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A la découverte des légendes de Wallonie: le fantôme de Berthe dans les ruines du château

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

La Belgique est terre de contes et de légendes. Leur histoire s’est souvent effacée avec le temps. Pas leurs lieux. Le Vif/L’Express vous y emmène, en six balades fantastico-touristiques.

Pendant six semaines, Le Vif vous emmène à la découverte des contes et légendes de Wallonie. Pour cette dernière escapade, en route vers le Luxembourg. Les murs hantés de La Roche-en-Ardenne narrent de chevaleresques histoires romantiques, dans une contrée majestueuse arrosée par l’une des plus belles rivières du pays. Profitez-en pour vous balader dans la région, Le Vif vous propose ses bons plans pour manger, boire et dormir.

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Chaque été, une fois la nuit tombée, on ne peut le rater. Dans son drapé laiteux translucide, coiffé d’un hennin dont la pointe frôle le ciel noir, le fantôme de Berthe glisse mélancoliquement le long des remparts écornés du château féodal. Même lors des soirées les plus chaudes du mois d’août, un frisson parcourt la foule des touristes allongeant le cou pour mieux voir l’apparition de celle qui s’est écrasée du haut du donjon sur les bords de l’Ourthe. Certains l’entendraient même gémir…

Selon la légende, le comte de La Roche, avancé en âge, cherchait à marier son unique héritière de 17 ans, Berthe. Il avait lancé un grand tournoi dont le vainqueur obtiendrait la main de la superbe jouvencelle blonde aux yeux bleus. La nouvelle s’étant vite répandue dans les domaines alentours, le comte Waleran de Montaigu se présenta le premier. Peu auparavant, il était tombé éperdument amoureux de Berthe qu’il avait sauvée d’une monture trop ardente lors d’une escapade dans les bois sur les hauteurs de La Roche (aujourd’hui lieu de belles randonnées). Ce chevalier, bâti comme une tour de garde imprenable, n’avait jusque-là jamais été désarçonné par un adversaire. Le colosse en armure attendit toute la journée, mais sa réputation fit qu’aucun autre prétendant ne se présenta pour l’affronter sur la lice.

Un mystérieux « syndicat des désincarnés » demande au fantôme d’annoncer « ses jours et heures de sorties pour que les parents d’enfants sensibles puissent prendre toute mesure utile »

Le soleil écrasant l’horizon du pré au bord de l’Ourthe où s’étaient réunis les seigneurs de la région (la légende ne précise pas le lieu exact), Waleran allait être proclamé vainqueur lorsqu’un frêle cavalier tout en noir, de l’armure jusqu’à la plume de son heaume, déboula sur une monture sobrement harnachée. Montaigu sourit avec dédain. Il n’allait en faire qu’une bouchée. Mais le petit cavalier se révéla fort agile, parant les coups, les uns après les autres. Surpris, puis énervé, Montaigu frappa de plus en plus fort. En vain. Il prit tout son élan pour transpercer de son épée son nerveux concurrent, le rata, perdit l’équilibre. Le cavalier noir en profita pour le frapper en pleine poitrine, ce qui le fit chuter. Waleran était vaincu.

Le champion inattendu put rejoindre, le soir même, la chambre nuptiale (située dans l’ancien donjon) qui, à minuit, résonna d’un cri effroyable. Le comte de La Roche se précipita, trouva la pièce vide et la fenêtre grande ouverte d’où il aperçut, avec horreur, deux corps en contrebas du donjon, un blanc et un noir. Celui de sa fille Berthe et celui du cavalier qui n’était autre que la comtesse Alix de Salm que, bien avant le tournoi, Montaigu avait promis d’épouser. Pour pouvoir se venger, l’éconduite avait pactisé avec le diable, une nuit de pleine lune. Après avoir humilié le chevalier, elle a poignardé sa rivale avant de la pousser dans l’abîme et de se jeter à sa suite pour respecter son pacte.

Jérôme Pimpurniaux, qui a mis par écrit la légende de Berthe, était le pseudonyme d'Adolphe Borgnet, historien à l'université de Liège.
Jérôme Pimpurniaux, qui a mis par écrit la légende de Berthe, était le pseudonyme d’Adolphe Borgnet, historien à l’université de Liège.

