Autopsier les bébés

Actuellement, lorsqu’un nourrisson décède de façon inopinée, il faut l’accord de ses parents pour pratiquer une autopsie. Une proposition de loi veut rendre celle-ci systématique. Au nom de la science ou pour aider les familles?

Certains parents savent que le ciel peut leur tomber sur la tête. Robert De Baerdemaeker, président de l’Association pour la prévention de la mort subite du nourrisson, est de ceux-là. « Rien ne laisse présager ce qui va se passer. L’enfant n’est pas malade. Et puis, en quelques instants, il passe de la vie à la mort », raconte-t-il (1).

Chaque année, dans notre pays, un peu moins de 200 enfants décèdent du syndrome dit de la mort subite, la principale cause de décès des nourrissons. Pour les parents, dès la découverte du drame, commencent des minutes, des heures terribles, entre faux espoirs et refus du réel, entre révolte, abattement et incompréhension, entre colère et culpabilité. Et c’est alors que le médecin qui les reçoit devrait leur dire: « Nous aimerions pratiquer une autopsie: acceptez-vous de signer une autorisation le permettant? » Souvent, face à la souffrance des parents, le docteur n’ose pas le leur suggérer. Pour modifier cette donne, une proposition de loi d’Alain Destexhe, sénateur PRL, prévoit qu’en cas de décès inopiné les praticiens auront l’obligation de proposer systématiquement aux parents une autopsie de leur enfant. Le père et la mère conserveraient cependant le droit de s’y opposer.

Actuellement, lorsque survient une mort violente ou suspecte, le procureur du Roi peut déjà ordonner l’autopsie judiciaire d’un enfant. En revanche, lorsqu’un petit de moins de 2 ans décède de façon inopinée, aucune réglementation particulière ne rend obligatoire une autopsie. Considérée alors « à but scientifique », elle est destinée à découvrir les raisons exactes de la mort d’un enfant. En fait, le syndrome de la mort subite ne s’applique qu’aux décès pour lesquels aucune autre cause n’a pu être trouvée. Pour poser ce diagnostic d’exclusion, logiquement, il faut donc procéder à toute une série d’examens. Y compris une autopsie.

« Dans 30 à 50% des cas, elle permet de déceler une cause au décès de l’enfant: maladies infectieuses, malformations congénitales ou cardiaques ou même maltraitance, dans des cas cependant assez rares… », explique le Dr Christian Dugauquier, anatomopathologiste, médecin à l’Institut de pathologie et de génétique de Loverval. En Europe, selon les pays, les taux d’autopsie varient de 10 à 80%. En Belgique, aucune source fiable ne permet d’estimer leur importance. Là où on pratique massivement l’autopsie (la Suède, le Danemark ou la Grande-Bretagne, par exemple), les statistiques de décès pour cause de mort subite sont probablement très proches de la vérité: ces bébés sont morts pour une raison qui reste inconnue dans l’état actuel des connaissances médicales. Ailleurs, médecins et parents ignorent, et pour toujours, si la mort n’avait pas une autre cause.

Pourtant, les médecins qui plaident pour une généralisation de l’autopsie ne mettent pas vraiment en avant la nécessité de disposer de statistiques fiables ou d’une banque de prélèvements permettant de vérifier d’éventuelles hypothèses sur les causes de ce syndrome. Plus que tout, et avant même l’intérêt de la science, ainsi que l’assure le Pr André Kahn, chef de service de pédiatrie à l’hôpital universitaire des enfants Reine Fabiola (Bruxelles) et président de l’Observatoire francophone de la mortalité, ils martèlent que « cet examen constitue surtout un élément essentiel dans l’accompagnement des parents, ainsi que dans leur suivi lors de grossesses ultérieures ». En fait, précise le Pr Devlieger, pédiatre à la KUL, « un deuil prolongé des parents est souvent lié à l’absence d’autopsie et à l’impossibilité des médecins de leur donner les raisons du décès ». L’autopsie serait donc, en priorité, une aide pour les parents.

Cela, pourtant, tous les médecins ne le savent pas. « Le principal frein à l’autopsie des bébés provient des praticiens », déplore le Pr Kahn. A ceux qui sousestiment l’importance de cet examen, s’ajoutent ceux qui n’osent pas en parler aux parents: non convaincus eux-mêmes, ils craignent d’ajouter à leur peine en leur suggérant de procéder à ce qui peut alors être considéré comme une mutilation supplémentaire. D’autres, encore, trouvent indécents de venir leur réclamer une signature pour faire pratiquer cet examen et préfèrent donc s’abstenir.

