Joe Biden et Kamala Harris, ticket gagnant pour remporter la présidentielle du 3 novembre et du combat pour apaiser une Amérique fracturée? © GETTY IMAGES

Une note d’espoir dans une année pourrie: l’espérance Biden

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

A 78 ans, le président élu des Etats-Unis attise les attentes des Américains qui veulent tourner la page des invectives et des discriminations. Mais Donald Trump, les républicains et leur base électorale blanche sont prêts à lui mener la vie dure.

Si la fin de l’année suscite un espoir par-dessus tous les autres, c’est bien celui porté par le président démocrate des Etats-Unis Joe Biden qui prêtera serment le 20 janvier prochain à Washington. On sait pourtant d’ores et déjà qu’il décevra, qu’il n’ira pas au bout de ses ambitions. Mais en regard des quatre années de post-vérité et de fureur que, malgré quelques actes salutaires, Donald Trump a fait subir au monde, demain ne pourra qu’être meilleur.

Mieux pour le climat de la planète

Le président élu a décidé de réintégrer l’Accord de Paris sur le climat conclu en 2015. Ce sera chose faite trente jours après l’annonce par la Maison-Blanche. Les Etats-Unis sont le deuxième émetteur de gaz à effet de serre au monde, après la Chine, ce qui représente 15% des émissions mondiales. La promesse, pour l’Amérique, d’une diminution d’un peu plus d’un quart de ses émissions, inclue dans l’accord, ne signifie pas qu’elle y arrivera d’ici à 2025. Mais au moins l’intention est là, elle qui avait été abandonnée ou travestie par Donald Trump. Le programme de Joe Biden vise aussi une neutralité carbone à l’horizon de 2050. Cela ne lui coûte pas grand-chose de le proclamer. Mais son ambition écologique ne semble pas se limiter au suivisme par rapport à d’autres nations avancées. Il veut convoquer un sommet mondial sur le climat dans les cent premiers jours de son mandat. Et on peut difficilement penser que c’est pour y faire de la figuration. Ainsi, les Etats-Unis, la Chine et l’Union européenne partageraient pour une fois des objectifs ambitieux en matière de réduction des gaz à effet de serre.

La volonté de Joe Biden de renouer avec le multilatéralisme rassurera d’abord les alliés naturels de l’Amérique.

Le New Green Deal de l’équipe Biden, inspiré par la gauche du Parti démocrate, s’inscrira également dans la droite ligne du Green Deal de la Commission européenne. La réalisation de l’un et de l’autre dépendra pour beaucoup des marges de manoeuvres que laisseront aux exécutifs de ces pays les plans de relance de l’économie imposés par la crise du coronavirus. Mais il est possible que ceux-ci intègrent opportunément une dimension écologique qui serve aussi la croissance économique.

Les relations internationales

Renouer avec le multilatéralisme comme le professe Joe Biden n’est pas une révolution. Il se pourrait même que cette stratégie ravive les mauvais réflexes de dépendance, par exemple de l’Europe vis-à-vis des Etats-Unis, et de conservatisme. Mais, hormis dans quelques domaines économiques, notamment face à la Chine, l’unilatéralisme forcené de Donald Trump, au nom des intérêts présumés de ses électeurs, n’a pas produit des succès magistraux en Corée du Nord, au Proche-Orient ou en Iran.

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La volonté de Joe Biden de privilégier désormais le dialogue dans les relations internationales rassurera d’abord les alliés naturels de l’Amérique qui en étaient arrivés à évaluer les avantages comparatifs de relations particulières avec les deux grandes puissances du début du xxie siècle, les Etats-Unis et la Chine. Elle devrait au contraire favoriser les convergences entre démocraties face à un géant économique dont les pratiques de contrôle social de la population font craindre les répercussions d’une suprématie mondiale.

On a vu sous Donald Trump que la politique de la pression maximale n’avait pas contribué au règlement de la menace nucléaire que font peser sur la planète l’Iran et la Corée du Nord et de l’hypothèque sociale et sécuritaire que cause l’inégalité de traitement entre Palestiniens et Israéliens. Rien ne dit, loin de là, que la nouvelle diplomatie américaine résoudra ces dossiers épineux. Mais au moins pourra-t-elle faciliter la concertation entre le maximum d’acteurs susceptibles d’y aider.