Epoque romantique

On ne sait ni comment est née la légende, ni si elle correspond à une quelconque histoire vraie. Sa première trace écrite remonte au début de XIXe siècle, lorsque l’écrivain namurois Jérôme Pimpurniaux relate la tragédie de Berthe dans son Guide du voyageur en Ardenne ou excursions d’un touriste belge en Belgique. A l’époque, dans les récits de voyageurs, l’Ardenne est considérée comme la « Sibérie belge » : une terre hostile, peuplée de gens rustres. On est alors en plein dans la période romantique dont on retrouve tous les ingrédients dans la fable rochoise : la vie de château redécouverte, la princesse à marier, le prétendant chevalier, le tournoi décisif, le pacte démoniaque à la pleine lune…

Le fantôme de Berthe est apparu plus tard que la légende, à la faveur d’une plaisanterie d’un coiffeur.

« La plupart des légendes ardennaises datent du XIXe, explique Jean-Michel Bodelet, historien à La Roche-en-Ardenne. L’un des plus célèbres raconteurs de ces légendes était l’écrivain romantique Marcellin La Garde qui a imaginé nombre d’entre elles en laissant croire qu’elles provenaient de la tradition orale. « Est-ce aussi le cas de la légende de Berthe ? » Probablement, affirme Bodelet. On y décèle tous les poncifs de la période féodale. C’était d’ailleurs le grand mérite de ces auteurs romantiques qui sont parvenus à rendre ces histoires si populaires qu’elles font partie du patrimoine ardennais.  »

Le doute est néanmoins entretenu par l’immixtion d’ingrédients historiques. Trois comtes de La Roche ont réellement résidé dans le château au XIIe siècle. Quant aux comtes de Montaigu, d’ascendance normande, ils ont bien existé. Leur château, détruit au XVe siècle par le duc de Brabant et dont il ne reste rien, se situait à quelques galops de La Roche, sur les Hauts de Marcourt, près de l’Ermitage Saint-Thibaut, un site historique et très beau point de vue panoramique. Si Waleran est inconnu, Conon de Montaigu a participé aux croisades aux côtés de Godefroid de Bouillon. Marie de Salm est sans doute imaginaire mais son nom correspond à la proche région de Vielsalm. Enfin, le prénom Berthe était répandu à l’époque : c’était même celui de la mère de Charlemagne. Trop parfait pour être vrai…

La blague du coiffeur

Et le fantôme ? Il apparaît plus tard, à la faveur d’une plaisanterie d’un coiffeur dont l’échoppe se trouve rue Trou Bourbon, aux pieds du château. Un soir de juin 1951. Jean Therer a lu, au-dessus de l’épaule d’une cliente qui feuilletait un magazine, un article sur le goût qu’ont les Anglais pour les fantômes. Trouvant l’idée cocasse, il s’affuble d’une cape blanche de coiffeur et d’un hennin de carton avant de grimper jusqu’aux remparts, à l’aide d’une corde descendant dans son jardin, pour jouer au fantôme. Il faut s’imaginer, sur place, les risques qu’il prenait…

Therer fait le « buzz » et réitère son forfait les soirs suivants. Un fantôme dans les ruines du château ! Au début, des habitants, effrayés, font la garde, chaque soir, devant l’entrée du château et menacent de sortir leur fusil de chasse. L’Echo de La Roche publie alors un communiqué, signé par un mystérieux « syndicat des désincarnés », demandant au fantôme d’annoncer « ses jours et heures de sorties pour que les parents d’enfants sensibles puissent prendre toute mesure utile ». La farce est ainsi officialisée et finit par plaire à tous. Il faut dire que les souvenirs de la Seconde Guerre mondiale sont encore vifs. Les Rochois, dont la ville a été rasée lors de l’offensive des Ardennes (seul le château en ruines a été épargné), ont besoin de s’amuser.

