La pratique dominicale régulière s'est effondrée depuis les années 1960 et les mesures liées à la crise sanitaire risquent elles-mêmes d'avoir des répercussions sur les habitudes des fidèles. © belga image

« On s’imagine que nos croyances sont éternelles »

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Peut-on faire un parallèle entre l’effondrement actuel du catholicisme en Europe et la disparition des cultes antiques? La question se pose en filigrane de Quand une religion se termine…, ouvrage qui rassemble les contributions d’une douzaine d’historiens.

Toutes les religions, comme les civilisations, sont mortelles. Ce message interpellant traverse l’ouvrage collectif Quand une religion se termine… (1). Une douzaine d’historiens d’universités belges francophones, flamandes et françaises y traitent des facteurs politiques et sociaux du déclin des religions, depuis la disparition des cultes antiques mésopotamiens, égyptiens, perses et gréco-romains jusqu’à l’effondrement du catholicisme en Europe, qui s’opère sous nos yeux. De nombreux chercheurs se sont penchés sur la naissance des religions. Mais rares sont ceux qui se sont interrogés sur ce qui se passe quand une religion disparaît. Que deviennent ses temples, ses prêtres, ses textes sacrés, voire sa langue?

Une religion naît, grandit et meurt comme d’autres phénomènes collectifs humains. »

Anne Morelli, historienne (ULB)

Les cultes d’Isis, de Cybèle ou de Mithra, très populaires dans l’Antiquité, n’existent plus. Est-il concevable que le christianisme ou la religion musulmane puissent, eux aussi, finir par disparaître? « Chacun s’imagine que ses propres croyances sont éternelles », répond Anne Morelli (ULB), qui a coordonné le livre avec son confrère de la VUB Jeffrey Tyssens. « Pourtant, une religion naît, grandit et meurt comme d’autres phénomènes collectifs humains. Le christianisme a deux mille ans et l’islam quatorze siècles, c’est peu au regard de l’histoire de l’humanité. »

Le culte de Mithra s'est propagé dans tout l'Empire romain avant d'être éradiqué à la fin du IVe siècle.
Le culte de Mithra s’est propagé dans tout l’Empire romain avant d’être éradiqué à la fin du IVe siècle.© belga image

Les dieux ont quitté l’égypte

Les historiens nous éclairent sur les causes de la disparition des religions. L’ antique religion polythéiste de la Mésopotamie a imprégné les sociétés du « Pays des deux fleuves » du IVe millénaire av. J.-C. au début de notre ère, avant de s’éclipser complètement. « La disparition de l’écriture cunéiforme a pu jouer un rôle dans ce déclin », note Aline Distexhe, spécialiste des dieux assyriens (ULB). De même, les pratiques et croyances de l’Egypte ancienne ont été omniprésentes dans la vie des habitants de la vallée du Nil pendant cinq millénaires, avant de disparaître avec la christianisation progressive du pays. « Il semble très délicat d’en attribuer la cause à une dépression, à un malaise interne qui aurait mené à une conversion inévitable », remarque Michèle Broze, spécialiste de la religion traditionnelle égyptienne, elle aussi de l’ULB.

Autre cas de figure, le culte de Mithra, divinité indo-iranienne vénérée en Perse, s’est propagé dans tout l’Empire romain à partir de la seconde moitié du Ier siècle de notre ère, a atteint son apogée au IIIe siècle, avant d’être éradiqué à la fin du siècle suivant. Tous ses édifices ont été détruits par les chrétiens, pour qui ce culte monothéiste à mystères faisait concurrence au christianisme, devenu la religion officielle et unique de l’Empire. On sait moins que l’athéisme lui-même, que les historiens font naître à l’époque des Lumières et de la Révolution française, est en réalité la renaissance d’un courant de pensée antique qui s’est éteint avec le triomphe du christianisme. A Athènes, Théodore de Cyrène, philosophe des IVe et IIIe siècles avant notre ère, niait ouvertement l’existence des dieux. « C’est le dernier représentant radical de l’athéisme antique », signale l’historien Alexander Meert (VUB et UGent). « Les non-croyances, comme les religions, ne sont pas éternelles », constate Anne Morelli.