L’accord de Vienne sur l’encadrement de l’industrie nucléaire iranienne à des fins civiles l’illustre particulièrement parce que la réduction des options à une guerre particulièrement déstabilisatrice ou à la chute chimérique du régime des ayatollahs n’est pas souhaitable alors que le processus de négociation a produit des résultats dans le passé.

Donald Trump en campagne pour les élections sénatoriales en Géorgie, le 5 décembre il ne lâche rien.
Donald Trump en campagne pour les élections sénatoriales en Géorgie, le 5 décembre il ne lâche rien.© GETTY IMAGES

La lutte contre la pandémie

Donald Trump a minimisé ou dénié la dangerosité de l’épidémie de coronavirus. Il a ironisé sur une application stricte des gestes barrières. Il a fait la promotion de remèdes soit controversés, soit farfelus. Il a moqué ou entravé les mesures prises dans certains Etats par des gouverneurs démocrates. Il a privilégié la sauvegarde de l’économie au détriment de la santé de ses concitoyens sans réussir à protéger ni l’une ni l’autre. Résultat: les Etats-Unis enregistrent le plus grand nombre de victimes de la Covid-19, près de 300 000 personnes décédées (883 décès par million d’habitants contre, il est vrai, 1 515 en Belgique), et cette gestion chaotique lui a coûté sa réélection.

Là où son prédécesseur a été indifférent et contre-productif, Joe Biden compte mener une politique proactive. Elle aura certes ses limites dans un pays où la liberté est sacrée, la défiance envers les responsables politiques très grande et la faculté de nuisance de Donald Trump et de ses partisans encore prégnante. Mais elle aura au moins valeur d’exemple et changera peut-être les mentalités de certains. Le président, une fois installé, devrait donc recommander le port du masque pendant une période de cent jours, et mettre en oeuvre une vaste campagne de vaccination.

Les relations entre les Américains

Il y a un domaine dans lequel la simple accession de Joe Biden à la Maison-Blanche aura un effet immédiat, c’est celui de l’exacerbation des tensions identitaires. Finis les propos racistes, homophobes, sexistes, discriminatoires à l’égard des handicapés ou des supposés losers… qui étaient devenus monnaie courante dans la bouche ou les tweets du premier des Américains. Terminée la banalisation des suprémacistes blancs mis sur le même pied que les manifestants antiracistes après la mort de l’un d’entre eux lors d’un rassemblement à Charlottesville en août 2017 ou appelés implicitement à entraver l’élection du candidat démocrate lors d’un débat télévisé de la campagne présidentielle.

Le meurtre, le 25 mai 2020 à Minneapolis, de George Floyd: un tournant dans la campagne présidentielle et dans la prise de conscience des discriminations raciales aux Etats-Unis.
Le meurtre, le 25 mai 2020 à Minneapolis, de George Floyd: un tournant dans la campagne présidentielle et dans la prise de conscience des discriminations raciales aux Etats-Unis.© GETTY IMAGES

Pour autant, Joe Biden ne disposera pas de tous les leviers pour lutter contre les discriminations raciales qui ont atteint leur paroxysme avec le meurtre, en direct, sous la pression du genou d’un policier blanc de l’Afro-Américain George Floyd, le 25 mai 2020 à Minneapolis. Il est difficile de combattre les violences de policiers dont les unités relèvent de la compétence des autorités locales. Mais son gouvernement pourra néanmoins agir sur leur formation et sur les moyens matériels dont ils pourraient disposer. Surtout, le discours du président démocrate devrait apaiser dans un premier temps la colère de la minorité afro-américaine qui s’exprime à travers les actions du mouvement Black Lives Matter, de plus en plus influent. Le risque est néanmoins que, dans un deuxième temps, faute de résultats concrets et significatifs, la déception ne la fasse redoubler de vigueur.