De nombreux curieux débarquent alors dans la cité bordant l’Ourthe, pour le plus grand bénéfice des restaurateurs et des hôteliers. Le coiffeur finit par engager un « fantôme officiel », un étudiant rochois habitant également au pied de l’édifice, rue de l’Eglise, et qui reçoit vingt francs par apparition, lui-même se contentant désormais d’une sortie le 21 juillet. A l’époque, la priorité était de relancer l’économie et le tourisme. Le syndicat d’initiative saisit l’opportunité pour créer un spectacle de son et lumière autour de l’apparition spectrale, qui se professionnalise rapidement et attire radio, télévision et presse étrangère.

Le fantôme est ainsi devenu l’emblème de la ville ardennaise, se déclinant sous toutes les formes : logos, tee-shirts, bières, péket, saucissons… et même « le trail des fantômes » (jusqu’au 16 août). Ses apparitions jouissent d’une nouvelle sonorisation et sont ponctuées, le week-end, d’un feu d’artifice qui a été plusieurs fois annulé cette année.

Nouveauté de l’été 2020 : le fantôme de Berthe a désormais un don d’ubiquité. On peut l’apercevoir depuis la place de Bronze et depuis le quai de l’Ourthe et la rue du Chalet. Vraiment impossible de le rater…

Y boire et manger

  • La Maison Bouillon et fils : une valeur sûre. Un lieu légendaire de la gastronomie rochoise, avec ses délicieuses cochonnailles ardennaises dont le fumet ravit nos naseaux avant même d’entrer dans l’établissement. On peut déguster sur place. Adresse : 9, place du Marché, à La Roche.
  • Signé Jeanne : enseigne réputée à La Roche, lancée en 2013 par la boucherie Baltus (et son saucisson de bison). Le restaurant est spécialisé dans les viandes maturées. Adresse : 17, place du Bronze, à la Roche.

Y découvrir

  • Le Castel : hanté par Berthe, le château médiéval surplombant l’Ourthe, édifié entre le xie et le xiie siècle sur des dalles de schiste local et qui valut le titre de ville à La Roche dès le xive, reste un incontournable, même si ses murs ont souffert au cours de l’histoire, mais il est pris d’assaut en saison touristique. En ces temps de coronavirus, les visites guidées sont suspendues et, pour les visites libres, il est indispensable de réserver en ligne ou par téléphone. Tél. : 084 41 13 42. chateaudelaroche.be
  • Le Belvédère : le panorama sur le château et la vallée de l’Ourthe est exceptionnel depuis ce kiosque perché auquel on accède soit via un sentier grimpant depuis la ville, soit en se garant au Parc à gibier (il faut alors s’enfoncer dans l’arbo- retum en face du parking et suivre, sur près de deux kilomètres, les flèches pas toujours très visibles…). Pour ceux qui ne craignent pas de se perdre dans le noir, il est également intéressant d’admirer le son et lumière depuis ce poste d’observation. Adresse : 4, rue Sainte-Marguerite, à La Roche.
  • Les Blancs Cailloux : à 12 km de la ville, vers Ortho, sur un plateau champêtre, les cailloux de Mousny, gros blocs de quartz blanc, sont une rareté géologique. On raconte qu’il s’agit des moutons pétrifiés d’un berger qui a refusé de donner de l’eau à un étranger assoiffé, lequel n’était autre qu’une apparition de Jésus que le manque de charité du pasteur a fâché. La balade n’est guère longue, mais l’endroit est calme et magique. Tout proche de l’auberge des Blancs cailloux, qui offre le gîte et le couvert. Adresse : Site des Blancs Cailloux, à Mousny.
  • Le Lithérer : parmi les magasins touristiques, le Lithérer est notre coup de coeur. Il ne faut pas se fier à l’étiquette  » librairie- papeterie « . On y trouve certes des magazines, des cartes postales, des souvenirs très kitchs, des pipes et toutes sortes de gadgets, mais aussi et surtout à manger et à boire. Entre autres : un joli choix de bières wallonnes (et leurs verres, celui d’Orval aussi ! ) dont la blonde wallo-flamande alliant La Roche et Gant. Adresse : 14, place du Bronze, à La Roche.
Les Blancs Cailloux de Mousny, une rareté géologique.
Les Blancs Cailloux de Mousny, une rareté géologique.© Thierry Denoël

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