Un monde « furieusement religieux »

Le débat sur la fin ou non des religions et la sécularisation de la société n’a pas fini de rebondir. « Une civilisation à dominante agnostique est une première au niveau de l’histoire », signale le chroniqueur jésuite belge Charles Delhez, paraphrasant l’historien français Jean Delumeau. Pour autant, le monde d’aujourd’hui est, à quelques exceptions près, plus « furieusement religieux » que jamais, constatait le sociologue et théologien austro-américain Peter Berger.

Églises reconverties

Trois chapitres du livre sont consacrés à l’effondrement actuel du christianisme en Europe, qui ne structure plus la société. « Les questions qui se sont posées aux responsables et adeptes des cultes antiques sont celles qui secouent aujourd’hui l’Eglise catholique », assure l’historienne. Quel avenir pour son clergé, dont la moyenne d’âge est de plus en plus élevée? Comment sont compris ses textes et son credo, fruit de controverses théologiques d’un autre âge? Que vont devenir ses lieux de culte désertés? Des églises et couvents désacralisés ont été reconvertis en hôtels, homes, lieux d’expositions, centres commerciaux… « Il y a trente ans, l’Eglise de Belgique estimait que la désaffection de ses édifices n’était « pas un problème majeur », relève la spécialiste. Elle n’imaginait pas qu’elle assisterait un jour à des réutilisations de lieux de culte pour des projets parfois très éloignés de leur vocation initiale. »

L’idée que les religions pratiquées aujourd’hui seront un jour périmées est très dérangeante pour nombre de nos concitoyens.

Certes, des catholiques continuent à vivre leur foi, s’engagent dans des organisations et initiatives diverses. Des paroisses belges comptent de nombreux bénévoles, actifs notamment dans le service aux déshérités. Mais la pratique dominicale régulière s’est effondrée depuis les années 1960. Les églises se vident et la crise sanitaire risque elle-même d’avoir des répercussions sur les habitudes des fidèles. Les entrées au séminaire sont de plus en plus rares. Le nombre de vocations et ordinations est très insuffisant pour remplacer les curés qui partent à la retraite et ceux qui meurent. La « résistance » d’une nouvelle génération de prêtres conservateurs, qui affichent avec ostentation leur foi, portent le col romain, voire la soutane pour les plus intégristes, ne traduit pas un regain global de la pratique religieuse, mais un repli identitaire.

Anne Morelli
Anne Morelli© h. kaghat

Rejet des dogmes

Plus significatif encore: une majorité écrasante de ceux qui se disent catholiques n’adhère plus, selon les enquêtes d’opinion, aux fondements de la doctrine de l’Eglise: la vie dans l’au-delà, la virginité de la mère de Jésus préservée même après l’accouchement, la présence réelle du Christ dans l’eucharistie, la résurrection du fils de Dieu et sa montée au ciel où il est assis à la droite du Père… « Lieux de culte désertés, crise des vocations, rejet des dogmes…: autant de signes révélateurs du déclin inexorable de la religion catholique en Europe », estime Anne Morelli (qui se déclare « athée élevée dans la tradition catholique »). « L’idée que les religions pratiquées aujourd’hui seront un jour périmées est, je le concède, très dérangeante pour nombre de nos concitoyens. »

De « divines surprises » réservées aux cathos?

Chroniqueur et bloggeur, l’abbé Eric de Beukelaer réagit au contenu du livre Quand une religion se termine…: « Des auteurs évoquent la fin du catholicisme en Europe. Un type de catholicisme, certes. Mais « le » catholicisme? Si la religion n’était qu’un phénomène humain, sans doute. Mais si, comme je le crois, l’Esprit souffle pour inspirer au peuple des baptisés des chemins de renaissance, de « divines surprises » nous sont réservées et ce constat sera à ranger au rayon des fausses prédictions, voire du wishful thinking. »

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