A son crédit, Joe Biden n’est diabolisé ni par les Noirs lassés des inégalités ni par les Blancs laissés-pour-compte de la mondialisation. Et il peut se prévaloir d’avoir fait élire Kamala Harris, première vice-présidente noire des Etats-Unis et ancienne procureure générale de Californie, réputée pour une certaine fermeté.

Et l’économie?

Il est moins sûr que la présidence Biden sera meilleure que celle de son prédécesseur pour l’économie. Il s’agissait-là du principal fait d’armes de Donald Trump avant la crise du coronavirus: croissance, aidée par le bilan des mandats de Barack Obama, et réduction du chômage. La priorité donnée par le gouvernement Biden à la lutte contre le coronavirus pourrait dans un premier temps handicaper l’activité économique. Mais la perspective de la vaccination, et donc de l’éradication de la pandémie, autorise l’espoir d’une reprise d’envergure en 2021.

La Bourse de New York s’est d’ailleurs montrée optimiste début décembre avec le plus fort rebond du Dow Jones depuis 1987 (+ 12%) et la barre des 30 000 points franchie pour la première fois. Mais les prévisions des marchés financiers ne s’accordent pas nécessairement avec les aspirations des politiques. Les acteurs économiques s’accommodent de la perspective d’une limitation des pouvoirs de Joe Biden, contraint sauf surprise par une majorité républicaine au Sénat, qui l’empêcherait de mener une réforme envisagée des activités de Wall Street. Il deviendrait alors le premier président accédant à la Maison-Blanche sans avoir une majorité dans la chambre haute depuis George Bush père en 1989. Malgré l’expertise du locataire du 1600, Pennsylvania Avenue en matière de compromis bipartisans, ce serait un sérieux handicap pour assurer aux citoyens américains des lendemains meilleurs.

Les défis

Forcer une majorité au Sénat: majoritaires à la Chambre des représentants malgré un recul lors des élections législatives du 3 novembre, les démocrates sont en ballottage défavorable au Sénat. Une majorité dans la chambre haute du Congrès serait pourtant nécessaire à Joe Biden pour pouvoir appliquer pleinement sa politique. Les électeurs de Géorgie, Etat où il l’a emporté lors du scrutin présidentiel, en décideront le 5 janvier 2021. Deux postes de sénateurs restent à pourvoir faute de candidats ayant obtenu 50 % au premier tour. S’ils étaient dévolus aux démocrates, le Sénat serait divisé en deux factions égales de 50 parlementaires. La voix de la viceprésidente Kamala Harris, appelée à présider cette assemblée, serait alors prépondérante.

Conjuguer relance et santé: longtemps bloqué par des dissensions entre démocrates et républicains à la Chambre des représentants, un plan de relance économique nécessité par l’épidémie de coronavirus et la réduction des activités devrait amorcer la reprise aux Etats-Unis. Fruit, in fine, d’une concertation bipartisane avant la passation de pouvoir entre les deux présidents, il devrait permettre de libérer un peu plus de 900 milliards de dollars (quelque 745 milliards d’euros). De nouvelles allocations de chômage et le renflouement des Etats les plus affectés par la crise sont au programme du plan. Il ne constituera cependant qu’une première réponse, insuffisante, aux besoins de la relance industrielle et commerciale. Et les discussions laborieuses pour l’adopter préfigurent la difficulté d’une future cohabitation.

Contenir l’aile gauche démocrate: si Joe Biden a été élu le 3 novembre, c’est aussi parce que l’aile gauche du Parti démocrate, représentée lors des primaires par le sénateur Bernie Sanders et la sénatrice Elizabeth Warren, a tu ses divergences avec le candidat centriste dans un front commun visant à débarrasser l’Amérique de Donald Trump. Une fois investi, Joe Biden, surtout s’il ne dispose pas de majorité au Sénat, devra composer avec des interlocuteurs républicains récalcitrants, ce qui rendra plus délicate l’adoption consensuelle de mesures d’orientation plus à gauche. Ses partenaires de cette tendance pourraient en prendre ombrage et replonger le Parti démocrate dans des dissensions préjudiciables pour les élections parlementaires de mi-mandat et pour l’élection présidentielle de 2024.

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