De fait, « pour les parents, l’autopsie est souvent vécue comme une menace, une agression sur un être dont on ne réalise pas encore qu’il a cessé de vivre », comprend le Dr Jean-Pierre Dercq, inspecteur au ministère de la Santé. Afin d’expliquer le pourquoi d’une autopsie à des parents sidérés, catastrophés, il faut du temps et une prise en charge humaine, dès l’arrivée à l’hôpital. Mais est-ce toujours le cas? Les familles ne sont pas systématiquement dirigées vers les centres de référence, pourtant destinés à de tels cas. Or, dans certains services d’urgence, « on commence parfois par écarter les parents en leur disant: « Une minute, on s’occupe du bébé ». Puis on revient en disant: « Il est mort. Il faudrait une autopsie ». Comment voulez-vous que les parents soient en état de l’accepter? Présenté ainsi, c’est un peu comme si on leur arrachait le coeur », admet le Dr Françoise Ravet, pédiatre à l’Unité du sommeil au CHR La Citadelle, à Liège, et vice-présidente de l’Observatoire francophone de la mortalité du nourrisson.

Lorsque surviennent ces mauvaises prises en charge, il faut des heures, ensuite, à des praticiens plus « concernés », pour regagner la confiance des parents et aborder, à nouveau, le problème de l’autopsie. « Ce point est crucial: nous rencontrons tous des parents à qui on n’a pas proposé de réaliser cet examen ou qui l’ont refusé, faute d’explications suffisantes. Or, ensuite, ils le regrettent. Mais aucun retour en arrière n’est plus possible… », rappellent les pédiatres et les parents touchés par ce drame.

Pour « convaincre », les médecins savent pourtant qu’ils n’ont que peu de temps: l’autopsie doit être pratiquée le plus rapidement possible. Or, rappellent les praticiens, même les centres de référence ne disposent pas de moyens suffisants, y compris en personnel, pour permettre un bon accompagnement des parents. Tous ne peuvent, dès lors, comme le Dr Ravet, « se faire un point d’honneur à accompagner le bébé durant l’autopsie. Ainsi, les parents n’ont pas le sentiment d’abandonner leur bébé à un praticien inconnu. De plus, je peux transmettre les premières informations aux parents et leur éviter le mois d’attente nécessaire à l’obtention de tous les résultats ».

Enfin, les médecins qui proposent une autopsie doivent lutter, parfois, contre la rumeur et les fantasmes. Pour décliner leur offre, on leur parle ainsi d’histoires d’enfants autopsiés rendus à leurs parents dans un état « indescriptible ». Aucun élément, pourtant, ne permet d’étayer ces allégations. Peut-être proviennent-ils de récits, amplifiés et déformés, d’histoires réelles: faute d’avoir parlé de manière explicite d’autopsie, certains parents n’ont pas toujours bien compris que leur enfant allait subir cet examen et non quelques « tests complémentaires ». D’où leur colère lorsqu’ils ont découvert, mais trop tard, ce qui s’était vraiment passé…

« Dans une société où la mort est évacuée, le mot autopsie fait peur et fait naître des peurs, reconnaît le Dr Dugauquier. Pourtant, je vous assure que les anatomopathologistes qui pratiquent cet examen le font dans un grand respect du corps, exactement comme lors d’une intervention chirurgicale. » Après les prises de sang et les radiologies (elles servent à déceler une pneumonie ou des sévices, par exemple), ils pratiquent une incision sur le corps du bébé, ainsi que sur son crâne, d’une oreille à l’autre. « Nous prélevons certains organes afin de les analyser ultérieurement: ils seront ensuite incinérés, poursuit le Dr Dugauquier. Puis l’incision est suturée avec du fil chirurgical. L’enfant est habillé, coiffé d’un bonnet, et rendu à ses parents pour un dernier adieu. »

A ce moment-là, comme l’explique Robert De Baerdemaeker, « ce n’est pas l’autopsie qui a changé le bébé: c’est la mort. J’ignore si, comme l’affirment les spécialistes, cet examen permet vraiment aux parents de mieux traverser leur deuil. Je crois plutôt qu’en acceptant une autopsie, ces derniers tentent surtout de trouver un sens à la mort de leur enfant: tous espèrent qu’on découvrira enfin la ou les causes de ces décès et que l’on pourra, ainsi, en éviter d’autres. Notre priorité, c’est cela. Pour que personne n’ait plus à vivre avec le souvenir d’un enfant qui est parti ainsi. »

(1) Propos tenus lors du symposium organisé au Sénat à l’initiative d’Alain Destexhe.

Pascale Gruber

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