Présidentielle américaine 2020 - Joe Biden assure que les Etats-Unis sont "prêts à guider le monde" © belga

Marco Martiniello: « Joe Biden construit une équipe qui ressemble à la population américaine »

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Marco Martiniello est directeur du Centre d’études de l’ethnicité et des migrations (Cedem) de l’ULiège et nous explique en quoi la présidence de Joe Biden va changer dans la relation entre Américains.

Le mouvement Black Lives Matter, qui a joué un rôle dans l’élection de Joe Biden, a été créé en 2013 sous le deuxième mandat de Barack Obama. Quelle évolution a-t-il connu en 2020 sous Donald Trump?

On peut évoquer plusieurs points. Avec l’élection de Donald Trump, c’est une certaine Amérique blanche qui a accédé au pouvoir. Le président républicain a renforcé des mouvements d’extrême droite qui s’étaient déjà mobilisés sous Obama mais qui n’avaient aucune légitimité. Certains de leurs leaders, pensez à Steve Banon nommé conseiller stratégique, ont même intégré le cabinet présidentiel. Cela a provoqué un électrochoc.

Le mouvement #MeToo, qui ne concerne pas les questions raciales, a été aussi important parce qu’il a installé de nouvelles formes de protestation dans l’espace public. Et on a assisté à une transnationalisation du mouvement Black Lives Matter qui n’avait pas été opérée à l’époque d’Obama: des manifestations taguées BLM ont eu lieu dans beaucoup de villes en Europe et ailleurs. Cela a eu un effet retour et a apporté une autre dynamique. Le Black Lives Matter actuel est sorti des foyers traditionnels de contestation, les grandes métropoles avec une importante population noire. Le fait que George Floyd ait été tué dans une ville, Minneapolis, qui n’a pas été historiquement à l’avant-plan de la mobilisation pour les droits civiques, a été symbolique. BLM s’est aussi propagé dans des petites villes, dans des Etats de l’Amérique profonde comme le Wyoming. Et il s’est de plus en plus ouvert à d’autres catégories de la population. Dans nombre de manifestations, la majorité des participants n’étaient pas des personnes noires. Cela signifie qu’il y a là une nouvelle conscience du fait que l’on parle d’une question qui devrait intéresser tous les Américains, quels que soient leur niveau socio-économique et leur couleur de peau. Il y a peut-être une nouvelle convergence de luttes entre les questions féminine, des minorités sexuelles, raciale et aussi climatique. Si on est pro-BLM, il y a beaucoup de chances que l’on soit proenvironnementaliste et proégalité entre les genres.

Joe Biden construit une équipe diversifiée qui ressemble à la population américaine.

Au vu de cette convergence, peut-on dire également que la question raciale dépasse aujourd’hui le clivage entre les Noirs et les Blancs?

Il est vrai qu’historiquement, la fracture Noirs/Blancs est le clivage constitutif traditionnel des Etats-Unis. Mais la société américaine est de plus en plus diversifiée. Il y a une vingtaine d’années déjà, l’historien David Hollinger parlait d’un pentagone ethnoracial composé de cinq blocs: les Blancs, les Noirs, les Amérindiens, les Asiatiques et les Hispaniques. Ceux-ci définissaient, selon lui, la nouvelle configuration raciale des Etats-Unis. Dans les faits, on est au-delà du clivage Noirs/Blancs. Mais tout se passe comme si toutes les questions aux Etats-Unis étaient toujours ramenées à ce clivage.

Je pense que l’on va assister maintenant à une mobilisation plus forte de minorités qui n’ont pas eu, jusqu’à présent, voix au chapitre parce que démographiquement plus petites ou géographiquement installées loin des lieux de pouvoir. On est dans une Amérique qui ne peut plus être appréhendée uniquement par la clé de lecture Noirs/Blancs. Mais cela ne veut pas dire que le racisme à l’égard des Noirs ne reste pas très présent. Et beaucoup d’endroits aux Etats-Unis sont encore totalement ségrégés.

La prise de conscience élargie peut-elle aider à trouver des réponses à la question raciale?

Je pense que oui. Dans l’histoire des Etats-Unis, les progrès sur la question raciale ont été opérés lorsqu’il y avait des alliances entre différentes forces progressistes. Même le mouvement pour les droits civiques des années 1960 résultait d’un élan qui dépassait les populations noires. Je pense que c’est positif et que cela peut élargir la base de ceux qui veulent un changement. Mais il ne fait pas penser qu’un nouveau président va pouvoir tourner une page de l’histoire des Etats-Unis du jour au lendemain.

Il ne fait pas penser qu’un nouveau président va pouvoir tourner une page de l’histoire des Etats-Unis du jour au lendemain

Après Barack Obama, premier président noir des Etats-Unis, et Donald Trump, parfois présenté comme le premier président blanc des Etats-Unis car choisi essentiellement par un électorat blanc, Joe Biden n’est-il pas mieux armé pour résoudre la problématique raciale?

Donald Trump, « premier président blanc », est en fait le premier président dont on s’est rendu compte qu’il était blanc parce qu’avant Obama, la question ne se posait pas. Il est clair que Barack Obama, premier président noir, a créé une espèce de backlash dans certains cercles de Blancs qui ont commencé à avoir beaucoup plus peur. Donald Trump a alors pu représenter la voix des Blancs démunis, menacés à l’international par les Chinois et en interne par les minorités, en particulier par les Afro-Américains. Il est intéressant cependant de noter que de nouveaux migrants, notamment latino-américains, votent pour lui. Mais, par rapport à cette question raciale, quelle est la marge de manoeuvre de Joe Biden? Il est un peu tôt pour pouvoir donner une réponse précise. Il faut attendre le résultat des élections sénatoriales de janvier en Géorgie. Si les démocrates parviennent à gagner le Sénat, la voie sera ouverte pour des réformes plus profondes, impulsées au départ du niveau fédéral. Mais les Etats-Unis sont un pays énorme et extrêmement complexe où l’importance des pouvoirs locaux n’est pas négligeable, en particulier lorsque l’on parle des polices.

Et puis, demeure la question des mentalités. Donald Trump va, certes, partir. Mais ses idées vont rester. Et sa base électorale est extrêmement amère parce qu’elle croit, pour la plupart de ses membres, toutes les allégations sur le grand complot et sur le vol de l’élection. Donald Trump construit le ressentiment et le revanchisme. Que va-t-il se passer dans la société américaine? Il y a un risque certain de continuation des violences à l’égard des minorités. Cela étant, du côté de Joe Biden, la volonté est claire même s’il serait hasardeux de dire qu’il va résoudre la question raciale aux Etats-Unis. Il y a des signes intéressants: avoir choisi Kamala Harris comme vice-présidente, peut-être un Hispanique à la Santé et une Amérindienne à l’Intérieur. Joe Biden construit une équipe diversifiée qui ressemble à la population américaine. C’est extrêmement important. De surcroit, toute son action des dernières décennies l’indique, il veut provoquer un changement, notamment sur la question raciale. Mais il est trop tôt pour dire aujourd’hui jusqu’où il pourra aller.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire