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« La Belgique compte de plus en plus d’incroyants » (analyse)

Ludivine Ponciau
Ludivine Ponciau Journaliste au Vif

Ce mercredi sort l’ouvrage Histoire de l’athéisme en Belgique, qui aborde (entre autres) ce constat : il y a, dans notre pays, de moins en moins de croyants mais de plus en plus d’athées. Anne Morelli, professeure d’histoire à l’ULB, décrypte ce phénomène de la crise de foi.

C’est écrit noir sur blanc dans un rapport publié en 2019 par Humanists International, une organisation regroupant les associations humanistes et laïques : avec les Pays-Bas et Taïwan, la Belgique fait partie des pays les plus accueillants au monde pour les athées et les libres penseurs. C’est donc chez nous que les non-croyants seraient les moins discriminés et les mieux protégés. Un constat rassurant pour tous ceux qui ne croient en aucun dieu ou qui se sont détournés de la religion.

D’autant qu’ils sont de plus en plus nombreux. En 2018, un baromètre commandé par la Commission européenne avait évalué à 57,1 % la proportion de catholiques dans la population belge, à 20,2 % celle d’agnostiques et à 9,1% celle d’athées.

Une étude tout aussi récente menée par l’anthropologue Olivier Servais (UCLouvain) à la demande du magazine chrétien L’Appel confirme que le catholicisme reste l’identité confessionnelle la plus répandue (37 %), surtout parmi les 65 ans et plus, mais la proportion d’agnostiques et d’athées est presque aussi importante (35 %). Détail intéressant : la moitié des jeunes de moins de 25 ans disent appartenir à cette seconde catégorie.

Pour Anne Morelli, professeure d’histoire à l’ULB, spécialisée dans les religions et qui signe un chapitre de l’ouvrage Histoire de l’athéisme en Belgique (1), paru ce mercredi 20 octobre, on observe effectivement un important recul de la religion et une montée de l’athéisme en l’espace d’une seule génération. Mettre un chiffre précis sur l’ampleur de cette crise de foi est impossible étant donné que le recensement religieux est proscrit par la Constitution mais une chose est certaine, affirme-t-elle, la Belgique compte de plus en plus d’incroyants. « C’est un phénomène en pleine expansion auquel on n’a pas vraiment prêté attention jusqu’ici. D’ailleurs on constate qu’on ne donne encore la parole qu’aux croyants. Les athées, eux, on ne les entend pas. » Un frange de la population qui est restée dans l’ombre jusqu’à la création en 2012 de l’Association belge des athées (ABA, qui édite l’ouvrage). Un organe qui s’inscrit, précise Anne Morelli, dans un mouvement laïc qui propose un projet de société différent – en prônant notamment la séparation des pouvoirs -, ce qui est encore différent de l’athéisme.

Aujourd’hui, les athées peuvent donc exprimer plus librement leur conviction mais cela n’a pas toujours été le cas, rappelle l’historienne. « Dans la première moitié du XIXe siècle, personne ne se déclarait athée. Ce n’est que depuis Darwin qu’on ose exprimer cette position. Au XVIe ou au XVIIe siècle, les gens qui se disaient indifférents à la religion risquaient la mort. On sait par exemple qu’en 1546, une personne a été exécutée sur la place de Tournai pour ce motif. Dans notre pays, ces persécutions ont disparu mais ce n’est pas forcément le cas partout dans le monde. Dans certaines régions, la religion reste aussi un pilier : aux Etats-Unis, par exemple, beaucoup d’électeurs disent clairement qu’ils ne voudraient pas d’un président athée. Cette idée est encore trop sulfureuse. Mais, même aux Etats-Unis, le nombre d’athées augmente. »

En France, la religiosité en net déclin

En l’absence de recensement officiel sur la religion des Belges, le lien entre croyance religieuse et orientation politique est difficile à établir. En France, la situation est un peu plus claire. Un récent sondage de l’Ifop (Institut français d’opinion publique), indique que la religiosité est en net déclin, sauf chez les électeurs les plus âgés et qui votent le plus à droite ainsi que, surprise, chez les plus jeunes. Près de la moitié des 18-30 ans se disent croyants. Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, 66 % des Français affirmaient croire en Dieu. En 2004, ils n’étaient plus que 55 %. Cette année, la barre symbolique a été franchie puisque les non-croyants (athées ou agnostiques) représentent 51 % de la population de l’Hexagone.

Ce qui, par contre, a toujours été plus évident en Belgique, c’est le positionnement de certaines institutions, dont le milieu académique. «  L’ULB a toujours été considérée comme un nid d’incroyants« , retrace Anne Morelli. « Mais seulement à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle. Jusque-là, elle était juste anticléricale, puis l’athéisme a fait son chemin. Côté flamand, c’est l’université de Gand qui a été un moteur de réflexion débouchant sur l’athéisme. Là aussi, ça n’a pas été évident : pendant longtemps, cette minorité a été mise au ban. Comme l’ULB, l’université de Gand est toujours considérée aujourd’hui comme une université d’incroyants alors qu’elle n’est plus du tout un point de ralliement. Et la plupart des professeurs qui y enseignent et qui sont athées n’en font pas état ».

De la même manière, les universités catholiques tendent à devenir plus pluralistes. « Ce qui importe avant tout pour nos universités actuellement, c’est que leurs professeurs soient de bons spécialistes. L’aspect religieux est encore présent mais ce n’est plus une condition sine qua non pour y étudier ou y enseigner. On compte d’ailleurs quelques athées notoires à l’UCLouvain. » La religion catholique garde par contre toute sa vigueur dans le milieu hospitalier, l’enseignement primaire et secondaire, nuance l’historienne.

A côté de cette sécularisation observée dans certaines institutions, on assiste aussi à la progression d’un « athéisme pratique », qui consiste à mener une vie indifférente à toute religion. Les récents scandales qui ont ébranlé l’Eglise catholique ne devraient faire que renforcer cette distanciation. « Les prises de position de l’Eglise sur des questions telles que le remariage ou l’IVG ont déjà éloigné un bon nombre de catholiques. Ils ne sont pas devenus athées mais ils se sont détachés de l’Eglise ou se rendent compte qu’ils ne croient plus en grand-chose. Les affaires de pédophilie ou le scandale des enfants morts dans les orphelinats catholiques ont certainement été un choc pour beaucoup de croyants. Je pense qu’il y aura vraiment un avant et un après. En Irlande, on voit déjà que le nombre d’athées grimpe en flèche. Les fidèles se sentent grugés. »

Mais qu’on ne s’y trompe pas : la crise de foi que l’on observe actuellement n’est pas le reflet d’une perte de valeurs morales ou le signe d’un individualisme grandissant dans nos sociétés. « Les qualités humaines ne sont pas liées à une quelconque transcendance. On le voit notamment avec les jeunes qui manifestent pour le climat. Ils affirment leurs valeurs sans forcément se référer à l’encyclique du pape ». Pour les voir à nouveau franchir les portes de ses lieux de culte, l’Eglise n’aura probablement pas d’autre choix que de se moderniser et de s’ouvrir davantage à un monde en pleine mutation.

Histoire de l’athéisme en Belgique, sous la direction de Patrice Dartevelle et Christoph De Spiegeleer, éd. ABA, 320 p.

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