale, considérée comme l’organe suprême de l’Etat depuis l’adoption de la Constitution de 1998.

L’avenir du régime reste flou

Les célébrations du centenaire ont permis de parfaire son image et d’affirmer l’entrée dans une ère inscrite dans la lignée des précédentes. Ponctuées d’une parade militaire, de feux d’artifice et de spectacles à la gloire du  » père de la nation « , elles ont donné lieu à quatre jours de congés. Les fêtes devaient se poursuivre le 25 avril, pour le 80e anniversaire de l’Armée populaire.

Le discours prononcé le 15 avril par Kim Jong-un fut l’occasion pour les Coréens du Nord d’entendre pour la première fois leur nouveau  » leader respecté « . Une rupture, car son père, Kim Jong-il, ne s’exprimait guère en public.  » Le travail sur l’apparence de Kim Jong-un, sa coupe de cheveux et sa mise, observe Narushige Michishita, de l’Institut national des hautes études politiques (Grips), un centre de recherche japonais, montre qu’il y a une volonté d’établir un lien avec Kim Il-sung.  » Plutôt  » impressionné  » par la qualité de la prestation, d’autant qu’il s’exprimait pour la première fois et devant les médias internationaux, l’analyste nippon a décelé dans ce discours quelques signes de changement.  » Il a évoqué l’amélioration du quotidien de la population et la volonté de poursuivre la politique du Songun [ » l’armée en premier « ], slogan de l’ère Kim Jong-il [1994-2011]. Il pourrait s’agir d’un rééquilibrage en faveur du parti, de retour au premier plan depuis le début du processus de succession, en 2010.  » Par ailleurs, les portraits de Marx et de Lénine sur la place Kim-Il-sung ont disparu et ont été remplacés par l’emblème du Parti du travail : la faucille, le marteau et le pinceau. S’il demeure prématuré de parler de suppression définitive, cette mesure refléterait la  » nationalisation  » progressive du régime. La référence marxiste-léniniste avait déjà disparu de la Constitution de 1998.  » C’est une affirmation dynastique, estime Narushige Michishita. Sur le plan idéologique, les néologismes « kim-il-sungisme » et « kim-jong-ilisme » ont fait leur apparition, démontrant que les fondements idéologiques émanent bien des leaders. « 

Enfin, les observateurs ont noté une volonté de transparence. L’échec, le 13 avril, du lancement de la fusée Unha-3 a été admis le jour même :  » Le satellite d’observation de la Terre n’est pas parvenu à entrer en orbite, avait annoncé l’agence officielle KCNA. Les scientifiques, les techniciens et les experts cherchent la cause de cet échec.  » Le signe d’une certaine volonté d’ouverture ? Difficile à dire, d’autant que Kim Jong-un a également insisté sur l’importance du rôle de l’armée, chargée de  » protéger la dignité et la souveraineté « , et évoqué la fin de l’époque  » où l’ennemi nous menaçait et nous faisait chanter avec des armes nucléaires « . En outre, le 23 avril, le régime nord-coréen a soudain attisé l’attention dans la région en menaçant de détruire  » en trois ou quatre minutes  » plusieurs cibles en Corée du Sud.

Au vrai, l’avenir du régime reste flou.  » A court terme, juge Narushige Michishita, Kim Jong-un devrait profiter de ces bons débuts.  » A plus long terme, ajoute-t-il,  » s’il ne parvient pas à remplir son engagement d’améliorer la vie des gens, il pourrait y avoir des manifestations de mécontentement « . De quoi – qui sait ? – fragiliser la dynastie, voire la déstabiliser.

(1) Lire, à ce sujet, le terrifiant témoignage d’un homme né dans un camp de travail, d’où il a réussi à fuir : Rescapé du Camp 14. (Le Vif/L’Express du 20/4, p. 16.)

DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL PHILIPPE MESMER; P. M.

Les importations de produits de luxe ont quasi doublé, mais la population demeure pauvre

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire